<![CDATA[EUROJURIS FRANCE]]> Fri, 29 Mar 2024 06:20:27 GMT https://www.eurojuris.fr/ <![CDATA[CDI intérimaire : les missions peuvent être requalifiées en CDI à l’égard d’une entreprise utilisatrice]]> 7f725650f4fdec0cc8d4099bb7c8b9d4-42342 L’existence d’un contrat à durée indéterminée liant une entreprise de travail temporaire avec un salarié n’empêche pas ce dernier de prétendre à la requalification de ses missions d’intérim en contrat à durée indéterminée auprès de la société utilisatrice également, lui permettant ainsi d’obtenir une double indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à raison des mêmes missions effectuées au sein de l’entreprise utilisatrice. C’est la solution retenue par la Chambre sociale dans un arrêt en date du 7 février 2024 (Cass. Soc., 7 février 2024, N°22-20.258), en ces termes : 

« Lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en violation des dispositions visées par l’article L. 1251-40, le salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière, y compris lorsqu’il a conclu avec l’entreprise de travail temporaire un contrat à durée indéterminée intérimaire. 
(…)
Nonobstant l’existence d’un contrat à durée indéterminée intérimaire, la rupture des relations contractuelles à l’expiration d’une mission à l’initiative de l’entreprise utilisatrice s’analyse, si le contrat est requalifié à son égard en contrat à durée indéterminée, en un licenciement qui ouvre droit, le cas échéant, à des indemnités de rupture ». 

Dans cette affaire, une salariée avait conclu avec une entreprise de travail temporaire, un Contrat à durée indéterminée intérimaire (CDII), institué par la loi du 17 août 2015. 

Aux termes de ce CDII, la salariée était donc embauchée et rémunérée par l’entreprise de travail temporaire, qui l’a mis à disposition de plusieurs entreprises utilisatrices dans le cadre de missions successives. 

Cette salariée avait notamment été mise à disposition d’une entreprise utilisatrice en qualité d’opératrice entre 2016 et 2019. 

Lorsque cette entreprise a cessé de lui fournir du travail en mai 2019, la salariée a saisi la juridiction prud’hommale le 26 septembre 2019 afin d’obtenir la requalification de ses missions d’intérim en contrat à durée indéterminée à son encontre, et de contester la rupture de la relation de travail ainsi intervenue, avant d’être licenciée le 26 novembre 2019 par l’entreprise de travail temporaire. 

Sa demande de requalification a été accueillie par la Cour d’appel de Grenoble, laquelle a estimé que les dispositions légales relatives au CDII n’excluaient pas la requalification auprès de l’entreprise utilisatrice, notamment lorsque les conditions de recours au travail temporaire n’ont pas été respectées. 

Cette appréciation a été vivement contestée par l’entreprise utilisatrice, laquelle s’est pourvue en cassation, faisant valoir d’une part le fait qu’un salarié intérimaire ne pouvait être lié, pour une même prestation, par deux Contrats à durée indéterminée distincts, et d’autre part, le fait qu’une telle requalification avait pour effet de permettre à la salariée d’obtenir une double indemnité ainsi que des dommages et intérêts, à la fois auprès de l’entreprise de travail temporaire, et de l’entreprise utilisatrice, pour rupture dénuée de cause réelle et sérieuse, à raison des mêmes missions effectuées au sein de l’entreprise utilisatrice. 

La Cour de cassation a toutefois donné raison à la Cour d’appel, qui pour requalifier les missions en contrat à durée indéterminée de droit commun à l’égard de l’entreprise utilisatrice, a retenu que ces missions avaient eu pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de celle-ci

Elle a également validé la position de la Cour d’appel, qui, en conséquence de cette requalification, a estimé que la rupture des relations contractuelles à l’expiration d’une mission, à l’initiative de l’entreprise utilisatrice, s’analysait en un licenciement, au titre duquel la salariée pouvait prétendre à des indemnités de rupture. 

En l’espèce, il a en effet été retenu, tant par la Cour d’appel, que par la Cour de cassation, que la procédure de licenciement n’avait pas été respectée et que le licenciement été privé de cause réelle et sérieuse. 

L’entreprise utilisatrice a donc été condamnée, in fine, à verser à la salariée une indemnité compensatrice de congés payés et de préavis, au titre des congés payés afférents, ainsi qu’à une indemnité de licenciement et à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. 

Une décision sévère, qui aboutit en effet à permettre à un salarié d’obtenir une indemnisation au titre de la rupture de son contrat de travail, tant auprès de l’entreprise de travail temporaire, que de l’entreprise utilisatrice, la Cour de cassation ayant en effet retenu que l’objet des contrats n’était pas le même, y compris lorsque les ruptures interviennent à des périodes concomitantes, après la fin d’une mission au sein de l’entreprise utilisatrice. 

Les entreprises utilisatrices devront donc désormais avoir en tête que le Contrat à durée indéterminée intérimaire conclu avec une entreprise d’intérim n’est pas incompatible avec une éventuelle requalification en Contrat à durée indéterminée à leur encontre, le salarié pouvant effectivement faire valoir ses droits contre les deux entreprises. 


Cet article n'engage que son auteur.
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Thu, 28 Mar 2024 14:12:26 GMT 5600 7700 1266 4817 801 0 CDI intérimaire : les missions peuvent être requalifiées en CDI à l’égard d’une entreprise utilisatrice
<![CDATA[Décès de la notion de quasi-ouvrage et éléments de réflexion sur l'office du juge]]> 5420aad7fec3549a85876ba1c529bd84-42334 Cass, 3ème civ, 21 mars 2024, n°22-18.694, Publié au bulletin

L’office de dire le droit peut impliquer celui de faire le droit, mais non de l’écarter !

A - UN REVIREMENT DE JURISPRUDENCE TRES ATTENDU :

L’Ordonnance n°2005.658 du 8 juin 2005 a établi une liste d’ouvrages et d’équipements exclus du régime de l’assurance RC décennale obligatoire.

S’agissant des éléments d’équipement adjoints à une construction existante, l’impropriété à destination de l’ouvrage provoquée par leur dysfonctionnement, ne pouvait pas donner lieu à la mobilisation de la garantie décennale des constructeurs.

Les dommages occasionnés par un élément d’équipement adjoint à un ouvrage existant étaient donc indemnisés par l’assureur RC décennale s’agissant des dommages causés aux travaux réalisés par l’assuré, au titre de la garantie RC décennale obligatoire, et par l’assureur RC s’agissant des dommages causés aux existants par le biais de la garantie dommages aux existants lorsqu’elle avait été souscrite.

Ce dispositif, qui avait été discuté en 2005 avait un sens, puisqu’il était destiné à équilibrer la charge des risques pour les assureurs entre les branches RC et Construction, dans le cadre d’une régulation économique de la sinistralité.

La Cour de cassation a brutalement rompu cet équilibre par un arrêt rendu le 15 juin 2017 (Cass, 3ème civ, 15 juin 2017, n°16-19.640), en décidant, par un revirement de jurisprudence qui n’était pas attendu, que « les désordres affectant les éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination. »

La notion de quasi ouvrage était née sous la plume doctrinale de Cyrille Charbonneau (Cyrille Charbonneau : L'avènement des quasi-ouvrages, RDI 2017, p.409. »

Les assureurs RC décennale ont alors immédiatement opposé que la portée de cette jurisprudence devait être limitée au domaine de la responsabilité des constructeurs, et n’avait donc pas vocation à s’étendre au régime de la garantie RC décennale, dès lors que l’article L 243-1-1-II du code des assurances dispose clairement que les obligations d’assurance des constructeurs ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles.

Par un arrêt en date du 26 octobre 2017 (Cass, 3ème civ, 26 octobre 2017, n°16-18.120), la Cour de cassation a opposé aux assureurs son analyse, pour le coup contra legem, en écartant expressément les dispositions de l’article L 243-1-1 II du code des assurances lorsque les désordres affectant l’élément d’équipement installé sur l’existant rendent l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination.

Malgré les critiques de la doctrine et des professionnels du droit et de l’assurance, la Cour de cassation a maintenu sa position, de façon inflexible, durant 7 ans (Jean Roussel : Éléments d'équipement dissociables installés sur existants et assurance, RDI 2017, p 413 ; Pascal Dessuet : Le régime juridique applicable à la responsabilité des constructeurs en cas de travaux sur existant : une révolution en cacherait-elle une autre, RGDA, Juillet 2017, p 426).

Par son arrêt du 21 mars 2024 (Cass, 3ème civ, 21 mars 2024, n°22-18.694, Publié au bulletin), la Cour de cassation a enfin restitué son statut légal à l’élément d’équipement simplement adjoint à un ouvrage existant au visa des articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du code civil :

« Pour condamner in solidum la société L’UNIVERS DE LA CHEMINEE et la société AXA sur le fondement de la garantie décennale, l’arrêt énonce que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, puis retient que le désordre affectant l’insert de cheminée a causé un incendie ayant intégralement détruit l’habitation. »

« En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Et la Cour de cassation de préciser dans son arrêt qu’il convient désormais de juger que :

« Si les éléments d’équipement installés en replacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumis à l’assurance obligatoire des constructeurs. »

La position qui est désormais adoptée par la Cour de cassation est beaucoup plus orthodoxe à l’esprit et à la lettre de la loi, puisque s’agissant des éléments d’équipement adjoints à un ouvrage existant, soit :
 
  • L’élément d’équipement constitue en lui-même un ouvrage et le régime applicable est celui de l’article 1792 du code civil, dès lors que les désordres portent atteinte à la solidité ou à la destination de l’ouvrage, avec une prise en charge au titre de la garantie d’assurance RC décennale obligatoire.
 
  • L’élément d’équipement ne constitue pas en lui-même un ouvrage et auquel cas les désordres relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun, avec une possible prise en charge au titre des garanties facultatives TNCO (travaux non constitutifs d’ouvrage) associée à la garantie des dommages immatériels consécutifs, ou bien encore de la garantie RC des dommages aux existants.
On rappellera alors qu’en ce qui concerne les éléments d’équipement d’origine, la situation de s’en trouve pas modifiée, puisque :
 
  • S’ils sont indissociables de l’ouvrage, ils relèvent du régime légal de l’article 1792-2 du code civil, dès lors que les désordres portent atteinte à la solidité de l’ouvrage ou rendent l’ouvrage impropre à sa destination dans son entier.
 
  • S’ils sont dissociables de l’ouvrage, ils relèvent du régime légal de l’article 1792 du code civil, dès lors que les désordres portent atteinte à la solidité de l’ouvrage dans son ensemble, ou rendent l’ouvrage impropre à sa destination dans son ensemble.
 
  • Enfin, l’élément d’équipement dissociable de l’ouvrage peut toujours relever de la garantie légale de bon fonctionnement, de l’article 1792-3 du code civil, dès lors qu’il a vocation à fonctionner, puisqu’à défaut les désordres relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun (Cass, 3ème civ, 13 février 2013, n°12-12.016).
Les choses sont donc à priori désormais fixées, ce dont on ne peut que se féliciter pour d’évidentes raisons de sécurité juridique et d’équilibre entre les différents acteurs et branches du monde de l’assurance construction.

B - UNE LEGITIME INTERROGATION SUR L’OFFICE DU JUGE : 

Que la Cour de cassation procède à des revirements de jurisprudence du fait de la modification de l’interprétation de la règle de droit sous l’influence de la doctrine, de l’évolution des contextes sociétaux et économiques, ou bien encore pour des considérations pragmatiques (Cass, 3ème civ, 14 décembre 2022, n°21-21.305, Publié au bulletin), n’est pas chose nouvelle et s’avère salutaire, puisqu’elle témoigne de la vitalité du droit.

Pour autant, l’attitude de la plupart des juridictions à la suite du revirement de jurisprudence du 15 juin 2017, puis du 26 octobre 2017, et de la Cour de cassation elle-même par son arrêt du 21 mars 2024, peut-être l’occasion de s’interroger sur l’office du juge, c’est-à-dire l’utilisation du pouvoir qui lui est conféré pour dire le droit.  

En premier lieu, il apparait nécessaire de rappeler que l’office de dire le droit implique nécessairement que le juge puisse interpréter la loi, qu’elle soit nationale ou communautaire.

Le pouvoir d’interprétation de la loi qui est conféré au juge est parfaitement établi et est au-demeurant souhaitable, non seulement pour appliquer la loi lorsqu’elle est imparfaitement rédigée, mais également afin de pouvoir l’adapter à l’évolution de son environnement.

Dans son discours préliminaire au code civil, Jean-Etienne-Marie Portalis écrit que la « science du législateur consiste à trouver dans chaque matière les principes les plus favorables au bien commun. La science du magistrat est de mettre ces principes en action (…) de les étendre pour une application sage et raisonnée, et donc d’étudier l’esprit de la loi quand la lettre de suffit pas. »

En second lieu, l’office de dire le droit peut conduire le juge à faire le droit et donc, par cette entrefaite, à devenir lui-même une source de droit.

C’est ainsi que face au silence de la loi, c’est bien au juge qu’il incombe de faire le droit, afin de pouvoir l’appliquer et les constructions prétoriennes issues de l’office du juge qui a statué praeter legem ne manquent pas (troubles anormaux du voisinage, abus de droit…).

En troisième lieu, si « le juge est la bouche qui prononce les paroles de la loi » (Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748, Livre XI, Chapitre VI), il s’impose que lorsque la loi existe et qu’elle est parfaitement claire, le juge se doit impérieusement de l’appliquer !

La loi est votée par la représentation nationale qui est élue et promulguée au nom du peuple française en vertu de l’article 56 de la Constitution, de sorte qu’il n’incombe très certainement pas au juge de la réécrire lorsqu’elle est parfaitement compréhensible.

Montesquieu n’a jamais entendu donner d’autres pouvoirs au juge que celui de juger et non de légiférer et c’est bien ce qui interpelle à la lecture de l’arrêt du 21 mars 2024, lorsqu’en toute transparence la Cour de cassation expose les raisons pour lesquelles elle a pu entreprendre, en 2017, d’écarter en toute conscience, de façon contra legem, les dispositions de l’article L 243-1-1-II du code des assurances :

« Ce revirement de jurisprudence poursuivait, en premier lieu, un objectif de simplification en ne distinguant plus selon que l’élément d’équipement était d’origine ou seulement adjoint à l’existant, lorsque les dommages l’affectant rendaient l’ouvrage en lui-même impropre à sa destination. »

« Il visait, en second lieu, à assurer une meilleure protection des maîtres de l’ouvrage, réalisant plus fréquemment des travaux de rénovation ou d’amélioration de l’habitant existant. »
« Ces objectifs n’ont, toutefois, pas été atteints. »

A cet égard, contrairement à ce qu’elle écrit dans son arrêt, la Cour de cassation n’a pas simplement « précisé », en 2017, la « portée des règles » qu’elle avait établies, puisqu’elle a purement et simplement écarté l’application des dispositions de l’article L 243-1-1-II du code des assurances, pour imposer une analyse parfaitement contra legem ayant vocation à faire jurisprudence.

Au regard des seuls principes, le travail de réflexion qui est exposé 7 ans plus tard dans l’arrêt du 21 mars 2024 relevait plus certainement de la compétence du législateur, s’il était advenu nécessaire de procéder à une réécriture de l’ordonnance n°2005-658 du 8 juin 2005.

En dernier lieu, au regard de ces différentes sources de réflexion, il pourra être ajouté que l’office de dire le droit, implique nécessairement d’accepter le principe de la contradiction et du débat des idées dans l’enceinte de justice.

Alors que l’article 5 du code civil prohibe les arrêts de règlement, ce qui implique que le droit ne puisse être soumis à l’autorité d’un précédent (de sorte qu’un juge ne peut se contenter de se référer à un jugement antérieur pour le seul motif de son propre jugement), durant 7 ans l’attendu de principe de l’arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2017 aura été repris mot à mot dans la plupart des décisions de justice, sans qu’il soit procédé à une analyse démonstrative sur le plan juridique et pour cause…

Ceux qui auront décidé de résister auront payé - souvent - le prix de leur affront.

Afin de nourrir la réflexion, il sera simplement précisé que pour sanction d’avoir résisté à la jurisprudence de la Cour de cassation de 2017, dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 21 mars 2024, la société AXA France IARD aura été préalablement condamnée devant le Tribunal de grande instance de Rodez au paiement d’une somme de 4.500,00 euros à titre de dommages intérêts pour résistance abusive (jugement du 3 juin 2019), puis devant la cour d’appel de Montpellier (arrêt du 20 avril 2022) au paiement d’une somme de 10.000,00 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive !
L’arrêt de la cour d’appel de Montpellier est ainsi motivé (Cour d’appel de Montpellier, 4ème chambre civile, 20 avril 2022, n°19-04078) :

« Si l’exercice de la défense ne peut donner lieu à indemnisation, sauf cas d’abus, force est de constater que le premier juge a parfaitement relevé les circonstances le caractérisant de la part d’Axa dans un litige dénué d’ambiguïté dans la détermination du lien de causalité entre le fait générateur de l’incendie et le préjudice (…) Il sera ajouté qu’Axa avait pris la direction du procès et qu’elle poursuit en cause d’appel une réformation d’une décision parfaitement motivant en excipant de jurisprudences anciennes ou contraires à ce qu’elle avait elle-même soutenu dans les instances précédentes alors qu’elle est dotée de services juridiques et de conseils particulièrement aptes à apprécier la probabilité de succès ou d’échec d’une voie de recours, de sorte que, retardant par l’exercice de cette voie de recours- à l’encontre d’un jugement non assorti de l’exécution provisoire, l’indemnisation légitime des époux Y et de leur assureur, elle a manifestement un comportement procédural particulièrement abusif… »

Le mérite de la direction technique et des confrères qui auront pris la décision de soutenir le pourvoi, qui aboutit à une cassation pour violation de la loi, n’en est que plus grand, sans méconnaître également une certaine forme de courage qu’il aura fallu à la Haute juridiction pour reconsidérer sa jurisprudence, sans même recourir à la politique des petits pas.

