Droit de rétractation et professionnels

Droit de rétractation et professionnels

Publié le : 28/12/2016 28 décembre déc. 12 2016

A propos du jugement du Tribunal de Commerce de Nice du 4 novembre 2016 RG n° 2016F00161.

Le professionnel n’est pas cet être omniscient et omnipotent qui n’avait pas le droit à l’erreur.

En effet, la loi dite « loi HAMON » du 17 mars 2014 est venue modifier en profondeur les règles relatives au droit de rétractation en matière contractuelle.

L’article L. 121-21 du Code de la consommation dispose que : 
« Le consommateur dispose d’un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d’un contrat conclu à distance, à la suite d’un démarchage téléphonique ou hors établissement, sans avoir à motiver sa décision ni à supporter d’autres coûts que ceux prévus aux articles L. 121-21-3 à 121-21-5. Toute clause par laquelle le consommateur abandonne son droit de rétractation est nulle ». 

Prévue dans le cadre d’un contrat hors établissement conclu entre un consommateur et un professionnel, cette disposition a été étendue, sous certaines conditions, aux contrats hors établissement conclus entre professionnels

L’article L. 121-16-1, III du Code de la consommation énonce en effet que : 
« Les sous-sections 2, 3, 6 et 7, applicables aux relations entre consommateurs et professionnels, sont étendues aux contrats conclu hors établissement entre deux professionnels dès lors que l’objet de ces contrats n’entre pas dans le champ de l’activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq ». 

Or, l’article L. 121-21 susvisé est intégré dans la sous-section 6 intitulée « Droit de rétractation applicable aux contrats conclus à distance et hors établissement ». 

Il en résulte que, par extension, l’article L. 121-21 s’applique aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels lorsque l’objet du contrat n’entre pas dans le champ de l’activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par ce dernier est inférieur ou égal à cinq. 

Les faits que devait trancher le Tribunal de Commerce de Nice étaient les suivants :
Le 15 juillet 2015, la société S…  qui exploite un restaurant  a signé avec la société IF… un contrat de location d’espace publicitaire pour deux ans sur un bus de la Commune de BEAULIEU SUR MER afin de promouvoir son activité commerciale.
La SARL S…. a envoyé un courriel à la société IF…. le 28 juillet 2015, soit moins de quatorze jours à compter de la signature du contrat en date du 15 juillet 2015 suivant lequel elle souhaitait annuler sa commande. 
Plus précisément, elle indique que
« Je vous demande de résilier le contrat de publication pour des raisons financières et suite au conseil de mon comptable, je souhaite annuler ma commande ». 

Par ces termes dépourvus d’ambiguïté, il apparaît évident que le gérant de la société S…., a entendu mettre en œuvre son droit de rétractation. 

L’article L. 121-21-2 du Code de la consommation, également intégré dans la sous-section 6, prévoit à cet égard que : 
« Le consommateur informe le professionnel de sa décision de rétractation en lui adressant, avant l’expiration du délai prévu à l’article L. 121-21, le formulaire de rétractation mentionné au 2° du I de l’article L. 121-17 ou toute autre déclaration, dénuée d’ambiguïté, exprimant sa volonté de se rétracter ». 

Il ne fait nul doute que le courriel adressé à la société IF….le 28 juillet 2015 exprime très clairement la volonté de la société S…… de se rétracter. 
La société S…. ne paie donc pas le prix contractuellement consacré et la société IF…. l’assigne en paiement devant le Tribunal de commerce de Nice.
La société S….soulève notamment le moyen de l’exercice de son droit de rétractation alors que le contrat ne le prévoyait nullement et se considère libre de toute obligation de paiement.

Il s’agit bien d’un contrat conclu hors établissement entre deux professionnels

L’objet du contrat, à savoir la location d’un espace publicitaire, n’entre pas dans le champ de l’activité principale de la SARL S…. qui exerce une activité de restauration traditionnelle. 
Le nombre de salariés employé par la SARL S….est bien inférieur à 5. 

Par conséquent, la société S… disposait bien d’un droit de rétractation de 14 jours conformément aux dispositions de l’article L.121-21 du Code de la consommation. 

Si par ailleurs ce courriel n’était pas considéré comme une preuve suffisante, la société S…. a soulevé le moyen suivant lequel ce droit de rétractation peut, être exercé maintenant, dans la mesure où le délai est porté à 12 mois au cas où le professionnel n’a pas informé l’autre partie de l’existence de cette prérogative. 
L’article L. 121-21-1 du Code de la consommation prévoit en effet la prorogation du délai de rétractation à titre de sanction à l’encontre du professionnel qui omet de fournir à l’autre partie les informations relatives à ce droit. 

Or, la société IF…..n’a jamais indiqué à la société S….I ni même évoqué l’existence d’un droit de rétractation en sa faveur. 

 La société IF….a donc commis une faute, un manquement manifeste à son obligation d’information, cela conduisant nécessairement à lui opposer la prorogation du délai de rétractation. 

La société IF adoptait la ligne de défense suivante :
La société S…..n’est pas en mesure de se prévaloir d’un  quelconque droit de rétractation. 

