Recevabilité du référé précontractuel et notification des recours

Recevabilité du référé précontractuel et notification des recours

Publié le : 30/12/2010 30 décembre déc. 12 2010

Le Conseil d'Etat, dans sa décision du 10 novembre 2010, est venue préciser les "(in)conséquences" de l'absence de notification préalable du recours au pouvoir adjudicateur" prescrit par les articles R. 551-1 et R. 551-2.

A propos de l'arrêt du Conseil d'Etat du 10 novembre 2010, n°341.132


Le Conseil d'Etat, dans sa décision du 10 novembre 2010, est venue préciser les "(in)conséquences" de l'absence de notification préalable du recours au pouvoir adjudicateur" prescrit par les articles R. 551-1 (pour les contrats passés par les pouvoirs adjudicateurs) et R. 551-2 (pour les contrats passés par les entités adjudicatrices) du code de justice administrative : "Le représentant de l'Etat ou l'auteur du recours est tenu de notifier son recours à l'entité adjudicatrice. Cette notification doit être faite en même temps que le dépôt du recours et selon les mêmes modalités".

Au Conseil d'Etat alors de préciser, (7e et 2e sous-sections réunies) que "ces dispositions, prévues dans l'intérêt de l'auteur du référé en vue d'éviter que le marché contesté ne soit prématurément signé par le pouvoir adjudicateur resté dans l'ignorance de l'introduction d'un recours, ne sont pas prescrites à peine d'irrecevabilité de ce recours".
Pourtant, si les dispositions réglementaires ne prescrivaient pas expressément la sanction de l'irrecevabilité, elles comportaient, par la terminologie usitée, tous les signes d'une disposition contraignante ("est tenu de notifier", "doit être faite ").

Pour comparaison, il est vrai, l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme qui prévoit une telle notification du recours en matière d'autorisation de construire, élève expressément le non-respect de cette obligation, au rang des fins de non recevoir : "(…) le préfet ou l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation (…)". Néanmoins, une telle précision procédurale s'avérait d'autant plus importante qu'elle figure – à la différence des dispositions des articles R. 551-1 et R. 551-2 du code de justice administrative – dans un code prescrivant a priori exclusivement des règles de fonds.

Pour autant, si l'on se détache du réflexe quasi-mécanique obligation/sanction, il est possible de dégager une juridicité à cette obligation de notification des recours telle qu'interprétée par l'arrêt du Conseil d'Etat laquelle ne réside pas dans la sanction du candidat évincé mais, au contraire, dans sa protection.

Ce mécanisme de protection ressort expressément de la motivation de la décision du Conseil d'Etat qui semble fonder l'absence d'irrecevabilité du recours sur l'intention du législateur qui voyait en ses dispositions "l'intérêt de l'auteur du référé", préférant, ce faisant, opter pour une interprétation téléologique.

Dans un contexte paradoxal de multiplication des voies de recours à la disposition des candidats évincés (le recours "Tropic" en étant un exemple) et d'amoindrissement de leur efficacité (notamment depuis la jurisprudence SMIRGEONES), le Conseil d'Etat a entendu, d'une part, prémunir le candidat évincé d'un risque d'irrecevabilité de son recours en référé précontractuel (A) et, d'autre part, lui réserver un moyen d'actionner la voie – semble-t-il, ténue - du référé contractuel (B).


A – Une protection du candidat évincé contre le risque d'irrecevabilité de son référé précontractuel :

L'essence même du référé précontractuel réside en la constatation, en amont de la signature du contrat, de manquements constatés aux obligations de publicité et de mise en concurrence par le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice. L'article L. 551-1 du code de justice administrative dispose, à ce titre, que "le juge est saisi avant la conclusion du contrat".
Cette disposition a fait l'objet d'une application particulièrement stricte de la part du juge administratif qui vérifie, en tout premier lieu, l'existence ou non d'une signature sans pour autant en contrôler la validité. Le Conseil d'Etat a ainsi pu considérer un référé précontractuel recevable alors même que les dispositions de l'article 80 du code des marchés publics n'avaient pas été respectées indiquant que "l'illégalité la décision de signer le marché litigieux, (...) ne suffit pas à faire regarder la signature de ce dernier comme inexistante " (CE, 17 oct. 2007, n° 300419, Sté Physical Networks Software).

Par-là-même, afin de se prémunir contre tout risque d'accélération de la mise en signature du contrat, l'article L. 551-4 (et L. 551-9) du code de justice administrative précise que "le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu'à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle".
Pour autant, sans information, l'acheteur n'est - légitimement - pas réputé avoir connaissance du recours et, partant, peut signer le contrat ce qui, sous l'égide des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, aura pour effet de rendre la requête irrecevable.