Il n’est pas certain que l’IA aurait conseillé à l’assureur d’inscrire un pourvoi.

Rien ne remplacera jamais l’intelligence humaine et son sens de la résistance lorsque le langage n’est pas raison, et l’office de faire et de rendre justice ne se portera à terme que plus mal à vouloir la museler toutes les fois qu’elle ne demande qu’à être entendue et respectée.


Cet article n'engage que son auteur.]]>
Wed, 27 Mar 2024 13:23:00 GMT 5000 8800 967 2891 37048 0 37257 0 37261 0 Décès de la notion de quasi-ouvrage et éléments de réflexion sur l'office du juge
<![CDATA[Rupture brutale d’une relation commerciale établie]]> e5e05bd77a755fedae33906cae78b723-42323 En application des dispositions de l’article L.442-1, II du Code de commerce, une relation commerciale établie ne peut être rompue sans préavis suffisant, sous peine d’engager la responsabilité de l’auteur de la rupture brutale. Par un arrêt en date du 18 octobre 2023 (Cass. com. 18 octobre 2023, n°22-20.438), la Cour de cassation est venue clarifier le rôle du juge dans l’appréciation de ce délai de préavis. 

Le délai de préavis permet de calculer l’indemnité allouée pour rupture brutale d’une relation commerciale établie. Il est notamment déterminé en fonction de la durée de la relation. 

Dans cette affaire, un prestataire a conclu deux contrats successifs relatifs à des prestations de conseil avec une banque, prévoyant chacun une durée déterminée d’une année et excluant toute reconduction tacite. Par la suite, la banque a décidé de ne plus solliciter le prestataire.

La Cour d’appel de Paris a retenu le caractère établi de la relation commerciale et a notamment tenu compte pour ce faire de la durée de deux ans, de l’évolution des coûts et chiffres d’affaires du prestataire sur cette période et de leur importance dans le bilan du prestataire. Elle en a conclu que le préavis aurait dû être de trois mois afin de permettre au prestataire de se réorganiser.

La Cour d’appel a par conséquent octroyé une indemnité correspondant au gain manqué sur cette période de préavis. 

Le prestataire a invoqué le dispositif de la rupture brutale et, considérant l’indemnité de 25.000 euros allouée insuffisante, a formé un pourvoi en cassation.

Deux contrats successifs d’un an suffisent à caractériser une relation établie

La Cour de cassation rappelle utilement dans un premier temps qu’une relation de deux ans peut être suffisante à démontrer une relation établie. Les critères pris en compte sont non seulement la durée mais également le caractère stable, continu et suivi de la relation ou encore la croyance légitime de la victime dans la poursuite de la relation. 

L’appréciation souveraine du préavis 

Dans un second temps, la Cour de cassation apporte des précisions sur l’appréciation de la durée de préavis à accorder pour échapper à la qualification de rupture brutale : 
 
  • la Cour de cassation rappelle en premier lieu que cette notion relève de l’appréciation souveraine des juges du fond : ainsi, ces derniers n’ont pas à justifier en quoi le délai accordé permet à la victime de trouver une alternative satisfaisante
 
  • en outre, la Cour de cassation indique que si les juges du fond doivent, pour calculer le délai de préavis, se référer à la durée de la relation, critère prévu à l’article L.442-1, II du Code de commerce, ils peuvent également se référer à d’autres critères, tels que l’importance de la relation dans le chiffre d’affaires du prestataire ou encore l’absence de diversification des activités qui serait imputable au prestataire. 


Cet article n'engage que son auteur.
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Tue, 26 Mar 2024 12:37:01 GMT 8100 1259 4871 799 0 Rupture brutale d’une relation commerciale établie
<![CDATA[Proposer un CDI à un salarié en CDD : de nouvelles obligations]]> 34a167480f1ee9328cf6f555ef1b7940-42319 La loi « Marché du travail » du 21 décembre 2022 a prévu l’obligation pour l’employeur qui propose un CDI à un salarié en fin de CDD ou de mission pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, de lui notifier cette proposition par écrit. Cette obligation a été précisée par un décret du 28 décembre 2023 et un arrêté du 3 janvier 2024. Elle s’applique depuis le 1er janvier 2024. L’objet de cette obligation est de permettre à France Travail de supprimer le bénéfice de l’assurance chômage aux salariés refusant à deux reprises, au cours des 12 mois précédents, une proposition de CDI à l’issue d’un CDD ou d’un contrat de mission. 

Ainsi, hormis certaines exceptions, le salarié se verra supprimer les bénéfice de l’assurance chômage lorsqu’il aura refusé deux fois un CDI proposé par son entreprise, pour un emploi répondant aux critères suivants : 
 
  • identique ou similaire à celui exercé jusqu’à la proposition ;
  • dont la rémunération est au moins équivalente à celle perçue jusqu’alors ;
  • dont la durée de travail est équivalente ; 
  • n’emportant pas modification du lieu de travail
Dans l’hypothèse où le salarié est en contrat de mission dans l’entreprise, les critères de l’emploi sont les suivants : 
 
  • identique ou similaire à la mission exercée jusqu’à la proposition ;
  • n’emportant pas modification du lieu de travail
La suppression des allocations chômage ne s’applique pas si :
  • le salarié a été employé dans le cadre d’un CDI au cours de la même période de 12 mois ;
  • la dernière proposition adressée au salarié n’est pas conforme aux critères prévus par le projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE) si celui-ci a été élaboré antérieurement à la date du dernier refus pris en compte (on rappelle que tout demandeur d’emploi a l’obligation d’élaborer un PPAE dans les 30 jours suivant son inscription sur les listes de France Travail,  mentionnant la nature et les caractéristiques de l’emploi recherché, la zone géographique privilégiée, le niveau de salaire attendu)
La proposition doit être effectuée par lettre recommandée avec accusé de réception, par lettre remise en main propre contre décharge ou par tout moyen donnant date certaine à sa réception. 

Le salarié doit bénéficier d’un délai raisonnable pour accepter ou refuser la proposition de CDI émise à l’issue d’un CDD ou d’un contrat de mission. Il doit également être informé qu’à l’issue de ce délai raisonnable de réflexion, une absence de réponse de sa part vaut rejet de la proposition de CDI. Les textes ne précisent pas la notion de délai raisonnable, qui devra donc être déterminée par les employeurs eux-mêmes, avant que les juridictions viennent éclairer ce point. Selon nous, un délai d’une semaine devrait être considéré comme raisonnable.

Si le salarié refuse la proposition de CDI, de manière expresse ou implicite, l’employeur ou l’entreprise utilisatrice est tenu d’en informer via une plateforme dédiée l’opérateur France Travail dans un délai d’un mois suivant :

- l’expression du refus du salarié ;
- ou, en cas d’absence de réponse, l’expiration du délai raisonnable accordé au salarié pour prendre sa décision 

Cette information, outre les renseignements d’usage sur l’entreprise et le salarié, devra également être accompagnée des justificatifs concernant les critères de l’emploi proposé (cf. ci-dessus). Cette information pourra être complétée, à la demande de France Travail, dans un délai de 15 jours, dont à l’heure actuelle, il n’est pas précisé si ce sont des jours calendaires, ouvrables ou ouvrés.

A l’heure actuelle, les textes ne prévoient aucune sanction en cas de non-respect de cette obligation.

Dans tous les cas, et bien que cette obligation soit actée dans la loi et précisée par décret et arrêté, il semble que l’application pratique nécessite explicitement qu’elle soit introduite dans le règlement d’assurance chômage avant d’entrer véritablement en vigueur.

 - L. nº 2022-1598 du 21 déc. 2022 (mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi)

 - D. nº 2023-1307 du 28 déc. 2023 (relatif au refus par un salarié d'une proposition de contrat de travail à durée indéterminée à l'issue d'un contrat de travail à durée déterminée)

 - Arrêté du 3 janvier 2024 relatif aux modalités d'information de l'opérateur France Travail par un employeur à la suite du refus par un salarié d'une proposition de contrat de travail à durée indéterminée à l'issue d'un contrat à durée déterminée ou d'un contrat de mission


Cet article n'engage que son auteur.]]>
Tue, 26 Mar 2024 09:48:51 GMT 5600 7700 78 179 638 1111 Proposer un CDI à un salarié en CDD : de nouvelles obligations
<![CDATA[La convention de forfait-jours est privée d’effet en cas de retard de l’employeur dans l’organisation de l’entretien annuel, même justifié par des contraintes internes]]> 12e29001e93f781f477b80f9299192f2-42315 Par un arrêt du 10 janvier 2024 (Cass. soc., 10 janv. 2024, nº 22-13.200), la Cour de cassation confirme sa stricte interprétation des dispositions du Code du travail relatives au forfait-jours, en sanctionnant un employeur qui, malgré des contraintes internes justifiées, avait organisé l’entretien annuel spécifique au forfait-jours avec un retard de deux mois. Dans cette affaire, le Directeur général de l’entreprise avait démissionné le 31 décembre et son remplaçant prenait effectivement ses fonctions le 21 janvier. L’entretien annuel du salarié en forfait-jours se tenait dès le 6 mars.
Trop tard pour la Cour de cassation.

Constatant par ailleurs que le salarié en forfait-jours avait dépassé le nombre de jours prévus dans son forfait trois années de suite et n’avait pas systématiquement bénéficié de ses repos hebdomadaires, les juges reprochaient également à l’employeur de ne pas avoir pris toutes les mesures nécessaires permettant de limiter la charge de travail du salarié.

La Cour de cassation justifie sa décision par trois fondements juridiques :

 
  • Premièrement, aux termes de l’article L3121-65 du Code du travail, mais aussi des accords collectifs mettant en place le forfait-jours, l’employeur organise au moins une fois par un an un entretien spécifique avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, ainsi que sa rémunération.
 
  • Deuxièmement, l’article L3121-60 du Code du travail (d’application d’ordre public) prévoit que l’employeur s’assure régulièrement que la charge de travail du salarié en forfait-jours est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail. 
 
  • Troisièmement, la Cour de cassation s’appuie sur le principe général prévu à l’article L4121-1 du Code du travail pour rappeler que l’employeur garantit la santé et la sécurité de ses salariés.

Les entreprises doivent ainsi retirer trois enseignements de cet arrêt :

 
  • L’employeur doit impérativement organiser les entretiens spécifiques au forfait-jours une fois par an, quelles que soient les contraintes internes ou les absences éventuelles des dirigeants ;
 
  • L’employeur ne peut pas laisser régulièrement un salarié dépasser la durée du forfait-jours ;
 
  • Dès la première alerte du salarié au sujet de sa charge de travail, ou dès lors qu’il n’est pas en mesure de bénéficier de ses temps de repos quotidiens et hebdomadaires, l’employeur doit recevoir le salarié et prendre les mesures adéquates.

De nouveau, la Cour se montre intransigeante sur le suivi effectif et régulier de la charge de travail des salariés en forfait-jours.

Faute pour l’employeur de respecter l’ensemble des prescriptions du Code du travail et de l’accord collectif, le salarié est réputé avoir travaillé 35 heures par semaine et peut ainsi obtenir le paiement d’heures supplémentaires sur les trois dernières années (s’il en a effectivement réalisées), voire de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de santé et sécurité.


Cet article n'engage que ses auteurs.
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Mon, 25 Mar 2024 14:47:52 GMT 5600 8000 1101 3697 628 0 141 414 628 0 La convention de forfait-jours est privée d’effet en cas de retard de l’employeur dans l’organisation de l’entretien annuel, même justifié par des contraintes internes
<![CDATA[Expert-comptable : délimitation stricte de son devoir de conseil à l'étendue de sa mission]]> 7f3998170c5afdabcf87fa6e94c293ae-42312 La Cour de cassation par un arrêt du 14.02 2024 n°22-13.899 FB vient de préciser que : « Lorsqu’un expert-comptable est chargé de la tenue de la comptabilité d’une société et de fournir une aide pour établir les comptes annuels et les documents sociaux et fiscaux de fin d’exercice, son devoir de conseil n’implique pas d’alerter les dirigeants sur les impayés des clients. »

1. Les manquements reprochés

La responsabilité de l’expert-comptable était recherchée par les dirigeants d’une entreprise ayant fait l’objet d’un redressement fiscal. A la suite d’une expertise, l’expert judiciaire avait révélé des anomalies comptables concernant les postes clients, qui l’ont conduit à réviser à la baisse l’actif net de la somme de 100 000 €. La société a alors recherché la responsabilité de son expert-comptable lui faisant grief d’avoir manqué à son devoir de conseil en ne l’alertant pas sur les impayés des clients. 

La société reprochait également à son expert-comptable d’avoir commis des erreurs dans la tenue de la comptabilité, en omettant notamment de passer en pertes des créances irrecouvrables et d’inscrire en compte les conséquences financières du redressement fiscal.  

2. Le périmètre du devoir de conseil de l’expert-comptable dépend de la lettre de mission 

Aux termes de l’article 155 du code de déontologie des professionnels de l’expertise-comptable (décret n°2012-432 du 30 mars 2012), dans la mise en œuvre de chacune de leurs missions, les experts-comptables sont tenus vis-à-vis de leur client ou adhérent à un devoir d’information et de conseil, qu’ils remplissent dans le respect des textes en vigueur.

L’étendue des obligations de l’expert-comptable s’apprécie selon la nature de sa mission. 

La tenue de la comptabilité consiste en l’enregistrement de toutes les pièces comptables d’une entreprise suivant les normes du plan comptable général, alors que la mission de révision des comptes consiste à procéder à l’examen des comptes d’une entreprise à la fin de son exercice. La révision vise à contrôler la situation financière de celle-ci et à apurer le solde des comptes en vue de faciliter l’établissement du bilan comptable.

Pour illustrer la corrélation entre la lettre de mission et l’étendue des obligations de l’expert, dès lors que la mission comptable et sociale intègre la réalisation des fiches de paye, les déclarations sociales (DSN) et les charges sociales, la jurisprudence interprète de manière assez extensive l’étendue des obligations de l’expert-comptable envers son client en rappelant qu’il est le garant des obligations conventionnelles de l’employeur et du respect des textes en vigueur. Cass.com. 17.03.2009 n°07-20.667 (n°261 FS-P+B) CA Versailles 1ER Chambre, Section 1, 8.02.2019. n°17/05526. CA Versailles 13° Chambre, 25.05.2021 n°19/07532.

En l’espèce, eu égard à la nature de la mission consistant en la tenue de la comptabilité sociale et en l’assistance à la présentation des comptes annuels, la Cour de cassation a écarté la responsabilité de l’expert- comptable en jugeant que le devoir de mise en garde de l’expert-comptable n’inclut pas d’alerter les dirigeants sur la situation des impayés clients et la nécessité de relances.

3. Le lien de causalité entre la faute commise et le dommage 

Conformément au régime de la responsabilité contractuelle, il est nécessaire pour retenir la responsabilité de l’expert-comptable que la faute commise ait un lien de causalité avec le dommage subi par le client.

Dans l’arrêt du 14 février 2024, la Cour a jugé que le lien de causalité entre les fautes reprochées et le préjudice n’était pas établi par la demanderesse au motif que le non recouvrement des créances n’était pas lié aux erreurs dans la tenue de la comptabilité, notamment en ne passant pas en perte les créances irrecouvrables, mais à l’ouverture de procédures collectives à l’égard des débiteurs, ou à l’inexistence même de ces créances.

De même le traitement erroné des conséquences du redressement fiscal n’était pas la cause des sommes réclamées par l’administration fiscale. D’ailleurs, la société n’invoquait aucune faute de l’expert-comptable ayant pu contribuer au redressement fiscal. Enfin, pour assurer le suivi des créances clients, la société ne se référait pas à la comptabilité, mais à un document interne établi par un salarié de l’entreprise. Dès lors, l’enregistrement d’une facture dans un compte client erroné n’avait aucun lien de causalité avec le montant des créances clients impayé.
 

4. La recherche préalable d’une conciliation devant l’Ordre des experts-comptables

Avant de rechercher, la responsabilité de l’expert-comptable devant la juridiction compétente, il convient pour le demandeur de rechercher au préalable une conciliation au différend qui l’oppose à son expert-comptable.

En effet, de manière systématique, la lettre de mission signée entre l’expert-comptable et son client stipule qu’avant de saisir la juridiction compétente pour connaître du litige, la commission de déontologie de l’Ordre des experts comptables territorialement compétent doit être saisie d’une demande de conciliation. L’ouverture d’une conciliation et son échec constaté par le procès-verbal du conciliateur sont les conditions préalables à l’assignation de l’expert-comptable devant la juridiction compétente à peine de fin de non-recevoir.(CA DOUAI 3° chambre 21.09.2023 n°21/05909).


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Mon, 25 Mar 2024 12:35:48 GMT 8700 432 1081 664 0 37257 0 37261 0 Expert-comptable : délimitation stricte de son devoir de conseil à l'étendue de sa mission
<![CDATA[Le whisky : juridiquement, de quoi s’agit-il ?]]> 70bcd280925c9104e1647cd668e98c94-42294 À l’occasion de la Saint Patrick, Flavien Meunier et Karen Sammier proposent une Foire aux Questions consacrée à l’une des boissons phares de la célèbre fête irlandaise : le whisky !