Cette argumentation pour le moins fantaisiste résulte d’une interprétation erronée de l’obligation mise à la charge de la société IF…..

En effet, pour reprendre les termes de l’article L. 221-28 3° du Code de la consommation sur lequel s’appuie la partie adverse, le droit de rétractation est écarté en cas de « fourniture de biens confectionnés selon les spécifications du consommateur ou nettement personnalisés ». 
Cet article est inapplicable au cas d’espèce. 

L’obligation de la société IF….ne consistait en aucune manière à fournir un bien mais à exécuter  une prestation de service au profit de la société S……
La société IF…. semble oublier en effet que l’objet du contrat n’était pas la livraison d’un véhicule mais la location d’espace publicitaire, ce qui est incontestablement une prestation de service. 

Par l’exposition publicitaire de l’activité commerciale de la société S……sur les minibus de la Commune, la société IF….s’était nécessairement engagée à lui fournir un service et non un bien. 

La jurisprudence européenne a d’ailleurs jugé en ce sens que l’offre d’espace publicitaire est considérée comme une prestation de service (CJCE, 30 avril 1974, aff. 155/73, SACCHI, Rec. CJCE, 1974, p. 409).  

La société IF… maintient sa position et affirme que l’obligation mise à la charge de la société IF.. ne se limite pas à la location d’un espace publicitaire mais à la confection d’un texte confectionné selon les spécifications du consommateur, ce qui équivaudrait à la fourniture d’un bien au sens de l’article susvisé. 

Cette argumentation ne manque pas de surprendre, dans la mesure où la publicité est par essence personnalisée et qu’elle tient nécessairement compte des spécifications du consommateur. 

La publicité est en tant que telle une prestation de service et ne donne lieu à aucun moment à la fourniture d’un bien. 

S’il était encore nécessairement d’emporter la conviction de la jurisprudence de céans, il serait possible de se référer au Bulletin Officiel des Finances Publiques publié le 20 octobre 2014 qui indique expressément au Paragraphe 100 que : 
« Constituent des prestations de publicité toutes les opérations, quels qu’en soient les auteurs, la nature ou la forme, dont l’objet est de transmettre un message destiné à informer le public de l’existence et des qualités d’un bien ou d’un service dans le but d’en augmenter les ventes, ou qui font indissociablement partie d’une campagne publicitaire ». 

Le paragraphe 120 poursuit en indiquant que « sont des prestations de publicité les opérations qui consistent notamment :
(…)
- à céder ou à louer un espace publicitaire
- à concevoir des annonces, des formules ou des textes publicitaires puis les faire diffuser par tout moyen (…)
». 

Il apparaît donc très clairement que l’obligation mise à la charge de la société IF…. consistait bien à fournir une prestation et non un bien à la concluante. 
La disposition invoquée par la société IF pour faire échec au droit de rétractation de la société S… ne peut ici s’appliquer.  

D’ailleurs, par jugement en date du 4 novembre 2016, le Tribunal de Commerce de Nice a jugé que :

« Sur la nullité du contrat et le droit de rétractation
Attendu qu’il y’a lieu de relever que dans ce contrat de location, les Conditions Générales de Vente prévoient « Qu’aucune annulation totale ou partielle de commande définitive ne peut être acceptée » ;

Attendu cependant  que la Loi Hamon au travers de l’Article L121-16-1 III du Code de la Consommation offre un droit de rétractation entre professionnels et ce, sous trois conditions :
1°) Lorsque le contrat est conclut hors établissement,
2°) Lorsque le contrat n’entre pas dans le champ de leur activité principale,
3°) Lorsque le nombre de salariés employés par le professionnel est inférieur ou égal à cinq.
Attendu que le contrat a été conclu hors le siège social de la SAS INFOCOM – FRANCE ;
Attendu que l’activité principale de la SARL SHANDI est la restauration ;
Attendu que la SARL SHANDI emploie moins de 5 salariés ;
Attendu que la Loi Hamon dispose que l’entreprise, comme tout consommateur, peut se rétracter dans un délai de 14 jours à compter de la conclusion du contrat de prestation de service.

Attendu qu’en date du 28 Juillet 2015, soit 13 jours après la signature du contrat intervenue le 15 Juillet 2015, la SARL SHANDI par l’intermédiaire de son gérant, Monsieur SIINO transmet un courriel à la SAS INFOCOM – FRANCE ayant pour objet la résiliation du contrat de publication et dont les termes sont «  par le présent mail je vous demande de résilier le contrat de publication pour des raisons financières et suite au conseil de mon comptable je souhaite annuler ma commande ».
Attendu qu’aucune clause de rétractation n’est prévue dans ledit contrat, le Tribunal de Céans le qualifiant de léonin, la SARL SHANDI n’est donc plus engagée juridiquement vis-à-vis de la SAS INFOCOM-France.
Qu’en conséquence, il y’a lieu de prononcer la nullité du contrat ».


Diane BOUSTANI - Avocat à Nice


Cet article n'engage que son auteur.
 

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