Dans le cadre de procédures aux délais aussi restreints que ceux d'une procédure en référé précontractuel, une telle information du pouvoir adjudicateur ne pouvait, selon toute vraisemblance, reposer sur une fiction juridique ou même sur la plus ou moins grande diligence des greffes des Tribunaux administratifs quant à la communication de la requête.

Les dispositions de l'article R. 551-1 et R. 551-2 du code de justice administrative telle qu'interprétées par le Conseil d'Etat entendraient donc simplement imposer au requérant d'informer le pouvoir adjudicateur de l'introduction d'une requête en même temps qu'il forme celle-ci afin d'interdire la signature du contrat avant que le pouvoir adjudicateur n'ait été informé par le greffe du tribunal administratif.

Pour autant, il convient de noter que si cette précision jurisprudentielle peut être lue comme prévoyant les modalités concrètes d'application des dispositions de l'article L. 551-4 du code de justice administrative en imposant l'information du pouvoir adjudicateur de la saisine dont il s'agit, il pourrait également être lue comme prescrivant une interprétation contra legem puisqu'en effet l'article L. 551-4 (et L. 551-9) du code de justice administrative suspend la signature à compter de la saisine et non à compter de l'information de la saisine.

On peut néanmoins imaginer que la notification par le requérant s'analyse comme une protection supplémentaire, en complément de l'information des Tribunaux administratifs, de sorte que la suspension de signature interviendrait à la date de la connaissance par le pouvoir adjudicateur du recours diligenté que cela soit du fait de la notification réalisée par les greffes des juridictions ou par celle du requérant.
Outre cet aspect protecteur du requérant précontractuel, une telle diligence pourrait, par ailleurs, avoir des incidences sur la recevabilité d'un recours en référé contractuel.

B - Une protection du candidat évincé contre le risque d'irrecevabilité de son référé contractuel :

La recevabilité du référé contractuel est admise à la seule condition qu'un référé précontractuel n'ai pas été diligenté. En effet, l'essence même du référé contractuel des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative réside dans la constatation de manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence après la signature du contrat dans la mesure où il n'aurait pas été diligenté de recours en référé précontractuel.
Néanmoins, l'article L. 551-14 du code de justice administrative ouvre une hypothèse où le référé contractuel serait ouvert alors même qu'un référé précontractuel aurait été diligenté. Cet article dispose en effet :

"Toutefois, le recours régi par la présente section n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l'article L. 551-1 ou à l'article L. 551-5 dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours".

Par-là-même, le référé contractuel reste ouvert au requérant précontractuel s'il est en mesure de prouver que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice n'a pas respecté la suspension prévue à l'article L. 551-4 du code de justice administrative.

L'obligation de notification du recours précontractuel au pouvoir adjudicateur relèverait d'une protection du candidat évincé dans l'hypothèse où il démonterait que la signature est intervenu postérieurement à la notification du recours précontractuel en violation de la suspension prévue à l'article L. 551-4 du code de justice administrative.
Bien plus, la preuve rapportée d'une violation de la suspension exigée par les dispositions de l'article L. 551-4 du code de justice administrative, pourrait conduire au prononcé de l'annulation du contrat objet du recours. En effet, l'article L. 551-18 du code de justice administrative dispose que :

"Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat".

L'obligation de notification du recours précontractuel au pouvoir adjudicateur loin d'être sanctionnée par l'irrecevabilité du recours pourrait donc au contraire amener le requérant à se garantir un accès au juge des référés qu'il s'agisse du référé précontractuel par la "notification-suspension de signature" ou qu'il s'agisse du référé contractuel dans le cas d'une violation de cette suspension.


Une telle obligation de notification constituerait, de ce point de vue, une double garantie au bénéfice du candidat évincé qui a, dès lors, tout intérêt à s'y conformer nonobstant le fait qu'aucune fin de non-recevoir ne pourrait lui être opposée.


Index:
(1) J.M. FEVRIER, L'obligation de notification de la requête en référé précontractuel et ses (in)conséquences, JCP A n° 38, 20 septembre 2010, p. 2282.
(2) C. Bardon-Y. Simmonet, Le référé contractuel - Premières précisions jurisprudentielles, Droit administratif, novembre 2010, p. 22 et suiv.


Sarah TISSOT





Cet article n'engage que son auteur.

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