1. Le whisky : juridiquement, de quoi s’agit-il ?
2. On dit whisky ou whiskey ?
3. « Single malt » : est-ce une appellation purement marketing ?
4. Est-ce que l’on peut retrouver des additifs ou des colorants dans un whisky ?
5. Restaurants et bars : quelle licence faut-il pour ajouter du whisky à la carte ?
6. Est-ce qu’il est possible de proposer du whisky dans un food-truck ou dans un distributeur automatique ?
7. Est-il possible de commercialiser un whisky faiblement alcoolisé, voire sans alcool ?
8. Est-ce qu’il existe des IGP (indication géographique protégée) pour le whisky ?
9. Est-ce qu’il est possible de commercialiser un whisky « 2 ans d’âge » ?
10. Whisky et bourbon : quelles différences ?
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Fri, 15 Mar 2024 08:55:41 GMT 6300 8400 32 105 37217 0 35 110 682 0 Le whisky : juridiquement, de quoi s’agit-il ?
<![CDATA[Régime indemnitaire du sous-traitant privé de cautionnement et quelques rappels essentiels]]> d396b4b665a89fe161dd89d58f9dd437-42285 Cass, 3ème civ, 7 mars 2024, n° 22-23.309, Publié au bulletin
  Afin de lui faire bénéficier des dispositions protectrices de la Loi du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance, l’entrepreneur principal doit, en application de l’article 3, faire procéder à l’acceptation de son sous-traitant et à l’agrément de ses conditions de paiement par le maître de l’ouvrage.
Le maître de l’ouvrage, qui a connaissance de l’intervention d’un sous-traitant, a l’obligation de mettre en demeure l’entrepreneur principal de s’acquitter de ses obligations prévues à l’article 3 (Cass, 3ème civ, 19 décembre 2012, n° 11-24.607 ; Cass, 3ème civ, 11 septembre 2013, n° 12-21.077).

L’acceptation du sous-traitant et l’agrément de ses conditions de paiement peuvent donc intervenir à tout moment, y compris après la réalisation des travaux et leur réception par le maître d’ouvrage (Cass, 3ème civ, 16 septembre 2003, n° 02-13.366 ; Cass, 3ème civ, 15 mai 2013, n° 12-16.343 ; 12-16.561).

L’article 14 de la Loi du 31 décembre 1975 dispose alors qu’à peine de nullité du sous-traité, les paiements de toutes les sommes qui sont dues par l’entrepreneur principal au sous-traitant, en application de ce sous-traité, doivent être garanties par une caution personnelle et solidaire obtenue par l’entrepreneur principal auprès d’un organisme agréé.

Le cautionnement n’a pas lieu d’être fourni si l’entrepreneur délègue le maître d’ouvrage au sous-traitant dans les termes de l’article 1275 du code civil, à concurrence du montant des prestations exécutées par le sous-traitant.

Au demeurant, la délégation de paiement, qui permet au sous-traitant d’être payé directement par le maître de l’ouvrage, est la règle en matière de marchés publics, en application de l’article 6 de la Loi du 31 décembre 1975.

En faisant du cautionnement une condition déterminante de la validité du contrat de sous-traitance, le législateur a montré sa volonté de renforcer la protection du sous-traitant contre la défaillance de l’entrepreneur principal, en lui garantissant le paiement effectif de ses prestations.

Dans la mesure où la jurisprudence est une condition de validité du sous-traité, la jurisprudence a précisé que la date à laquelle la caution doit être délivrée correspond à la date de conclusion du contrat de sous-traitance (Cass, 3ème civ, 22 octobre 2013, n° 12-26.250).

Sur ce, en vertu de son devoir de contrôle visé à l’article 14-1 de la Loi du 31 décembre 1975, le maître de l’ouvrage doit s’assurer qu’à défaut de délégation de paiement, le sous-traitant bénéficie d’un cautionnement dont les conditions particulières devront avoir été portées à sa connaissance (Cass, 3ème civ, 8 septembre 2010, n° 09-68.724, Publié au bulletin ; Cass, 3ème civ, 21 novembre 2012, n° 11-25.001, Publié au bulletin).

Il ne suffit donc pas pour le maître de l’ouvrage de s’assurer de l’existence d’un cautionnement, puisqu’il lui incombe également de vérifier qu’il s’agit d’un cautionnement efficace.

A défaut, la responsabilité délictuelle du maître d’ouvrage peut être engagée par le sous-traitant sur le fondement des article 14-1 de la Loi du 31 décembre 1975 et 1240 du code civil.

A cet égard, la jurisprudence a précisé que le simple fait, pour le sous-traitant, de ne pas avoir la certitude d’être payé par l’entrepreneur principal des travaux réalisés, constitue un préjudice suffisant pour être déclaré recevable à agir (Cass, 3ème civ, 28 mai 2013, n° 12-22.257 ; Cass, 3ème civ, 18 février 2015, n° 14-10.604 ; 14-10.632).

Dans un arrêt en date du 6 juillet 2023 (Cass, 3ème civ, 6 juillet 2023, n° 21-15.239, Publié au bulletin), la Cour de cassation a néanmoins précisé que l’obligation de vérification du maître de l’ouvrage, de l’efficacité de la garantie de paiement du sous-traitant, ne s’étend pas à sa date de délivrance.

En effet, la sanction qui procède de la tardiveté du cautionnement consiste en la nullité du contrat de sous-traitance, qui ne peut-être que sollicitée par le sous-traité, s’agissant d’une nullité relative.

Sur ce, la date de remise du cautionnement au sous-traité ne constitue pas un critère d’efficacité qui seul doit être vérifié par le maître de l’ouvrage.

A toute fin, il sera précisé que le maître de l’ouvrage ne peut pas arguer de la négligence du sous-traitant, qui n’aura pas sollicité lui-même son agrément, pour s’exonérer même partiellement de sa responsabilité délictuelle.

Il s’entend que tant que le maître de l’ouvrage n’a pas eu connaissance de la présence du sous-traitant, où s’il n’a pas été en mesure d’entreprendre les démarches nécessaires auprès de l’entrepreneur principal compte tenu de la tardiveté de cette information, aucune faute ne peut lui être imputée (Cass, 3ème civ, 29 mars 2011, n° 10-11.916 ; Cass, 3ème civ, 19 décembre 2012, n° 11-24.607).

C’est tout précisément cette notion de connaissance et de bonne foi qui détermine le régime indemnitaire du sous-traité, décidé à engager la responsabilité délictuelle du maître de l’ouvrage, pour avoir été privé des garanties de paiement qui lui étaient dues.

A cet égard, l’arrêt qui a été rendu par la Cour de cassation le 7 mars 2024 (Cass, 3ème civ, 7 mars 2024, n° 22-23.309, Publié au bulletin) a pour grand intérêt de clarifier le régime indemnitaire du sous-traitant, en distinguant très clairement, dans une même décision, la situation du sous-traitant agréé et celle du sous-traitant occulte.

1. S’agissant du sous-traitant occulte, la responsabilité du maître de l’ouvrage procède de son abstention de mettre immédiatement en demeure l’entrepreneur principal de s’acquitter des obligations qui lui incombent en application de l’article 3 de la Loi du 31 décembre 1975, dès lors qu’il a connaissance de l’existence du sous-traitant sur le chantier.
Tant qu’il n’est pas démontré que la présence du sous-traitant est connue du maître d’ouvrage (la sous-traitance industrielle n’impliquant pas nécessairement une présence sur le chantier), sa responsabilité n’est pas susceptible d’être engagée (Cass, 3ème civ, 13 juillet 2016, n° 15-20.779).

C’est la raison pour laquelle le préjudice indemnisable du sous-traitant est déterminé en considération des sommes restant dues par le maître d’ouvrage à l’entrepreneur principal à la date de la connaissance de l’existence du sous-traitant, puisqu’antérieurement aucun manquement ne peut être reproché au maître de l’ouvrage, pas plus qu’il ne peut être justifié, par le sous-traitant, de l’existence d’un préjudice indemnisable dans le cadre d’une action en responsabilité délictuelle (Cass, 3ème civ, 20 octobre 2004, n° 03-11.507 ; Cass, 3ème civ, 14 novembre 2001, n° 00-12-722, Publié au bulletin).

C’est ainsi que, dans un arrêt en date du 16 mars 2023 (Cass, 3ème civ, 16 mars 2023, n° 21-25.726), rendu au visa des articles 1240 du code civil et 14-1 de la Loi du 31 décembre 1975, la Cour de cassation avait déjà indiqué que :

« Il résulte de la combinaison de ces textes que le maître de l’ouvrage, qui a manqué aux obligations lui incombant en application de l’article 14-1 de la Loi précitée, ne peut-être tenu de payer, à titre de dommages intérêts, que des sommes dont il est redevable à l’entrepreneur principal au jour ou il a eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier. »

C’est tout précisément ce que vient confirmer l’arrêt du 7 mars 2023 (Cass, 3ème civ, 7 mars 2023, n° 22-23.309, Publié au bulletin), en indiquant que le préjudice du sous-traitant « s’apprécie au regard de ce que le maître de l’ouvrage reste devoir à l’entrepreneur principal à la date à laquelle il a connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier ou des sommes qui ont été versées à l’entreprise principale postérieurement à cette date. »

2. S’agissant du sous-traitant déclaré, la responsabilité du maître de l’ouvrage découle de sa négligence, pour ne pas s’être assuré de la souscription d’un cautionnement au profit du sous-traitant qui soit effectivement de nature à lui garantir le paiement des travaux réalisés, à défaut de délégation de paiement.

Il en résulte donc de facto que le maître de l’ouvrage a, dans cette situation, une parfaite connaissance de l’existence du sous-traitant, puisqu’il lui aura été préalablement accepté et agréé.

La sanction est donc beaucoup plus directe et radicale, en ce sens que le préjudice indemnisable du sous-traitant doit être alors déterminé par la différence entre les sommes que le sous-traitant aurait dû percevoir de la caution et les sommes qu’il aura effectivement reçues de l’entreprise principale, ce que la Cour de cassation précise à priori pour la première fois dans son arrêt en date du 7 mars 2024, au sujet du sous-traitant agréé.

Il est vrai que la défaillance du maître de l’ouvrage dans son obligation de contrôle aura fait perdre au sous-traitant une chance certaine d’être payé de ses travaux par la caution en cas d’insolvabilité de l’entreprise principale, de sorte qu’il n’y a rien d’anormal à ce que son préjudice soit déterminé à du concurrence de ce dont il aura été privé par la faute du maître de l’ouvrage.


Cet article n'engage que son auteur.]]>
Tue, 12 Mar 2024 07:52:51 GMT 8800 967 2891 37048 0 37257 0 37261 0 Régime indemnitaire du sous-traitant privé de cautionnement et quelques rappels essentiels
<![CDATA[Sur la condition d'application de la responsabilité in solidum]]> 97f75bc3276faac9d26d6c56fe597e49-42277 Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n° 22-18.672
  La responsabilité in solidum est un principe de création purement jurisprudentielle, signifiant que le responsable d’un même dommage peut être condamné à réparer l’intégralité du préjudice de la victime, à charge pour lui de se retourner ensuite vers les co-auteurs à dû concurrence de leur propre part de responsabilité.
Dans sa Lettre du mois de février 2022, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation indiquait à son sujet que : « L’obligation in solidum n'a pas pour objet de mettre à la charge d'une partie les conséquences de la faute des autres mais de résoudre la difficulté tenant à la pluralité des débiteurs de l'obligation de réparation d'un même dommage. L'obligation in solidum évite à la victime de partager son recours, avec les risques que cela comporte en cas d'insolvabilité de certains responsables ».

La jurisprudence rappelle ainsi de façon constante que chacun des coauteurs d’un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné in solidum à le réparer intégralement, dès lors que chacune de ces fautes a concouru à le causer tout entier, sauf le recours entre eux pour déterminer leurs contributions définitives à la dette (Cass, 1ère civ, 19 novembre 2009, n° 08-15.937 ; Cass, 3ème civ, 4 février 2016, n° 14-28.052 : « chaque responsable d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité. ») Le prononcé d’une condamnations in solidum implique donc que les fautes commises respectivement par les constructeurs ont contribué à la réalisation d’un même dommage dans son intégralité (Cass, 3ème civ, 9 juillet 2020, n° 19-16.843). A cet égard, les obligations méconnues peuvent procéder d’un seul et même contrat, dès lors que les fautes commises par les débiteurs ont concouru à la réalisation de l’entier dommage dont chacun doit ainsi réparer l’intégralité (Cass, 3ème civ, 28 mars 1995, n° 93-10.894, Publié au bulletin).

Dans son arrêt en date du 15 février 2024 (Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n° 22-18.672), la Cour de cassation a rappelé que le prononcé d’une condamnation in solidum n’avait pas lieu d’être systématique lorsque plusieurs constructeurs étaient impliqués dans la réalisation d’un même dommage, dès lors qu’ils n’y avaient pas contribué de la même façon dans son intégralité.

Recherchant ainsi si une cause déterminante du dommage n’avait pas suppléée les autres causes, la Cour de cassation a pu considérer que les fautes commises par un des constructeurs avaient, à elles seules, justifié la survenu de l’entier dommage, ce qui n’était pas nécessairement le cas des fautes imputées aux autres lots.

Dans cette affaire, des travaux de rénovation d’une maison d’habitation avaient été entrepris.
En cours de chantier, d’importantes malfaçons avaient été constatées justifiant la démolition de l’ouvrage.

Les premiers juges ont alors condamné in solidum les différents intervenants à l’acte de construire, au motif qu’outre les malfaçons imputables aux travaux de gros-oeuvre, deux autres constructeurs avaient réalisé des travaux qui étaient également affectés de malfaçons importantes.

Il a donc été jugé en appel que les trois constructeurs avaient contribué de manière indissociable à l’intégralité du dommage à l’occasion de la réalisation des travaux.
La décision d’appel a été cassée par l’arrêt de la Cour de cassation du 15 février 2024 (Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n° 22-18.672), au motif que les conditions d’application de la responsabilité in solidum n’étaient pas réunies en l’espèce, dès lors que les fautes commises par le lot gros-oeuvre justifiaient « à elles seules » la démolition d’importants éléments de la structure du bâtiment d’habitation.

Il en résultait donc que les deux autres constructeurs n’avaient pas contribué de manière indissociable à la survenance de l’entier dommage.

Cette décision est l’occasion de rappeler ce qu’il convient d’entendre par le concours des débiteurs à la réalisation d’un même et « entier dommage ».

Dès lors que les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité in solidum sont réunies, la seule réserve des propres recours du locateur d’ouvrage contre les co-auteurs, ne peut affecter l’étendue de son obligation à l’égard de la victime du dommage.
C’est ainsi que dans un arrêt en date du 15 février 2014 (Cass, 3ème civ, 15 février 2014, n° 21-22.457), la Haute juridiction a cassé une décision qui avait rejeté une demande de fixation de créance au passif d’une société, au motif que si la responsabilité de celle-ci dans les désordres était indiscutable, « elle n’était pas la seule. »

Bien entendu, en prononçant une condamnation in solidum, et parce que l’obligation in solidum n'a pas pour objet de mettre à la charge d'une partie les conséquences de la faute des autres parties, le juge ne statue pas sur l’appel en garantie exercé par l’un des codébiteurs condamnés à l’encontre de l’autre, ni ne préjudice de la manière dont la contribution à la dette entre tous les codébiteurs concernés devra s’effectuer (Cass, 2ème civ, 11 avril 2013, n° 11-24.428, Publié au bulletin).

Il appartient donc au juge de répartir entre les co-obligés in solidum leur contribution à la totalité de la dette (Cass, 3ème civ, 21 décembre 2017, n° 16-22.222 ; 17-10.074, Publié au bulletin). Le sujet s’est toutefois posé de savoir s’il n’était pas possible d’exclure conventionnement l’application du principe de responsabilité solidaire ou in solidum.

La jurisprudence l’a très longtemps admis au sujet des contrats d’architectes, au motif qu’il incombait au juge de respecter les dispositions contractuelles excluant les conséquences de la responsabilité solidaire ou in solidum du constructeur à raison des dommages imputables aux autres constructeurs (Cass, 3ème civ, 11 mai 1988, n° 86-19.565 ; Cass, 3ème civ, 19 mars 2013, n° 11-25.266).

Pour autant, procédant à un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt en date du 19 janvier 2022, qu’une telle clause ne pouvait avoir pour conséquence de réduire le droit à réparation du maître de l’ouvrage et donc de faire obstacle à la condamnation de l’architecte, avec celle des autres constructeurs, dès lors que sa faute avait contribué à la réalisation du même dommage (Cass, 3ème civ, 19 janvier 2022, n° 20-15.376).


Cet article n'engage que son auteur.]]>
Mon, 11 Mar 2024 07:59:33 GMT 8800 967 2891 37048 0 37257 0 37261 0 Sur la condition d'application de la responsabilité in solidum
<![CDATA[Responsabilité civile professionnelle : Pas de subsidiaire pour l’auxiliaire !]]> 9d1e3e755ef2d97e58d14db50656b596-42275 « Père gardez-vous à gauche, père gardez-vous à droite » : cette exhortation de Philippe le Hardi au roi Jean le Bon son père en 1356 lors de la bataille de Poitiers contre le prince Noir est toujours d’actualité. Sauf que maintenant il faut l’actualiser ainsi : « Maître, gardez-vous à gauche, Maître gardez-vous à droite » et le Prince Noir ce sont les règles procédurales et juridiques innombrables, complexes et parfois contradictoires qui rendent plus que complexe le travail des professionnels du droit et augmente leur responsabilité civile.

L’avocat - au même titre que les autres professionnels du droit est d’abord un citoyen lambda et par là-même responsable de ses actes : l’article 1231-1 du code civil (ancien 1147cc) le rend responsable de l’inexécution de son contrat.

C’est à dire qu’il doit répondre de sa faute commise dans la représentation, l’assistance et le conseil de son client encore que cette faute fut à l’origine du préjudice.

En réponse à la demande de son client l’avocat et son assureur ont souvent et font encore souvent valoir qu’il n’y a pas de préjudice car le client victime possède une ou d’autres possibilités d’agir contre des tiers pour avoir satisfaction comme récupérer sa créance par exemple contre un autre débiteur ou une caution ou par une autre voie d’exécution.

La Cour de cassation plus sévère à l’égard des professionnels du droit en raison de leurs monopoles et obligations déontologiques a mis le holà pour les avocats dès son arrêt du 19 décembre 2013 (1° Ch. Civ., n° 13-11807,FP+ B+I) : " qu'en se déterminant ainsi, alors qu'est certain le dommage subi par une personne par l'effet de la faute d'un professionnel du droit, quand bien même la victime disposerait, contre un tiers, d'une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation du préjudice et que l'action que M. L. se voyait contraint d'exercer à nouveau contre son débiteur pour être rétabli dans son droit par suite de la situation dommageable créée par les fautes, non contestées, de son avocat, n'était pas de nature à priver la perte de chance invoquée de son caractère actuel et certain, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;"

La constance de cette affirmation de non subsidiarité de la responsabilité civile professionnelle du professionnel de droit s’est manifestée souvent depuis :

Par exemple pour un notaire (Civ. 1°, 25 novembre 2015, n° 14-26245), pour un notaire encore avec un attendu de principe :« Mais attendu qu'après avoir exactement énoncé que le dommage subi par une personne, par la faute d'un professionnel du droit, est un dommage certain quand bien même la victime disposerait, contre un tiers, d'une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation de son préjudice, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que la responsabilité du professionnel du droit n'a pas de caractère subsidiaire, en a, à bon droit, déduit, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la dernière branche que le notaire devait réparer l’intégralité du préjudice subi par la banque; que le moyen n’est pas fondé. » (Civ. 1°, 9 décembre 2015, n°14-25854).

Même solution pour un avocat (Cass. civ. 1, 22-09-2016, n° 15-20.565, FSP+ B) : condamné à indemniser l’assureur qui a payé au-delà de son plafond de garantie au vu du jugement non assorti de l’exécution provisoire pour n’avoir pas invoqué au profit de son client la limitation de garantie : « la faute de l'avocat était constituée par son abstention fautive de se faire communiquer les éléments contractuels élémentaires indispensables à la défense de l'intérêt de sa cliente ». Sévère mais l’assureur n’avait pu récupérer contre l’assureur adverse le trop versé. ( Puis le 8 novembre 2023 belle illustration : un notaire fait la vente d’un bien d’une SCI sans l’accord de celle-ci et verse le prix à une autre SCI; même si le vendeur n’a rien fait pour poursuivre le recouvrement des fonds le notaire est responsable sur le fondement de l’article 1240 (ex 1382) du code civil (Civ. 1°, n° 22-20089).

Une confirmation douloureuse pour les professionnels (vu le montant du sinistre) a été donnée par un arrêt du 24 janvier 2024 de la 1° chambre de la cour de cassation (n° 22-14748) relatif à une SCP d’huissiers responsable de la nullité d’un congé en raisons de la délivrance d‘un acte imparfait même si le préjudice n’était pas réparable

Alors confrères le dernier des Mohicans que je suis (appellation brevetée de notre confrère Jean-Baptiste Maurin avocat honoraire et caricaturiste) vous le répète : « Gardez-vous de tous côtés, votre responsabilité rôde ».


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Fri, 08 Mar 2024 08:32:36 GMT 8700 17606 42 122 775 0 Responsabilité civile professionnelle : Pas de subsidiaire pour l’auxiliaire !
<![CDATA[Congé avec offre de renouvellement à des conditions différentes du bail expiré : la révolution !]]> 232049f5aff15800ce41a9a7c4cf6730-42267 Les praticiens du Droit des Baux Commerciaux connaissaient parfaitement l’articulation du droit d’option prévu à l’article L 145-57 du Code de Commerce. Il est fréquent que le bailleur fasse délivrer un congé avec offre de renouvellement souhaitant une augmentation du loyer et dans le cadre d’un éventuel déplafonnement.

L’article L 145-57 du Code de Commerce prévoit alors que pendant la durée de l’instance relative à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, le locataire est tenu de continuer à payer les loyers échus au prix ancien.

Dès lors que le Juge des loyers commerciaux rend sa décision, dans le délai d’un mois qui suit la signification de cette décision définitive les parties dressent un nouveau bail dans les conditions fixées judiciairement, à moins que le locataire renonce au renouvellement ou que le bailleur refuse celui-ci.

Il est donc possible de changer d’avis jusqu’à la fin d’un délai d’un mois qui suit la signification de la décision définitive fixant le loyer.

En effet, le locataire peut estimer que le loyer est trop important et insupportable.

De même, le bailleur peut, si le loyer n’est pas augmenté comme il le souhaite, procéder à un refus de renouvellement en payant une indemnité d’éviction en espérant pouvoir mieux rentabiliser son patrimoine par la suite.

Il s’agit donc du droit d’option.

Une fois qu’il est purgé par la procédure devant le Juge des loyers commerciaux (qui doit être saisi dans le délai de deux ans prévu à l’article L 145-60 du Code de Commerce), le bail est consolidé avec son nouveau loyer.

Dans l’espèce qui a intéressé la Cour de cassation dans son arrêt du 11 janvier 2024 (Cass.Civ 11 Janvier 2024 n° 22-20.872), le bailleur a fait délivrer une offre de renouvellement du bail à des clauses et conditions différentes du bail expiré, sans pour autant modifier le loyer.

Il s’agissait d’un bail concernant un local commercial à usage de restaurant.

Le bailleur souhaitait modifier la contenance des lieux loués et accroître les obligations d’entretien des locataires.

Les locataires ont alors restitué les lieux loués et ont assigné le bailleur en paiement d’une indemnité d’éviction.

La Cour d’appel de BORDEAUX avait estimé que les modifications contenues dans le congé avec offre de renouvellement exprimaient une offre de régularisation d’un nouveau bail et ne pouvaient s’analyser en un congé sans offre de renouvellement.

La Cour de cassation censure l’arrêt au visa de l’article 1103 du Code Civil.

La Cour de cassation rappelle que le renouvellement d’un bail commercial doit s’opérer aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir du Juge en matière de fixation du nouveau loyer.

Elle considère qu’un congé avec offre de renouvellement du bail à des clauses et conditions différentes du bail expiré, hors le prix du loyer, doit s’analyser comme un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à une indemnité d’éviction et que dès lors en l’espèce que les locataires avaient quitté les lieux, il était impossible au bailleur de faire jouer le droit de repentir prévu à l’article L 145-58 du Code de Commerce.

Cette décision constitue une révolution en matière de Droit des Baux Commerciaux.

En effet, souvent les bailleurs, au-delà du prix du loyer, sont tentés de proposer d’autres modifications du bail.

Personne à ce jour ne se rend compte de l’impact de ces modifications proposées qui peuvent d’ailleurs être anodines.

Il y a donc lieu pour les praticiens d’être particulièrement attentifs à la rédaction des congés avec offre de renouvellement et de réfréner au possible les revendications des bailleurs.


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Tue, 05 Mar 2024 15:04:07 GMT 8800 205 510 622 394 37261 0 Congé avec offre de renouvellement à des conditions différentes du bail expiré : la révolution !
<![CDATA[Prise en charge des préjudices immatériels par l'assureur RC décennale, oui ... mais]]> 037adb4f3aa1d0bad47958c8bc165985-42257 Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n° 22-23.179
Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n° 21-22.457


Il est constant que les dommages immatériels qui sont consécutifs à un désordre matériel de nature décennale ont vocation à être pris en charge par l’assureur RC décennale au titre de ses garanties facultatives (Cass, 3ème civ, 13 juillet 2022, n° 21-13.567 ; Cass, 3ème civ, 7 décembre 2023, n° 22-20.699).

Dans son arrêt en date du 13 juillet 2022, la Haute juridiction a très clairement indiqué, au visa des dispositions de l’article 1792 du code civil que :

« 9. Selon ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

10. Il s'ensuit que tous dommages, matériels et immatériels, consécutifs aux désordres de l'ouvrage, doivent être réparés par le constructeur tenu à garantie en application de ce texte.

11. Pour rejeter la demande d'indemnisation de Mme [B] en réparation de son préjudice économique de jouissance au titre de la garantie décennale, l'arrêt énonce que, en application de l'article 1792 du code civil, celle-ci ne peut prétendre, au titre des désordres, à l'indemnisation des préjudices économiques qu'elle invoque, dès lors que ceux-ci, générés par le non-achèvement de l'ouvrage, relèvent de la responsabilité contractuelle de l'entrepreneur.

12. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que les désordres affectant l'ouvrage non achevé rendaient celui-ci impropre à sa destination, de sorte que le préjudice économique de jouissance était consécutif à ces désordres, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Bien entendu, la mise en œuvre effective du principe de prise en charge implique que la garantie au titre des dommages immatériels consécutifs a bien été souscrite, puisqu’étant facultative dans les contrats d’assurance RC décennale (Cass, 3ème civ, 5 décembre 2019, n° 18-20.181).

Ainsi donc, au nom du principe de réparation intégrale, tous les dommages du maître de l’ouvrage, matériels et immatériels consécutifs aux désordres de nature décennale, doivent être pris en charge par l’assureur RC décennale, mobilisé en base fait générateur, sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du code civil.

Et c’est également le même principe de réparation intégrale qui implique que le maître de l’ouvrage doit être indemnisé de tous ses préjudices, y compris de jouissance, dès lors qu’il est constaté que l’importance des désordres a emporté l’impossibilité d’habiter ou de louer l’ouvrage, ce qui est encore rappelé dans le premier arrêt de la Cour de cassation en date du 15 février 2024 (Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n° 22-23.179) :

« 9 … l’arrêt retient que seuls deux désordres font l’objet d’une indemnisation, que la SCI ne rapporte pas la preuve d’un trouble de jouissance, ni a fortiori d’une privation, fût-elle partielle, de l’appartement et qu’en tout état de cause, et en raison du caractère mineur des désordres, aucun trouble de jouissance ne peut en résulter.

« 10. En statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu que deux désordres rendaient l’ouvrage impropre à sa destination, dont un en raison d’un risque pour la sécurité des personnes, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé. »

Sur ce, il convient donc de ne jamais perdre à l’esprit que :
 
  • La prise en charge par l’assureur RC décennale des dommages immatériels consécutifs à un dommage matériel de nature décennale ne peut pas intervenir au titre de la garantie obligatoire (Cass, 3ème civ, 5 mars 2020, n° 18-15.164), mais uniquement au titre des garanties facultatives du contrat d’assurance RC décennale,
 
  • L’affectation du dommage immatériel à l’assureur RC décennale n’implique pas qu’il soit contraint de prendre en charge les conséquences dommageables de désordres qui ne seraient pas de nature décennale.

C’est tout précisément l’intérêt du deuxième arrêt rendu par la Cour de cassation du même jour (Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n° 22-23.179), qui a cassé l’arrêt d’appel ayant condamné l’assureur RC décennale à prendre en charge l’intégralité des dommages immatériels subis par le maître de l’ouvrage, du fait de l’impossibilité durant plusieurs années de bénéficier de chemins d’accès piétonniers accessibles à tous, d’utiliser une piscine dans des conditions normales et de profiter des espaces verts, tout autant que du retard pris dans l’exécution du chantier, alors que deux désordres seulement étaient de nature décennale, à l’exclusion des autres désordres objectivés qui étaient susceptibles pour leur part de relever du régime de la responsabilité contractuelle après réception (dommages intermédiaires) :

« 20. En statuant ainsi, sans préciser le fondement juridique des responsabilités encourues au titre des préjudices immatériels, après avoir retenu qu’une partie de ceux-ci étaient consécutifs à des désordres de nature décennale tandis que d’autres relevaient de la responsabilité contractuelle de droit commun des intervenants, la cour d’appel, qui n’a pas mis en mesure la Cour de cassation d’exercer son contrôle, a violé le texte susvisé. »
A toute fin, il sera rappelé qu’en cas de résiliation de la police d’assurance, l’assureur RC décennale ne se trouve pas pour autant nécessairement désengagé au titre de la prise en charge des préjudices immatériels.

En effet, par un arrêt en date du 19 janvier 2023 (Cass., 2ème civ., 19 janvier 2023, n° 21-17.221), la Cour de cassation a très clairement indiqué que : « dès lors que le fait générateur de responsabilités est connu de l’assuré au jour de la souscription du (nouveau) contrat, ce fait doit être considéré comme du passé connu. Peu importe que la réclamation de la victime demeure incertaine au moment de la souscription. » 

Cette analyse apparait conforme à l’esprit de l’article L 124-5 alinéa 4 du code des assurances, dont il résulte que l’assureur RC ne couvre pas l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s’il établit que celui-ci avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie.

Le précédent assureur restera donc tenu au titre de la garantie facultative au titre des dommages immatériels consécutifs à un dommage matériel garanti sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du code civil.

Quoi qu’il en soit, pour en revenir à l’arrêt du 15 février 2024, il n’est pas bien sûr qu’il soit systématiquement procédé, avec autant de rigueur, à une décomposition des préjudices immatériels en considération de la nature des dommages matériels dont ils sont la conséquence …
 

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Mon, 04 Mar 2024 13:16:37 GMT 8800 967 2891 37048 0 37257 0 37261 0 Prise en charge des préjudices immatériels par l'assureur RC décennale, oui ... mais
<![CDATA[Responsabilité des diagnostiqueurs, avoir de bons yeux ne suffit pas ...]]> 7f59f49965ea6a0f208e543c814b4e91-42261 A propos de : 

Cass, 3ème civ, 7 décembre 2023, n° 22-22.418 

Cass, 3ème civ, 21 décembre 2023, n° 22-19.369 

 
Si les deux arrêts qui ont été rendus par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation les 7 décembre 2023 (Cass, 3ème civ, 7 décembre 2023, n° 22-22.418) et 21 décembre 2023 (Cass, 3ème civ, 21 décembre 2023, n° 22-19.369) ne sont pas révolutionnaires en matière de responsabilité civile des diagnostiqueurs, ils sont néanmoins l’occasion de rappeler quelques principes essentiels. 
 

I - En premier lieu, s’agissant de l’appréciation de la faute : 

Il est constant que le diagnostiqueur ne peut voir sa responsabilité engagée s’il a réalisé sa mission conformément aux dispositions légales et réglementaires en vigueur. 

Le principe a été très clairement rappelé dans un arrêt en date du 8 juillet 2015 (Cass, 3ème civ, 8 juillet 2015, n° 13-26.686) : 

« Mais attendu qu’il résulte de l’article L 271-4 du CCH que le dossier de diagnostic technique annexé à la promesse de vente ou à l’acte authentique de vente d’un immeuble garantit l’acquéreur contre le risque mentionné au 3° du deuxième alinéa du I de ce texte et que la responsabilité du diagnostiqueur se trouve engagée lorsque le diagnostic n’a pas été réalisé conformément aux normes édictées et aux règles de l’art, et qu’il se révèle erroné. » 

A ce titre, il est constant que le diagnostiqueur n’a pas l’obligation légale ou règlementaire de procéder à des sondages destructifs. 

Pour autant, quand bien même ne s’agit-il que de constats visuels, la jurisprudence s’attache à vérifier que le diagnostiqueur ne s’est pas limité à un simple contrôle visuel et qu’il a bien été procédé à des sondages ou vérifications non destructifs sur les parties visibles du bâtiment, afin de pouvoir conclure de façon suffisamment assurée, et donc sans émettre de réserve, à l’absence de contamination dans les parties non visibles. 

Ainsi donc, bien que réalisé dans les limites légales, réglementaires et contractuelles, le contrôle du diagnostiqueur se doit de présenter des garanties de moyens suffisantes au titre de la bonne exécution de sa mission. 

La charge de la preuve de la défaillance du diagnostiqueur incombe au demandeur (Cass, 3ème civ, 6 juillet 2011, n° 18-18.882 ; Cass, 3ème civ, 14 septembre 2017, n°16-21.942). 

C’est ainsi que le diagnostiqueur, en charge d’une mission complète de diagnostic, ne peut pas limiter son intervention à un contrôle visuel, ni à certaines parties de l’immeuble, de sorte qu’il lui incombe de procéder à une recherche systématique (Cass, 3ème civ, 3 janvier 2006, n° 05-14.380). 

« Qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions soutenant que l’opérateur ne pouvait pas limiter son intervention à un simple contrôle visuel mais devait mettre en œuvre les moyens nécessaires à la bonne exécution de sa mission, tout en relevant que le diagnostiqueur s’était abstenu d’effectuer des sondages non destructifs, notamment sonores, et sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, dès lors qu’il n’avait effectué de repérage que dans les parties visibles, il pouvait conclure à l’absence d’amiante dans les autres parties sans émettre de réserves, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ; 

De façon désormais classique, la jurisprudence considère donc que le diagnostiqueur est tenu d’une obligation contractuelle de moyens accentuée dans l’accomplissement de sa mission (Cass, Ch. Mixte, 8 juillet 2015, n° 13-26.686), la Cour de cassation rappelant de façon constante que le contrôle du diagnostiqueur, notamment en matière de diagnostic amiante, ne doit pas être purement visuel et nécessite la mise en œuvre de vérifications sans pour autant impliquer des travaux destructifs : 

« Mais attendu, d’une part, qu’ayant exactement retenu que le contrôle auquel devait procéder le diagnostiqueur n’était pas purement visuel, mais qu’il lui appartenait d’effectuer les vérifications n’impliquant pas de travaux destructifs et constaté que la société A… n’avait pas testé la résistance des plaques, ni accédé au comble par la trappe en verre située dans le couloir, la cour d’appel a pu en déduire que cette société avait commis une faute dans l’accomplissement de sa mission » (Cass, 3ème civ, 21 mai 2014, n° 13-14.891). 

La jurisprudence est en définitive conforme au texte, puisque l’arrêté du 22 août 2022 prévoit une détection de visu sans travaux destructifs, en l’absence de doute, et à défaut la mise en œuvre d’un examen plus exhaustif, ce qui est repris, s’agissant du diagnostic amiante aux articles L 1334-13, R 1134-15, R 1134-18, R 1134-20 et R 1134-21 du code de la santé publique. 

Dans son arrêt en date du 7 décembre 2023 (Cass, 3ème civ, 7 décembre 2023, n° 22-22.418), la Cour de cassation a donc rappelé de façon synthétique ces différents principes, à savoir que : 

La mission de contrôle du diagnostiqueur est strictement limitée aux conduits et canalisations qui figurent dans la liste des composants de construction à vérifier et non au-delà : 

« Ayant exactement retenu que les conduits et canalisations extérieurs au bâtiment ne figuraient pas dans la liste des composants de construction à vérifier et constaté que le descriptif des éléments inspectés dans le rapport n’en faisait pas mention, elle a pu en déduire que le diagnostiqueur n’avait pas à émettre de réserves sur les canalisations enterrées du jardin, qui ne faisaient pas partie de sa mission de repérage, limitée à l’inspection du bâtiment. »  

La mission de contrôle du diagnostiqueur n’est pas limitée à un simple constat visuel, sans pour autant impliquer la réalisation de sondages destructifs : 

« La cour d’appel a retenu, à bon droit, (…) que le diagnostiqueur d’amiante ne peut se contenter de simples constats visuels mais doit mettre en œuvre les moyens nécessaires à la bonne exécution de sa mission pour autant que les conduits et canalisations soient visibles et accessibles sans travaux destructifs. » 

La charge de la preuve de la défaillance du diagnostiqueur incombe au demandeur : 

« (…) elle a pu retenir, sans inverser la charge de la preuve (…) que M. V… échouait à établir que les canalisations traversant le jardin étaient visibles et pouvaient être inspectées sans travaux destructifs à la date de réalisation du diagnostic. » 

Attention toutefois au diagnostiqueur zélé, qui aurait entrepris de procéder au diagnostic de matériaux ne figurant pas dans la liste, puisque l’arrêt du 21 décembre 2023 précise alors, par dérogation au premier principe posé par l’arrêt du 7 décembre 2023, que : 

« Le diagnostiqueur, qui avait pris l’initiative d’un contrôle portant sur des éléments ne figurant pas dans la liste des points de contrôle obligatoire, devait, en application de l’annexe I de l’arrêté du 22 août 2022, signaler la présence d’amiante au niveau de la couverture du bâtiment principal, comme il l’avait fait pour celle de l’annexe, dont la composition était similaire, dès lors qu’il avait connaissance de la présence d’amiante en cet endroit. »  

II - En seconde lieu, s’agissant de la détermination du préjudice : 

Après avoir limité le préjudice indemnisable à la perte de chance d’avoir évité de prendre en charge tout ou partie des frais de désamiantage (Cass, 3ème civ, 20 mars 2013, n° 12-14.711), la Cour de cassation a retenu le principe d’une indemnisation intégrale (Cass, Ch. mixte, 8 juillet 2015, n° 13-26.686) : 

« la cour d’appel a déduit exactement de ces seuls motifs que les préjudices matériels et de jouissance subis par M. et Mme X… du fait de ce diagnostic erroné avaient un caractère certain et que la société MMA, assureur de la société HDI, leur devait sa garantie. » 

Le même principe a été adopté en présence de termites non signalée dans l’attestation destinée à informer les acquéreurs sur la présence de parasites, le préjudice étant ici encore considéré comme étant constitué et certain (Cass, 3ème civ, 15 octobre 2015, n° 14-18.077). 

Cette analyse est une nouvelle fois confirmée par l’arrêt rendu par la Haute juridiction le 21 décembre 2023 (Cass, 3ème civ, 21 décembre 2023, n° 22-19.369), la cour d’appel ayant pu, à bon droit, « retenir un lien de causalité direct entre la faute commise par ce dernier et le coût des travaux de désamiantage, dont elle a souverainement apprécié le montant. » 

La seule présence d’amiante ou d’un parasite non détecté à tort, caractérise donc pour l’acquéreur la certitude de son préjudice, correspondant au coût des travaux curatifs, dont l’indemnisation doit être alors intégrale. 


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Mon, 04 Mar 2024 08:39:45 GMT 8800 967 2891 37048 0 37257 0 37261 0 Responsabilité des diagnostiqueurs, avoir de bons yeux ne suffit pas ...
<![CDATA[Agents immobiliers : application du statut des agents commerciaux]]> 5a9261e940edbb56aab440902b1454e2-42254 Le statut d’agent commercial est-il applicable aux agents immobiliers ?  Arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2024, n° 22-21.942

En l’espèce, une société immobilière commercialisait des programmes immobiliers pour le compte de promoteurs.

Elle avait conclu avec deux établissements bancaires un partenariat par lequel ceux-ci lui confiaient la mission de vendre une sélection de biens immobiliers.

Cette société a confié à une agence immobilière titulaire de la carte professionnelle d’agent immobilier un « mandat commercial » avec mission de négocier pour le compte de son mandant la vente de programmes immobiliers, pour une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction.

Le contrat a duré près de 5 ans, mais la société mandante a informé l’agence immobilière de la rupture de son contrat, offrant un préavis de deux mois.

L’agence immobilière a refusé ce préavis, a sollicité une indemnité en réparation de la rupture du contrat et l’a assignée en paiement d’une indemnité à ce titre.

La Cour d’appel de VERSAILLES, dans son arrêt du 17 février 2022, a condamné la société mandante à payer à l’agence immobilière la somme de 54 328,96 € à titre d’indemnité de rupture d’un contrat qualifié d’agent commercial.

Or, la société mandante a critiqué cet arrêt, considérant que seules pouvaient être habilitées en vue de la négociation du démarchage par le titulaire d’une carte professionnelle d’agent immobilier des personnes physiques, de sorte que le statut des agents commerciaux n’était pas applicable à une personne morale exerçant une activité soumise à la loi Hoguet du 2 janvier 1970.

Dès lors, il n’y a pas lieu à règlement d’une indemnité compensatrice prévue par le statut des agents commerciaux prévu à l’article L 134-12 du Code de Commerce.

L’article L 134-12 du Code de Commerce prévoit en effet qu’en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

Dans le cadre d’un contrat classique, le respect d’un préavis suffisamment long tenant compte de la durée des relations contractuelles suffit et, sauf attitude fautive non liée à la décision de résiliation, il n’y a théoriquement pas droit à des dommages-intérêts.

Le statut d’agent commercial est donc plus avantageux pour celui qui subit une résiliation de contrat.

Depuis le 21 septembre 2000, c’est l’article L 134-12 du Code Commerce qui prévoit qu’en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

La Cour de cassation a considéré que le titulaire de la carte professionnelle issue de la loi Hoguet a la possibilité d’habiliter une personne à négocier, s’entremettre ou s’engager pour son compte, si celle-ci justifie de l’attestation visée à l’article 9 du décret du 20 juillet 1972 ou si celle-ci est elle-même titulaire de la carte professionnelle.

Dès lors, le statut des agents commerciaux lui est applicable.

Rappelons que l’article 9 du décret du 20 juillet 1972 permet à l’agent immobilier d’habiliter toute personne physique, y compris un agent commercial, à négocier, s’entremettre ou s’engager pour son compte.

Une attestation doit alors lui être délivrée.

Le statut d’agent commercial s’applique donc à l’agent immobilier dans le cadre de relations entre deux personnes morales ou deux personnes physiques.

Cette décision a une conséquence pratique sur la fin des relations contractuelles et peut entraîner le paiement d’une indemnité à la charge du mandant.

Il convient d’être particulièrement attentif dans la rédaction des clauses contractuelles liant le mandant à l’agent immobilier, étant précisé que le Juge a toujours la possibilité, nonobstant des clauses contraires, de requalifier n’importe quelle relation contractuelle en contrat d’agent commercial.


Cet article n'engage que son auteur
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Fri, 01 Mar 2024 15:01:57 GMT 8800 205 510 622 394 37261 0 Agents immobiliers : application du statut des agents commerciaux
<![CDATA[L'architecte est tenu de réaliser un projet qui soit réalisable]]> d9a6450167c18f401d004d1ed5c4d52c-42253 Dans le cadre de cette affaire, un architecte s’était vu confier par des maîtres de l’ouvrage la mission d’établir les avants projets, le dossier de permis de construire et de consulter des entreprises sous la forme d’un appel d’offres. L’architecte avait alors conseillé au maître de l’ouvrage de réaliser une étude de sol.
La preuve de cette information était rapportée par la mention qui en avait été faite dans les documents préparés par l’architecte et qui avaient été remis aux maîtres de l’ouvrage, ce qu’il ne pouvait dès lors pas contester.

En définitive, l’étude de sol n’avait pas été réalisée.

Postérieurement à la réception des ouvrages, des désordres de fissurations sont apparus sur le gros œuvre tenant à l’absence de prise en compte des contraintes du sol, ce qui aurait pu être évité par la réalisation de l’étude de sol qui avait été conseillée avant la réalisation des travaux.

La responsabilité de l’architecte ayant été recherchée sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du code civil, dès lors que les désordres objectivés étaient de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination, le maître de l’ouvrage s’était vu opposer sa propre faute et à tout le moins son acceptation des risques découlant de la non-réalisation de l’étude de sol qui avait été prodiguée.

Par un arrêt en date du 15 février 2024 (Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n° 22-23.682), la Cour de cassation a balayé cette argumentation, en indiquant que : 

« L’architecte, auteur d’un projet architectural et chargé d’établir les documents du permis de construire, doit proposer un projet réalisable, tenant compte des contraintes du sol. »

La Haute juridiction confirme ainsi sa position précédemment adoptée dans un arrêt publié du 21 novembre 2019 (Cass, 3ème civ, 21 novembre 2019, n° 16-23.509), au terme duquel elle avait déjà retenu que l’architecte, auteur d’un projet architectural et chargé d’établir les documents du permis de construire, avait « pour mission de proposer un projet réalisable, qui tienne donc compte des contraintes du sol. » (voir également dans le même sens : Cass, 3ème civ, 25 février 1998, n° 96-10.598, également publié au bulletin).

Dans le cadre de cette affaire, les désordres étaient imputables à la déstabilisation d’un remblai dont le maître de l’ouvrage s’était réservé la réalisation, étant alors reproché à l’architecte, en phase de conception, d’avoir proposé un projet qui ne tenait pas compte des contraintes du sol et qui n’était donc pas réalisable. 

Informer le maître de l’ouvrage de la nécessité de réaliser une étude de sol ne suffit donc pas pour exonérer l’architecte de sa responsabilité, puisqu’il peut toujours lui être reproché d’avoir poursuivi ses études sans avoir disposé des moyens nécessaires pour s’assurer du caractère effectivement réalisable du projet.

La seule dérogation à ce principe peut toujours découler de l’acceptation délibérée des risques par le maître de l’ouvrage, ce qui implique une certaine exigence probatoire à la charge de l’architecte, la Haute juridiction ne manquant pas d’indiquer, à cet égard, dans son arrêt en date du 25 février 2024, que si les désordres étaient imputables à l’absence de prise en compte des contraintes du sol, ce qui était imputable à l’architecte, celui-ci ne caractérisait pas l’acceptation délibérée des risques par les maîtres de l’ouvrage. 

Dans cette même décision, l’arrêt d’appel est également cassé pour avoir prononcé la mise hors de cause du BET structure qui avait réalisé les plans d’armature du dossier de consultation des entreprises, tout en avertissant également de la nécessité de dimensionner les fondations après la réalisation d’une étude de sol, faute par les maîtres de l’ouvrage de justifier de la remise des plans de dimensionnement à l’entreprise exécutante (ce qui impliquait la réalisation de l’étude de sol), la Cour de cassation répondant de façon tout aussi claire « qu’il appartient au locateur d’ouvrage de démontrer l’existence d’une cause étrangère l’exonérant de sa responsabilité », qui n’était pas caractérisée en l’espèce malgré l’information délivrée.

De façon plus générale, dans un arrêt en date du 9 mars 2022 (Cass, 3ème civ, 9 mars 2022, n° 20-19.598), la Cour de cassation a été amenée à rappeler, sur le fondement des dispositions de l’article 1147 du code civil (devenu article 1231-1) que : « Il résulte de ce texte que l’architecte, tenu de concevoir un projet réalisable, a un devoir de conseil à l’égard du maître de l’ouvrage sur la faisabilité de l’opération dont il est le maître d’œuvre. »

Il avait alors été reproché à l’architecte d’avoir manqué à son devoir de conseil envers le maître de l’ouvrage, en ne déconseillant pas la réalisation d’un projet en méconnaissance des clauses et servitudes qui limitaient le droit de construire.

Le principe de l’obligation imposée à l’architecte de « concevoir un projet réalisable » vaut donc non seulement à l’égard des principes constructifs, qu’à l’égard des règles d’urbanisme (Cass, 3ème civ, 4 mai 2016, n° 15-13.972 : pour la mise en cause de la responsabilité de l’architecte à la suite de l’annulation du permis de construire pour erreur manifeste d’appréciation, au motif que la déclivité de l’accès et l’absence de trottoir présentait un risque pour la circulation de piétons). 

Il en découle également l’obligation pour l’architecte, afin de remettre un projet qui soit effectivement réalisable, de s’enquérir en amont des intentions et des besoins du maître de l’ouvrage, qu’il n’exprimera pas nécessairement de façon volontaire dans le cadre de la définition de son projet.
C’est ainsi que dans un arrêt en date du 2 juin 2016 (Cass, 3ème civ, 2 juin 2016, n° 15-16.981, publié au bulletin), la Haute juridiction a été amenée à considérer que manque à son devoir de conseil un architecte et un bureau d’étude qui, même si le maître de l’ouvrage ne justifie pas avoir informé- les concepteurs de leur souhait de faire circuler des charges lourdes à l’intérieur de l’ouvrage, auraient dû, « compte tenu des caractéristiques et du mode d’exploitation de l’ouvrage », émettre des préconisations sur le sujet des charges roulantes.

A bon entendeur …

 
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Fri, 01 Mar 2024 13:53:32 GMT 8800 967 2891 37048 0 37257 0 37261 0 L'architecte est tenu de réaliser un projet qui soit réalisable
<![CDATA[Présomption de connaissance du vice caché : ne pas confondre « Professionnel » et « Vendeur professionnel »]]> 2c90f710b89e811f1368d0a48804d255-42251 Dans une décision du 17 janvier 2024 (pourvoi 21-23.909 F-B), la Cour de Cassation a eu l’occasion de rappeler qu’en matière de vices cachés, il existe une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel, mais également que « vendeur professionnel » n’est pas synonyme de « professionnel ».

Le contexte :

Il ressort des dispositions de l’article 1641 du Code civil que « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. », et de celles de l’article 1645 du même Code que « si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur ».

Sur la base de ces articles, un certain nombre de principes généraux sont appliqués régulièrement par les Tribunaux.

Il ressort notamment du régime applicable à la notion de vices cachés : qu’elle s’applique à la vente de toute marchandise et de tout objet ; que les Juges du fond apprécient souverainement si la chose vendue est impropre à sa destination, ou qu’en matière de preuve, il incombe à l’acheteur de rapporter la preuve du vice caché et de ses différents caractères.

Des assouplissements existent néanmoins et il a été considéré à ce titre qu’une Cour d’appel ne méconnait pas les règles relatives à la charge de la preuve en énonçant que l’incendie d’une machine a révélé l’existence d’un vice de construction dès lors qu’elle était peu ancienne, bien entretenue et récemment révisée, et qu’une imprudence ou un sabotage n’étaient pas allégués (Cour de Cassation, 1re chambre civile du 16 octobre 2021, Pourvoi 91-13 463) ou encore qu’il existe des présomptions de connaissance des vices cachés et notamment lorsqu’il s’agit de faire application des dispositions de l’article 1645 du Code civil.

Le cadre juridique :

Il ressort des dispositions de l’article 1645 du Code de procédure Civile, qu’outre l’indemnisation de la chose, le vendeur est tenu de tous dommages et intérêts envers l’acheteur.

Cet article subordonne son application à la connaissance par le vendeur des vices affectant la chose, par opposition aux dispositions de l’article 1646 du Code civil selon lequel le vendeur qui ignore les vices de la chose n’est tenu qu’à la restitution du prix et à rembourser à l’acquéreur les frais occasionnés par la vente.

L’application de cet article 1645 a conduit la jurisprudence à opérer une distinction entre les vendeurs occasionnels qui sont présumés ne pas connaître le vice, et les vendeurs professionnels qui sont présumés de manière irréfragable connaître le vice affectant la chose.

La Cour de Cassation a par exemple eu l’occasion de le rappeler dans une décision du 14 novembre 2019 rendue par la Chambre Commerciale (pourvoi 18-14502) dans lequel la Cour rappelait au visa de l’article 1645 du Code civil que « que pour limiter la condamnation de la société Jige international à la restitution du prix de vente et rejeter la demande de la société Depanoto en paiement de dommages-intérêts, l'arrêt relève qu'aucun élément ne permet de retenir que la société Jige international avait, à la date de la vente, connaissance des vices affectant le véhicule ; Qu'en statuant ainsi, alors que le vendeur professionnel est présumé connaître les vices de la chose vendue, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; ».

Le cas d’espèce :

Dans l’affaire ici commentée, deux sociétés ont conclu un contrat de vente ayant pour objet un tracteur.

L’acquéreur - dont l’activité professionnelle ne consistait pas en la vente habituelle de véhicules selon ses dires - donnait en location-vente l’engin agricole à un tiers exploitant une entreprise de débardage.

Par suite d’un incendie, qui entrainait la destruction du tracteur, ainsi que des dommages collatéraux, une action a été introduite sur le fondement des vices cachés afin de réclamer l’indemnisation du véhicule et la réparation des conséquences préjudiciables causées par l’incendie. 

Dans le cadre de la procédure, la Cour d’appel condamnait l’entreprise venderesse à restituer le prix de vente du véhicule, et au paiement de dommages et intérêts envers l’acquéreur sur le fondement de l’article 1645 du Code civil, considérant qu’elle devait être qualifiée de « vendeur professionnel », et donc se voir appliquer la présomption irréfragable de connaissance du vice.

A l’occasion du pourvoi en cassation, le requérant faisait grief à la Cour d’appel de lui avoir appliqué le régime de présomption irréfragable en dépit de sa qualité de professionnel de travaux forestiers, qui ne permettait pas - selon lui - de le considérer valablement « vendeur professionnel ». 

La Cour d’Appel semblait considérer pour sa part que la qualité de « professionnel » suffisait à voir appliquer le régime de présomption irréfragable qui concerne le « vendeur professionnel » : il s’agissait donc potentiellement d’un élargissement de la notion pour étendre la présomption irréfragable à l’ensemble des professionnels, avec des conséquences significatives sur le plan pratique.

La Cour de Cassation censurait toutefois cette position pour défaut de base légale sur le fondement de l’article 1645 du Code civil et après avoir rappelé qu’il « résulte de ce texte une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, qui l'oblige à réparer l'intégralité de tous les dommages qui en sont la conséquence », mais tout en rappelant que les Juges du fond doivent qualifier la notion de « vendeur professionnel ».

La Cour de cassation relevant en l’occurrence que le requérant au pourvoi étant un professionnel des travaux forestiers, la Cour d’appel ne pouvait le considérer nécessairement « vendeur professionnel » sans rechercher s’il se livrait de façon habituelle à la vente d'engins agricoles.

C’est ainsi que la Cour de Cassation vient rappeler que le « professionnel » ne doit pas être nécessairement assimilé à un « vendeur professionnel », et qu’elle s’oppose par la même occasion à l’élargissement de la présomption irréfragable aux simples professionnels.

La Cour de cassation semble ici s’inscrire dans la droite ligne de sa jurisprudence en ce qu’elle opérait avant cet arrêt une distinction entre le « professionnel » et le « vendeur professionnel » dans le cadre du régime applicable.

L’appréciation de la notion de « vendeur professionnel » semble devoir se faire in concreto et au regard du caractère habituel de l’activité exercée dans le cadre de la vente d’engins agricoles ; cette notion « d’habitude » n’étant toutefois pas définie précisément par l’arrêt.



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Fri, 01 Mar 2024 13:11:31 GMT 6100 8100 1230 4645 37279 0 Présomption de connaissance du vice caché : ne pas confondre « Professionnel » et « Vendeur professionnel »
<![CDATA[Convention d’occupation précaire : Pas d’obligation de délivrance]]> 054dc98b329e8837d6429c4840c88268-42237 Par un arrêt rendu le 11 janvier 2024 (Cass. 3ème civ., 11 janvier 2024, n°22-16.974), la troisième chambre civile de la Cour de cassation confirme que la convention d’occupation précaire n’est pas un bail, et en déduit que l’occupant à titre précaire ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 1719 du Code civil, mais doit établir un manquement de son cocontractant à ses obligations contractuelles. Plus particulièrement, à la suite d’un dégât des eaux, un occupant précaire a assigné le propriétaire du local mis à sa disposition, ainsi que son assureur, en indemnisation de son préjudice. La cour d’appel a fait droit à sa demande, en condamnant les défendeurs au paiement de dommages et intérêts au visa de l’article 1147 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-1331 du 10 février 2016. 

Pour la Cour d’appel en effet, l’existence d’infiltrations dans le local caractérisait un manquement du propriétaire à son obligation de délivrance, prévue par l’article 1719 du Code civil. Or, et en vertu de l’article 1147 du Code civil, dans sa version applicable à la cause, le débiteur d’une obligation doit être condamné au paiement de dommages et intérêts en cas d’inexécution ou de retard dans l’exécution, sauf cause étrangère.

Ce raisonnement est censuré par la Haute juridiction qui, reprenant une décision antérieure (Cass. 3ème civ., 19 nov. 2014, n°13-20.089), rappelle que la convention d’occupation précaire n’est pas un bail. Partant, les dispositions légales relatives aux baux ne lui sont pas applicables ; il revenait alors à l’occupant qui souhaitait obtenir réparation d’établir un manquement contractuel de son cocontractant, la convention d’occupation précaire n’étant régie que par les prévisions contractuelles des parties.

Pour mémoire, d’origine prétorienne, la convention d’occupation précaire est définie, depuis la loi n°2014-626 du 18 juin 2014 (dite « loi Pinel »), par l’article L. 145-5-1 du Code de commerce comme une convention aux termes de laquelle un occupant est autorisé à occuper les lieux jusqu’à ce qu’un évènement, indépendant de la seule volonté des parties, se réalise, reprenant ainsi sensiblement celle précédemment retenue par la Cour de cassation (Cass. 3ème civ., 19 nov. 2003, n°02-15.887).

Il s’agit ainsi souvent pour les parties de ne pas se lier par un bail dans l’hypothèse où l’occupation, motivée par des circonstances exceptionnelles, est susceptible de prendre fin à tout moment, à l’initiative du propriétaire. Ces conventions sont exclues du champ d’application du statut des baux commerciaux en raison de leur durée.

Sachant que la Cour de cassation veille particulièrement au contrôle par les juges du fond de l’existence d’une cause légitime et réelle de précarité au jour de la conclusion de la convention (Cass. 3ème civ., 14 avr. 2015, n°14-10.128).

S’il était ainsi admis que la convention d’occupation précaire ne relevait pas du statut des baux commerciaux, la Haute juridiction a poussé le raisonnement plus loin, en excluant plus radicalement la qualification de bail.

Cette solution peut s’expliquer par l’absence de stabilité dans le temps de l’occupation conférée par la convention, contrairement au bail, dont l’inscription de la jouissance dans le temps constituerait l’un des éléments constitutifs.

Par suite, un occupant à titre précaire ne peut se prévaloir du droit commun du louage, qui ne trouve pas à s’appliquer à la convention, même à titre supplétif des volontés.

Or, l’article 1719 du Code civil figure au sein du Chapitre II du Titre VIII du Code civil, relatif au louage des choses, et impose au bailleur de respecter diverses obligations, parmi lesquelles celle de délivrer au preneur la chose louée et de l’entretenir en cours d’exécution du bail. La convention d’occupation précaire n’étant pas un bail, ces obligations de délivrance et d’entretien ne doit nullement être respectée par le propriétaire, à défaut de stipulation contraire.

En effet, dès lors que le droit commun du louage est exclu, la convention d’occupation précaire est uniquement régie par ses clauses et conditions. Il revient ainsi aux parties de prévoir expressément les obligations incombant à chacune d’entre elles, voire de se référer explicitement au droit commun du louage pour en garantir l’application. 

Cette solution a pu être critiquée, dans la mesure où toute location suppose une jouissance de la chose louée, qui se traduit par une obligation de délivrance et une obligation d’entretien de cette chose (« Nature sui generis de la convention d’occupation précaire », L. Molina, L’Essentiel Droit des contrats n°2, p. 6, 7 févr. 2024).

Certains auteurs se sont interrogés sur le recours, pour l’occupant à titre précaire, au droit commun des obligations, et notamment aux articles 1106, 1163 et 1166 du Code civil, définissant le contrat synallagmatique, et se rapportant à la notion de prestation en tant qu’objet de l’obligation.

S’il eut pu être envisageable de se fonder sur ces dispositions pour sanctionner un propriétaire qui n’aurait pas fourni, dès l’origine, le local objet de la convention, il semble toutefois plus délicat de les invoquer pour justifier une obligation d’entretien du local pendant toute la durée de l’occupation, compte tenu de la précarité de celle-ci (« Régime de la convention d’occupation précaire », J.-D. Barbier et S. Valade, D. actualité, 26 janv. 2024).

Pour d’autres d’auteurs, l’article 1188 du Code civil, alinéa 2, permettrait d’interpréter la convention d’occupation précaire dans le sens qu’une personne raisonnable lui donnerait, afin d’y inclure une obligation de délivrance (L. Molina, infra).

En l’état, et afin de prémunir les parties de toute éventuelle difficulté, il leur est vivement conseillé, au stade de la conclusion de la convention, de prendre soin à la rédaction de leurs obligations respectives.


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Thu, 29 Feb 2024 07:18:36 GMT 8800 1258 4879 799 0 Convention d’occupation précaire : Pas d’obligation de délivrance
<![CDATA[La violation, même temporaire, de la clause de non-concurrence emporte la perte définitive du droit à la contrepartie financière]]> a01ea2a19962ba65c29833892f0f2bb8-42232 La clause de non-concurrence, de par son atteinte à la liberté de travail du salarié, doit répondre à des conditions de validité précises et notamment prévoir une contrepartie financière pour le salarié. Si le salarié perd nécessairement sa contrepartie financière en cas de renonciation à la clause de non-concurrence, il peut aussi la perdre en d’autres circonstances et notamment en cas de violation de cette clause.

En effet, la violation de la clause de non-concurrence, même temporaire, peut coûter cher au salarié puisqu’il peut perdre de manière définitive le droit au paiement de sa contrepartie financière.

I. La contrepartie financière, condition sine qua none de validité de la clause de non-concurrence

Le Code du travail est silencieux s’agissant de la clause de non-concurrence.
Les juges se sont alors saisis de la question dans le but de déterminer les conditions de validité et les contours de la clause de non-concurrence.

L’existence d’un tel type de clause trouve son origine dans la protection des intérêts légitimes de l’entreprise. Il n’est pas rare qu’une entreprise ait besoin de limiter le périmètre de recherche d’emploi de son ancien salarié afin de protéger sa clientèle, des secrets de fabrication ou tout autre intérêt légitime.

Mais, cette protection de l’entreprise restreint la liberté de travailler du salarié. C’est la raison pour laquelle cette interdiction doit être limitée dans le temps et dans l’espace.

Au-delà de l’obligation d’inscrire par écrit cette clause, dans le contrat de travail ou un avenant, la Cour de cassation a posé quatre conditions de validité cumulatives, selon lesquelles :
 
  • L’interdiction de travail doit être limitée dans le temps ;
  • Et dans l’espace ;
  • Elle doit protéger les intérêts légitimes de l’entreprise ;
  • Et prévoir une contrepartie financière (Cass. Soc. 10 juillet 2002 n°00-45.135).
Plus particulièrement, cette contrepartie financière doit être suffisante et ne pas être dérisoire.

Comme son nom l’indique, cette contrepartie financière a pour objectif la compensation de la limite à la liberté de travail du salarié, le restreignant dans ses recherches d’emploi.

Dès lors qu’advient-il du paiement de cette contrepartie lorsque l’interdiction de non-concurrence est outrepassée ?
 

II. Le versement de la contrepartie financière subordonné au respect de la clause de non-concurrence

A la rupture du contrat de travail, si le salarié n’est pas libéré de son obligation de non-concurrence, il est, par principe, tenu de respecter les conditions qui y sont fixées.
Le versement de la contrepartie financière est conditionné au respect de l’interdiction qu’elle prévoit (Cass. Soc. 5 mai 2004 n°01-40.194).

Le salarié qui n’en respecterait pas l’interdiction et qui violerait la clause de non-concurrence ne peut pas valablement prétendre au paiement de sa contrepartie financière.

La Cour de cassation a récemment rappelé que le droit à la contrepartie financière n’est pas acquis, et que la violation par le salarié de sa clause de non-concurrence lui fait perdre cette contrepartie pour l’avenir.

Quand bien même la violation n’est que temporaire ! (Cass. Soc. 24 janvier 2024 n°22-20.926)

La position des juges suit la logique de l’existence même de cette contrepartie. Si le salarié ne respecte pas l’interdiction de travail imposée par la clause de non-concurrence, il n’a plus aucune atteinte à sa liberté de travail qui mérite d’être compensée par le versement de cette contrepartie.
Mais, ce n’est pas le seul risque auquel s’expose le salarié…

III. La pluralité de sanctions en cas de violation de la clause de non-concurrence

Au-delà de la perte de la contrepartie financière pour l’avenir, en cas de violation de la clause de non-concurrence, l’entreprise est bien fondée à solliciter le remboursement des sommes versées au titre de la contrepartie financière, pour l’intégralité de la période de violation.

Ainsi, l’entreprise qui se rend compte après plusieurs mois que son salarié ne respecte pas les modalités de la clause de non-concurrence peut, outre le fait de stopper le versement de la contrepartie, en solliciter le remboursement depuis le jour de la violation.
A condition que l’entreprise puisse prouver cette violation par des éléments objectifs et matériellement vérifiables.

Mais, le salarié conserve la contrepartie financière perçue au titre de la période antérieure à la violation de l’interdiction (Cass. Soc. 18 février 2003 n°01-40.194).

Finalement, la violation par un salarié de sa clause de non-concurrence peut s’avérer onéreuse car les sanctions relatives à la contrepartie financière ne sont pas les seules encourues.

La clause de non-concurrence peut prévoir une clause pénale, prévoyant le versement automatique d’une indemnité à l’entreprise.

Puis, l’entreprise lésée peut, compte tenu du préjudice qu’elle subit, solliciter des dommages et intérêts, la cessation de l’activité concurrente, voire intenter une action en justice contre le nouvel employeur du salarié fondée sur la concurrence déloyale.


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Wed, 28 Feb 2024 16:36:53 GMT 5600 7700 1257 4897 37044 0 La violation, même temporaire, de la clause de non-concurrence emporte la perte définitive du droit à la contrepartie financière
<![CDATA[Bail commercial : Bailleurs : attention aux termes du congé délivré avec offre de renouvellement !]]> 9444fa07bac24944bbdfc42548cdd281-42236 Un congé délivré avec offre de renouvellement à des conditions différentes du bail expiré équivaut en un congé sans offre de renouvellement : le bailleur doit payer une indemnité d’éviction. C’est l’objet du rappel de la 3ème chambre civile de la Cour de Cassation dans un arrêt publié du 11 janvier 2024 (pourvoi n° 22-20.872).

La Cour de Cassation réaffirme ainsi le principe selon lequel, sauf convention contraire, le renouvellement se fait aux clauses et conditions du bail expiré.

Dès lors, si le bailleur qui donne congé et donc met un terme au bail, propose un renouvellement à des conditions différentes du bail expiré (en l’espèce, il proposait des modifications portant atteinte à la fois à la contenance des lieux loués et aux obligations du preneur), il est considéré comme refusant le renouvellement.

La Cour rappelle toutefois l’exception du prix : si le bailleur propose le renouvellement aux mêmes clauses et conditions à l’exception du prix, il s’agira quand même d’une offre de renouvellement. En cas de désaccord, il appartiendra au Juge de fixer le prix du bail renouvelé (si l’une ou l’autre des parties le saisit dans les deux ans, à défaut de quoi le prix du bail expiré demeurera).

Il est donc conseillé d’être vigilant dans les termes employés dans les actes des commissaires de Justice délivrant congé avec offre de renouvellement : si le bailleur ne veut pas payer d’indemnité d’éviction, il devra veiller à proposer un renouvellement aux clauses et conditions du bail expiré.

De précédents arrêts avaient toléré de légères modifications : est-ce que cela sera encore le cas ?

On peut penser que, a minima, les modifications proposées dans l’offre de renouvellement, qui touchent à des évolutions législatives portant sur des articles d’ordre public, ne vaudront pas refus de renouvellement.


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Wed, 28 Feb 2024 14:52:39 GMT 8800 429 1053 4670 213 37261 0 Bail commercial : Bailleurs : attention aux termes du congé délivré avec offre de renouvellement !
<![CDATA[Entrepreneur individuel : l’insaisissabilité de la résidence principale a ses limites]]> eebb86912cb3cc808a6439d7f48bd764-42216 Dans un arrêt du 13 décembre 2023 (22-19.749), la Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue préciser les limites du principe de l’insaisissabilité de la résidence d’un entrepreneur individuel ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire. L’article L. 526-1 du Code de commerce énonce les modalités de l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel. Depuis la loi dite Macron du 6 août 2015[1], il n’est plus nécessaire à l’entrepreneur individuel de procéder à une déclaration notariée d’insaisissabilité concernant sa résidence principale.

Ces dispositions légales visent à protéger le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel en créant une distinction entre un patrimoine professionnel, constituant le gage commun des créanciers, et un patrimoine personnel qui échapperait à des poursuites trouvant leur origine dans l’activité professionnelle de l’entrepreneur.

Cette distinction de deux patrimoines, qui a donc un effet purement réel, s’est rapidement retrouvée confrontée à la réalité des procédures collectives qui, comme souvent, a soulevé un certain nombre de questions auxquelles l’arrêt commenté du 13 décembre 2023 contribue à apporter des éléments de réponse. 

Les faits sont extrêmement classiques puisqu’en 2001 une banque avait financé, par un prêt immobilier, l’acquisition par un entrepreneur individuel et son épouse de leur résidence principale.

De manière là encore habituelle, ce prêt était garanti à la foi par une inscription de privilège de prêteur de deniers (PPD) et une hypothèque conventionnelle.

En 2013, une banque concurrente de la première a cette fois consenti un prêt professionnel à l’entrepreneur. Ce prêt était également garanti par une hypothèque conventionnelle prise sur le même immeuble servant à la foi de domicile et de lieu de travail à l’emprunteur.

L’entrepreneur a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire convertie en 2016 en liquidation judiciaire et les deux établissements bancaires ont régulièrement déclaré leurs créances.

La procédure de liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d’actif le 3 avril 2018.

Le 7 janvier 2021, la première banque a fait signifier à l’entrepreneur et à son épouse un commandement de payer valant saisie immobilière. La seconde banque, créancière professionnelle, a déclaré sa créance dans le cadre de cette procédure de saisie immobilière.

Le 20 janvier 2022, le juge de l’exécution a déclaré irrecevable l’action engagée par les établissements bancaires à l’encontre des époux.

La première banque a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel de Rennes qui a, au visa de l’article L. 643-11 du Code de commerce, décidé que la banque n’avait pas le droit d’engager une procédure de saisie immobilière à l’encontre des époux après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif et que, dès lors, son action était irrecevable[2].

La banque poursuivante a formé un pourvoi en cassation et la Cour de cassation, dans son arrêt 13 décembre 2023, a rappelé que « le créancier auquel l’insaisissabilité de la résidence principale est inopposable peut, même après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, exercer son droit de poursuite sur l’immeuble, qui n’était pas entré dans le gage commun des créanciers de la liquidation judiciaire ».

La Cour de cassation a donc cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel de RENNES au visa des articles L. 526-1 et L. 643-11 du Code de commerce.

Cette solution apparait comme logique puisque l’article L. 526-1 du Code de commerce fait échapper la résidence principale de l’entrepreneur individuel aux seuls créanciers professionnels de ce dernier.

Cet immeuble est donc seulement de droit « insaisissable par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne [3]».

Or les droits du premier établissement bancaire n’étaient pas nés à l’occasion de l’activité professionnelle du débiteur puisqu’il s’agissait d’un prêt immobilier devant servir à l’acquisition de sa résidence principale indépendamment de son activité professionnelle.
L’article L. 526-1 et donc l’insaisissabilité de l’immeuble n’étaient donc pas opposable à ce créancier.

La Cour rappelle qu’en application de l’article L. 526-1 du Code de commerce, l’immeuble n’a pas pu être appréhendé par la procédure collective et n’est donc pas entré dans le gage commun des créanciers.

Cette décision rappelle donc le principe de l’effet réel de la procédure collective.
L’effet réel de la procédure collective est classiquement défini comme : « l’effet de saisie des biens du débiteur par la collectivité de ses créanciers représentée par le mandataire de justice »[4].

Or, puisque l’immeuble, en qualité de résidence principale du débiteur, échappait à l’effet réel de la procédure collective, la première banque aurait en principe pu agir, y compris pendant la procédure collective, sur ce bien qui en était exclu.

A fortiori, si le créancier pouvait agir pendant la procédure collective, la Cour de cassation ne voit pas ce qui lui interdirait d’agir après la clôture de celle-ci.

En d’autres termes, l’article L. 643-11 du Code de commerce n’est pas applicable puisqu’il n’est pas question pour le créancier de « recouvrer » un droit de poursuite individuel postérieurement à la clôture de la procédure collective. Ce droit n’a en effet jamais été perdu par le créancier.

La Cour de cassation a encore confirmé ce raisonnement en le précisant par un arrêt du 17 janvier 2024[5] dans lequel elle rappelle que « le créancier auquel l'insaisissabilité de plein droit de la résidence principale du débiteur est inopposable peut, même après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, exercer son droit de poursuite sur l'immeuble qui n'est pas entré dans le gage commun des créanciers de la liquidation judiciaire. Il ne peut, en revanche, après cette clôture […], recouvrer l'exercice individuel de ses actions » qui concerneraient d’autres éléments du patrimoine du débiteur entrés dans le gage commun des créanciers par l’effet réel de la procédure collective.


Cet article n'engage que son auteur.
 

[1] LOI n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
[2] Cour d’appel de RENNES, 1ère Chambre, 8 juin 2022, n°22/00454
[3] Article L. 526-1 du Code de commerce
[4] Marc Sénéchal, « L’effet réel de la procédure collective : Essai sur la saisie collective du gage commun des créanciers », LexisNexis, 2002
[5] Cour de cassation, Chambre commerciale, 17 janvier 2024, 22-20.185, Publié au bulletin
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Tue, 27 Feb 2024 10:44:40 GMT 9200 1197 4428 786 0 37028 0 Entrepreneur individuel : l’insaisissabilité de la résidence principale a ses limites
<![CDATA[Le salarié peut-il partir en congés sans prévenir son employeur ?]]> 5a07b9dcaf56fd34c1a3a6c1a478d3c1-42189 Après avoir rendu des arrêts concernant l’acquisition de congés payés en cours d’arrêt maladie (Cass. Soc. n°22-17.340 ; 22-17.341 et 22-17.342) qui continuent d’alimenter des débats, la Cour de Cassation s’est prononcée sur le sujet des congés payés posant la question suivante : un salarié peut-il partir en congés payés sans prévenir son employeur lorsque ce dernier commet des manquements dans ses obligations en la matière ? Décryptage de l’arrêt de la chambre sociale du 13 décembre 2023 (n°22-17.890) :

Rappel des obligations de l’employeur en matière de congés payés :

Le Code du travail impose à l’employeur de notamment : 
 
  • Porter à la connaissance des salariés la période de prise des congés payés au moins deux mois avant l’ouverture de cette période. (C. Trav., art. D3141-5) 
  • Communiquer l’ordre des départs en congé, par tout moyen, à chaque salarié un mois avant son départ. (C. Trav., art. D3141-6)
Ces dispositions sont d’ordre public. 
Plus généralement, l'octroi au salarié des congés qu'il a acquis constitue une obligation pour l'employeur. 

La position de la jurisprudence, inspirée du droit européen (Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003), est claire : il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement. (Cass. Soc., 6 juil. 2022, n°21-12.223)

La charge de la preuve appartient à l’employeur qui doit démontrer avoir pris lesdites mesures permettant au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé (Cass. Soc., 9 mai 2019, n°17-27.448). 

Dès lors, se pose la question de la sanction encourue par l’employeur en cas de non-respect de cette obligation et, par voie de conséquence, des possibilités ouvertes au salarié en cas de manquement de son employeur.

Les faits de l’espèce :

Un salarié, embauché en mai 2016, est licencié pour faute grave le 11 septembre 2017 pour absence à son poste au cours du mois d’août 2017. 

Devant les juges du fond (CA Colmar, Chambre 4 a, 30 septembre 2021, n° 20/00158), le salarié contestait son licenciement en faisant valoir : 
 
  • « Qu’il avait obtenu l’accord verbal de son employeur pour un départ en congés du 31 juillet au 1er septembre 2017 ;
  • Que l’employeur ne démontre pas avoir respecté la législation afférente aux dates de congés, notamment les articles D.3141-5 et D.3141-6 du code du travail relatifs au délai d’information des salariés de la période de prise de congés et au délai de communication de l’ordre de départ en congé à chaque salarié ;
  • Que n’ayant bénéficié d’aucun jour de congé depuis son embauche, il était fondé à partir en congé en 2017 ;
  • Qu’il était parti à l’étranger et qu’il ne pouvait prendre connaissance des mises en demeure adressées par l’employeur » 
Le premier argument était rapidement écarté par les juges du fond dans la mesure où le salarié n’apportait pas la preuve d’un accord verbal de son employeur. 

Le dernier argument était également balayé dans la mesure où c’est au salarié de prendre les mesures nécessaires pour avoir connaissance du courrier parvenu à son domicile en son absence. 

Dès lors, la question qui demeurait était la suivante : si l’employeur ne respecte pas ses obligations en matière de congés payés, le salarié peut-il décider de partir en congés sans prévenir son employeur ? 

Cette question diffère de celle qui se pose lorsque le salarié part en congé sans autorisation de l'employeur car ce dernier ne lui répond pas. Si l’employeur n’a pas mis en place de procédure précise et ne répond pas expressément à la demande du salarié, le départ en congé dudit salarié n’est pas fautif car le salarié avait pu considérer que sa demande était acceptée. (Cass. soc. 6 avril 2022 n° 20-22.055)

Position de la Cour de cassation :

Dans le cas d’espèce, ni la Cour d’Appel, ni la Cour de cassation ne se prononcent explicitement sur les manquements de l’employeur à ses obligations en matière de congés payés. 

La Cour suprême se contente d’indiquer : 

« qu’à supposer que l'employeur n'ait pas respecté la législation afférente aux dates de congés, le salarié ne pouvait prendre de congés sans les poser au préalable ».

A première vue, la solution est limpide : le salarié est fautif en se plaçant en absence injustifiée, peu importe que l’employeur ait ou non commis de manquement à ses obligations en matière de congés payés. Une faute qui justifie par ailleurs un licenciement. 

Si l’abandon de poste et/ou les absences injustifiées en l’absence de réponse à des mises en demeure sont généralement reconnus comme des fautes graves rendant impossibles le maintien du salarié dans l’entreprise, il en va différemment en l’occurrence. 

Dans l’affaire qui nous intéresse, les juges apportent ainsi une précision intéressante. 

Bien que le salarié n’ait pas prévenu son employeur, sa faute ne rendait pas impossible la poursuite de son contrat de travail pour deux raisons selon la Cour de cassation, qui reprend l’argumentaire des juges d’appel : 
 
  • Le salarié aurait pu être autorisé à prendre ses congés pendant le mois d’août s’il avait formulé sa demande auprès de l’employeur
  • Il n’est pas contesté qu’il n’avait pas épuisé tous ses jours de congés. 
Cette justification peut paraître surprenante. 

En effet, les juges ne s’attardent pas sur les prétendus manquements de l’employeur, mais sur le fait que le salarié « aurait pu être autorisé à prendre ses congés pendant le mois d’août s’il avait formulé sa demande auprès de l’employeur ». 

Les juges utilisent le temps du conditionnel pour se mettre, en quelque sorte, à la place de l’employeur. 

Dans d’autres affaires où le salarié avait décidé de fixer unilatéralement ses congés, les licenciements avaient déjà pu être reconnus tantôt justifiés par une faute grave (Cass. Soc., 19 juin 1997, n°94-44.997) ; tantôt par une cause réelle et sérieuse (Cass. Soc., 16 mai 2007, n°05-44.703). 

Pour la qualification de la faute, les juges prenaient alors en compte, plus classiquement, les différents éléments de contexte (contexte de tension, usages de prises de congés dans l’entreprise), vérifiaient si le salarié avait ou non sollicité son employeur pour partir en congés, si ce dernier avait explicitement refusé...

Dans l’arrêt nous intéressant, la solution aurait-elle été différente si, pour des faits similaires, l’absence du salarié avait causé un préjudice particulier à la société ? Si l’employeur avait pu apporter une raison objective pour laquelle le salarié ne pouvait pas prendre ses congés à cette période ? Si l’absence était d’une durée différente ? Ou sur une autre période que celle du mois d’août ? 

De plus, l’argument selon lequel le salarié « aurait pu être autorisé à prendre ses congés » pourrait-il également s’appliquer aux situations « classiques » d’abandon de poste ou d’absences injustifiées (par classique, nous entendons sans débat sur le droit à congés payés et les manquements de l’employeur) ? 

En effet, bien que la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022 ait institué le mécanisme de la présomption de démission en cas d’abandon volontaire de poste (C. Trav., art. L1237-1-1), nombre d’employeurs privilégient toujours le mécanisme du licenciement pour faute grave dans de telles situations.

La justification permettant de requalifier la faute grave en cause réelle et sérieuse laisse ainsi place à plusieurs interrogations et nous paraît quelque peu hypothétique, comme en atteste l’utilisation du conditionnel par la Cour de cassation. 

Néanmoins ces différents questionnements ne doivent pas éclipser l’enseignement principal de l’arrêt du 13 décembre 2023.

Enseignements de l’arrêt :

Quoi qu’il en soit, la position de la Cour de cassation est explicite sur un point : le salarié ne peut pas prendre ses congés de lui-même sans en informer son employeur au préalable, peu importe la défaillance ou non de l’employeur dans ses obligations en la matière.  

En faisant cela, le salarié commet une faute, qui n’est pas nécessairement grave pour autant.

En définitive, si l’employeur se doit d’être particulièrement vigilant en matière de congés payés et mettre en place une politique claire notamment sur la période de prise de congés et l’ordre des départs ; le salarié doit quant à lui respecter cette procédure et ne pas s’octroyer la liberté de partir en congés quand il veut sans en informer son employeur. 


Cet article n'engage que son auteur.]]>
Mon, 26 Feb 2024 06:58:49 GMT 5600 7700 1244 4468 36750 0 Le salarié peut-il partir en congés sans prévenir son employeur ?
<![CDATA[Définition de la notion de sous-traitance]]> 79670657ee08ce5b8227f813216417b7-42188 L’arrêt qui a été rendu par la Cour de cassation le 18 janvier 2024 (Cass, 3ème civ, 18 janvier 2024, n° 22-20.995 ; 22-22.224 ; 22-22.302) est une bonne occasion de rappeler les contours de la notion de sous-traitance. Dans cette espèce, la société EXPANSIEL PROMOTION et la société VALOPHIS avaient confié des travaux de démolition et de terrassement à la société NOSSOL sur quatre chantiers différents.

La société NOSSOL avait alors sollicité la société AGREGATS DU CENTRE RECYCLING (ACR) pour procéder à l’évacuation et à la gestion des terres excavées des quatre chantiers.
 
La société NOSSOL avait été placée en liquidation judiciaire alors que la société ACR n’était pas intégralement soldée de son marché.
 
Sur ce, la société NOSSOL a fait assigner la société EXPANSIEL PROMOTION et la société VALOPHIS sur le fondement des dispositions de l’article 14-1 de la Loi n°75-1334 du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance, afin de solliciter leur condamnation au paiement de dommages intérêts en réparation de son préjudice découlant de l’absence de mise en demeure de l’entrepreneur principal de satisfaire à ses obligations d’acceptation et d’agrément du sous-traitant et à cette occasion de vérification de l’existence d’une garantie de paiement.
 
Afin d’échapper à la sanction prévue par l’article 14-1 de la Loi du 31 décembre 1975, les maîtres de l’ouvrage ont contesté la qualité de sous-traitant de la société ACR, au motif que : « La qualification de sous-traitance suppose la participation directe à l’acte de construire, objet du contrat principal ; que la prestation d’évacuation et de traitement de déchets de construction ne participe pas en soi à l’acte de construire. »
 
Dans un arrêt en date du 6 juillet 2022, la Cour d’appel de Paris a retenu la qualification de sous-traitance relativement aux prestations de la société ACR, bien que limitées à l’évacuation et au traitement des déchets des chantiers, au regard de l’article 1er de la Loi du 31 décembre 1975.
 
L’analyse est confirmée par la Cour de cassation dans son arrêt publié du 18 janvier 2024 en ces termes :
 
« La cour d’appel a constaté que la société NOSSOL était chargée des travaux de démolition et terrassement et que ces travaux comprenaient le déblai, consistant à enlever les terres pour abaisser le niveau du sol, le chargement des déblais sur les véhicules de transport, le transport par la mise en remploi ainsi que l’évacuation des terres excédentaires. 

Elle a ensuite relevé que la société NOSSOL avait confié à la société ACR une partie des tâches lui incombant, consistant en l’évacuation, le transport et le traitement des terres qu’elle avait excavées sur les différents sites. 
 
Elle a retenu que la société ACR avait mis en œuvre des compétences techniques et logistiques complexes pour réaliser les prestations qui lui avaient été dévolues, de sorte que son intervention ne pouvait être réduite à la fourniture de bennes ou à l’évacuation en déchetterie. »
 
Il sera donc rappelé que l’article 1er de la Loi du 31 décembre 1975 définit la sous-traitance comme l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise ou d’une partie du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage.
 
Fondamentalement, la qualification de sous-traitance suppose que le contrat principal et le sous-traité soient l’un et l’autre des contrats de louage d’ouvrage, l’article 1710 du code civil définissant le contrat de louage d’ouvrage comme étant le contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour un autre, moyennant un prix convenu entre elles.
 
Il en résulte la nécessité de démontrer, d’une part que l’entreprise principale a bien confié à une autre entreprise tout ou partie des tâches qui lui avaient été confiées par le maître de l’ouvrage, et d’autre part que cette autre entreprise a effectivement participé à l’acte de construire. 
 

Ces deux critères sont successivement examinés par la Haute juridiction dans l’arrêt rendu le 18 janvier 2024.

1.  En premier lieu, la Cour de cassation a constaté que l’entreprise principale (NOSSOL) avait bien confié à une tierce entreprise (ACR) une partie des tâches lui incombant.
La sous-traitance implique en effet que le sous-traitant effectue tout ou partie de la mission qui a été confiée à l’entreprise principale (Cass, 3ème civ, 24 juin 2014, n° 13-19.829 ; Cass, 3ème civ, 23 septembre 2014, n° 12-27.008).
 
A toute fin, il sera rappelé qu’en vertu de l’article 6 de la Loi MURCEF du 11 décembre 2001, la sous-traitance ne peut concerner qu’une partie du marché public, ce qui est également repris à l’article 4-6 de la NFP 03-002 concernant le génie civil en marché privé.
 
La notion de sous-traitance doit donc être écartée lorsque le marché a été régularisé non pas par l’entreprise principale, mais par le maître de l’ouvrage (Cass, 3ème civ, 23 septembre 2014, n° 12-27.088, au sujet d’un contrat de maîtrise d’œuvre). 
 
2. En second lieu, la Cour de cassation s’est attachée à vérifier que la tierce entreprise (ACR) avait effectivement participé à l’acte de construire, ce qui caractérise l’existence d’un contrat de louage d’ouvrage, à la différence d’un contrat de vente ou de location.
Dans un arrêt en date du 23 janvier 2002 (Cass, 3ème civ, 23 janvier 2002, n° 00-17.759), la Haute juridiction a déjà eu l’occasion de préciser que n’est pas un sous-traitant, un entrepreneur qui ne participe pas directement par apport de conception, d’industrie ou de matière, à l’acte de construire.
 
Dans l’arrêt du 18 janvier 2024, il a été tout précisément objectivé la « mise en œuvre des compétences techniques et logistiques complexes pour réaliser les prestations », afin de caractériser l’apport d’industrie de la société ACR à l’acte de construire, dont l’intervention ne pouvait donc pas être « réduite à la fourniture de bennes ou à l’évacuation en déchetterie ».
 
Déjà, dans un arrêt en date du 10 mai 2011, la Cour d’appel de Montpellier (Cour d’appel de Montpellier, 2ème chambre, 10 mai 2011, n° 09-07984) avait eu l’occasion de distinguer les notions de sous-traitance et de louage de véhicule, au sujet d’un marché consistant dans des travaux de démolition et remblaiement, impliquant notamment l’exécution de déblais en masse en nappe phréatique nécessaires à la réalisation du creusement d’un bassin, avec évacuation des déblais non réutilisés sur place en remblaiement.
 
Il avait alors été retenu que le marché constituait un contrat de louage d’ouvrage et non un contrat de transport, « lequel se caractérise par le déplacement de marchandises ou de personnes par un voiturier professionnel d’un expéditeur vers un destinataire », et que s’il était contractuellement prévu l’évacuation de déblais, « cette activité n’était qu’accessoire et en outre de constituait pas pour autant un transport entre un expéditeur et un destinataire. »
 
Procédant à une analyse plus contestable de la notion de sous-traitance, dans un arrêt en date du 27 janvier 2020, la Cour d’appel de Paris (Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 5, 27 février 2020, n° 17-14063) a considéré que la qualification de sous-traitance devait être retenue en présence de prestations correspondant à la mise à disposition de bennes avec relevé des gravas de chantier :
 
« Dans la mesure où ces pièces établissent que la mission confiée à la société Eco BTP Environnement consiste non seulement à mettre les bennes à disposition du chantier mais également à procéder à l’enlèvement des gravats, tâche entrant dans le contrat d’entreprise, il y a lieu de retenir l’existence d’un contrat de sous-traitance, l’existence d’un contrat écrit n’étant pas obligatoire. »
 
Dans son arrêt en date du 18 janvier 2024, la Cour de cassation rappelle donc la nécessité de caractériser la mise en œuvre d’un travail spécifique (en l’espèce « compétences techniques et logistiques complexes ») pour réaliser les prestations confiées par l’entrepreneur principal, afin de pouvoir retenir la qualification de contrat de louage d’ouvrage et consécutivement celle de sous-traitance.
 
Cette analyse est au-demeurant parfaitement conforme avec la jurisprudence habituelle en matière de sous-traitance industrielle, notamment au sujet de la location d’échafaudage avec main d’œuvre pour la pose, la dépose et le transport, la Cour de cassation ayant déjà indiqué à ce sujet, par un arrêt en date du 23 janvier 2002 (Cass, 3ème civ, 23 janvier 2002, n° 00-17.759, Publié au bulletin), pour écarter la qualification de sous-traitance, que :
 
« Aucun document n’établissait la réalité des prestations relevant d’une spécificité particulière. »
(…)
« La fourniture des échafaudages ne participait pas directement par apport de conception, d’industrie ou de matière à l’acte de construire objet du marché principal, mais se limitait à mettre à la disposition du locateur d’ouvrage le matériel adapté dont il avait besoin pour mener à bien sa tâche. 


Cet article n'engage que son auteur.]]>
Wed, 21 Feb 2024 10:30:51 GMT 8800 967 2891 37048 0 37257 0 37261 0 Définition de la notion de sous-traitance
<![CDATA[Activités déclarées, lorsque terrassement et enrochements ne se confondent pas]]> 83a6aaee103befa59a473ee89cd90899-42180 Si le contrat d’assurance de responsabilité obligatoire que doit souscrire tout constructeur ne peut comporter des clauses et exclusions autres que celles prévues par l’annexe 1 à l’article A 243-1 du code des assurances, la garantie de l’assureur ne peut en tout état de cause concerner que le secteur d’activité déclaré par l’entrepreneur. Il est ainsi de jurisprudence constante que « la garantie de l’assureur ne concerne que le secteur d’activité déclaré par le constructeur (Cass, 3ème civ, 17 décembre 2003, n° 02-11.539). 

Dans un arrêt rendu le 18 janvier 2024 (Cass, 3ème civ, 18 janvier 2024, n° 22-22.781), la Cour de cassation a considéré que l’activité d’enrochements, non expressément déclarée à l’assureur, étant distincte de l’activité de terrassement, la garantie RC décennale ne pouvait pas être mobilisée au titre du sinistre déclaré, qui avait pour origine des travaux d’enrochements exécutés pour soutenir et stabiliser un terrain 

« En statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu que les travaux d’enrochement exécutés par la société Bonnet et fils avaient pour fonction de soutenir et stabiliser le terrain surplombant la voie d’accès et la parcelle voisine et que l’assuré n’avait pas déclaré l’activité d’enrochement, distincte de celle de terrassement, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés. » 

Cette analyse, qui se fonde sur l’examen des procédés techniques utilisés par l’assuré et l’objet même des travaux réalisés, n’est pas nouvelle puisque déjà, dans un arrêt rendu le 17 décembre 2003 (Cass, 3ème civ, 17 décembre 2003, n° 02-11.539, Publié au bulletin), la Cour de cassation avait retenu que la réalisation de travaux de réfection et de surélévation d’une digue et d’enrochement, présentant des désordres, n’entrait pas dans la catégorie des activités de construction de bâtiment, « ni d’aucune des familles professionnelles prévues au contrat qui mentionne l’activité de VRD. » 

La Haute juridiction a une nouvelle fois refusé d’assimiler les travaux d’enrochements aux travaux de terrassement par un arrêt en date du 23 mai 2006 (Cass, 3ème civ, 23 mai 2006, n° 05-15.367) : 

« Attendu qu’ayant retenu que le marché conclu entre M. X… et M. Z… était relatif au terrassement et à l’enrochement nécessaires à l’extension d’un pavillon, que les désordres affectant ces travaux ne relevaient pas de la garantie décennale des constructeurs, que M. Z… avait souscrit auprès de la Caisse d’assurance Mutuelle du Bâtiment et des travaux publics (CAMBTP) un contrat garantissant les conséquences pécuniaires des responsabilités encourues vis-à-vis des tiers dans l’exercice de ses activités déclarées, parmi lesquelles, les voies et réseaux divers dont la destination est la desserte privative d’un bâtiment, la cour d’appel, répondant aux conclusions, a pu en déduire que la garantie n’était pas due, le sinistre trouvant sa cause dans les travaux d’enrochement réalisés par M. Z… ; » 

Alors que les travaux d’enrochement consistent essentiellement à entasser des blocs de pierre ou de roche qui sont destinés à servir de fondation ou de protection contre un éventuel éboulement de terrain, les travaux de terrassement et de VRD ont pour objet la réalisation d’un ensemble d’ouvrages destinés à la viabilisation d’un terrain en vu de la construction d’un bâtiment (voirie, alimentation en eau, gaz, électricité, télécommunications, assainissement, éclairage public …). 

Lorsque les travaux de VRD regroupent tout un ensemble de prestations indispensables à la construction d’un bâtiment, les travaux d'enrochement consistent pour leur part en une technique d’aménagement des extérieurs au moyen de rochers. 

Il s’agit donc de travaux dont l’objet est effectivement très différent. 

Il reste que pour déterminer si l’activité exercée par l’assuré entre ou non dans le champ de la garantie RC décennale, il est toujours important de se référer à l’attestation d’assurance qui a été délivrée par l’assureur et dont la rédaction peut être déterminante, puisqu’elle engage nécessairement l’assureur. 

C’est ainsi que la Cour d’appel de Grenoble a retenu la garantie RC décennale de l’assureur dans un arrêt rendu le 18 novembre 2018 (Cour d’appel de Grenoble, 18 novembre 2018, n° 06-04041), dans une espèce où, alors qu’il contestait sa garantie au titre des activités déclarées, il était justifié de la délivrance de deux attestations d’assurance concernant la garantie RC et décennale pour les activités de terrassements, VRD et enrochements. 

L’analyse au cas par cas des activités exercées en considération des activités déclarées par l’assuré, n’est pas de nature à constituer une situation sécurisante. 

Au-demeurant, la situation du souscripteur d’un contrat d’assurance RC décennale est d’autant plus délicate que, s’agissant des travaux de terrassement, pour lesquels il était à priori acquis que la garantie puisse être acquise dès lors que l’activité était déclarée, la jurisprudence a été amenée à considérer qu’il en allait autrement lorsque l’entrepreneur avait réalisé des travaux de terrassement et d’aménagement du terrain, « qui n’incorporaient pas de matériaux dans le sol au moyen de travaux de construction, que la viabilisation avait été effectuée par une autre entreprise et que le glissement [de terrain] s’était produit avant la réalisation de tout ouvrage », peu important que l’entrepreneur ait eu connaissance d’un projet de construction (Cass, 3ème civ, 10 novembre 2021, n° 20-20294, Publié au bulletin). 
  Sur ce, et plus que jamais, compte tenu des conséquences parfois dramatiques qui peuvent en découler, l’assureur se doit de s’imposer un devoir d’information et de conseil renforcé à l’égard du souscripteur à l’assurance, afin que l’assuré puisse apprécier, dans un contexte de parfaite loyauté, la nature et les limites des garanties souscrites, sans pour autant être jamais à l’abris des affres de la jurisprudence. 


 Cet article n'engage que son auteur.]]>
Mon, 19 Feb 2024 07:34:35 GMT 8800 967 2891 37048 0 37257 0 37261 0 Activités déclarées, lorsque terrassement et enrochements ne se confondent pas
<![CDATA[Devoir de conseil et d'information de l'agent immobilier, vers une rigueur accrue]]> fc5c2a607f27cfe17e9f699230418a2e-42177 L’agent immobilier est tenu à un devoir de conseil et d’information tant à l’égard du vendeur, qu’à l’égard de l’acquéreur, qui s’étend à la consistance matérielle du bien. A ce titre, il se doit de vérifier et de communiquer aux parties toutes les informations qui sont de nature à influer sur leur consentement. 

Il est alors considéré que l’agent immobilier est redevable d’une obligation d’information renforcée

Dans ce cadre, la jurisprudence a rappelé de façon très régulière que l’agent immobilier est un professionnel de la vente et de l’immobilier et non un professionnel de la construction (Cass, 3ème civ, 21 janvier 2015, n° 13-17.982) : 

« l’état apparent de l’immeuble ne justifiait, de la part de cette société qui n’était pas un professionnel de la construction, aucune investigation supplémentaire par rapport ç l’information qui lui avait été donnée. » 

Formulation une nouvelle fois consacrée dans un arrêt en date du 29 mars 2018 (Cass, 3ème civ, 17-13.157) : 

« L’agent immobilier n’étant pas un professionnel de la construction, il n’est donc pas responsable du vice caché affectant un bien immobilier qu’il est chargé de vendre. » 

La responsabilité de l’agent immobilier ne peut donc pas être engagée lorsque les désordres affectant l’immeuble vendu n’étaient pas apparents et que la preuve n’est pas rapportée qu’il connaissait le vice (Cour d’appel de Douai, 10 mai 2012, n° 11-04.997). 

Dès lors qu’il ne peut pas être exigé d’un agent immobilier d’être un spécialiste de la construction, sa responsabilité ne peut-être engagée que s’il est établi que les désordres ou les défauts de conformité étaient apparents pour un non professionnel de la construction.  

Mais dans ce cas, s’ils le sont pour l’agent immobilier, ils le sont également pour l’acquéreur, qui n’est pas plus compétent que lui dans le domaine de la construction. 

Cette jurisprudence a également été appliquée lorsqu’en présence de fissurations visibles lors des visites effectuées préalablement à la vente, s’étant depuis lors aggravées au point d’être qualifiées de vice caché, leur gravité et leur origine ne pouvaient pas être appréciées par l’agent immobilier (Cass, 3ème civ, 23 octobre 2013, n° 10-15.687). 

En tout état de cause, il a toujours été considéré que l’agent immobilier n’était pas tenu de procéder à une expertise technique du bien (Cass, 3ème civ, 9 décembre 2014, n° 13-24.765). 

Il reste que les jurisprudences les plus récentes vont très clairement dans le sens d’un durcissement des exigences attendues de l’agent immobilier dans l’exécution de son mandat

C’est ainsi que par un arrêt en date du 16 mars 2023 (Cass, 3ème civ, 16 mars 2023, n° 21-25.082), la Cour de cassation a condamné in solidum un agent immobilier et un diagnostiqueur sur le fondement du manquement à son devoir d’information, au motif qu’il « incombait à l’agent immobilier de mentionner la date et le type de construction de la maison dans la promesse de vente, s’agissant des caractéristiques essentielles du bien vendu. 

En dernier lieu, par un arrêt en date du 21 décembre 2023 (Cass, 3ème civ, 21 décembre 2023, n° 22-20.045), la Cour de cassation a retenu la responsabilité de l’agent immobilier, en présence d’importantes traces d’infiltrations et de fortes dégradations des menuiseries au jour de la vente, « avec des infiltrations visibles sur la façade principale » (ce qui était nécessairement apparent aux yeux des acquéreurs), pour n’avoir pas « soupçonné un défaut d’étanchéité de la toiture » et avoir ainsi manqué à son obligation d’information et de conseil à l’égard des acquéreurs … 



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Fri, 16 Feb 2024 07:31:30 GMT 4900 8700 967 2891 37048 0 37257 0 37261 0 Devoir de conseil et d'information de l'agent immobilier, vers une rigueur accrue
<![CDATA[Absence de responsabilité du transporteur pour un vol de marchandises dans un lieu apparemment inviolable ]]> e4b79783cddf15c2a0903352eb73ad7c-42173 Une décision de la chambre commerciale de la cour de cassation du 17 janvier 2024, n° 22-15.551 est l’occasion de revenir sur la manière dont les juges apprécient la possibilité pour le transporteur de s’exonérer de sa responsabilité en cas de vol de la marchandise transportée. En transport intérieur comme en transport international, le transporteur est responsable en cas de perte survenue entre la prise en charge de la marchandise et sa livraison. 

En transport international, la convention dite CMR prévoit que le transporteur est déchargé de sa responsabilité si la perte résulte : 

-  d’une faute de l’ayant droit, 
-  d’un ordre de celui-ci ne résultant pas d’une faute du transporteur, 
-  d’un vice propre de la marchandise, 
-  ou de circonstances que le transporteur ne pouvait pas éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier.

Assigné par son donneur d’ordre et ses assureurs, le transporteur s’est ici prévalu de cette quatrième cause d’exonération. Il a en effet démontré que le vol, à l’aéroport, de sa remorque chargée de palettes de whisky, en attente de départ pour la France, s’était produit dans un espace de stationnement en apparence inviolable, raison pour laquelle il l’avait loué. 

Ce lieu était doté de dispositifs de sécurité visibles : portails, clôture, postes de garde, agents de sécurité, système de laissez-passer, caméras de surveillance. Des voleurs ont malgré tout réussi à s’introduire par effraction et à dérober la marchandise.

Selon une jurisprudence établie, le vol n’est généralement pas constitutif de circonstances exceptionnelles, à moins qu’il ne soit prouvé que le chauffeur a été contraint d’abandonner son véhicule et qu’il lui était impossible de le surveiller d’une manière ou d’une autre (Cass. com., 2 mai 2001, no 98-17.339 ; CA Paris, 9 janv. 2003, no 2000/10081).

En l’espèce, pour exonérer le transporteur, la Cour d’Appel a considéré que celui-ci ne pouvait se rendre compte du manque d’efficacité des mesures de sécurité et de leurs failles, et que le caractère audacieux du vol l’empêchait de s’y préparer et d’y remédier (CA Douai, 27 janv. 2022, no 19/03907). 

Ont été considérés comme indifférents l’absence de violence, l’insuffisance des mesures de sécurité, le manque d’éclairage ou de surveillance spécifique dans la zone louée, les vastes dimensions de l’aérodrome, et la présence d’une publicité pour boisson alcoolisée sur la remorque.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi, estimant que rien n’indiquait « que le transporteur aurait dû (ou pu) se rendre compte, avant le vol, des failles de sécurité qu'il a révélées, ni par quel moyen il aurait pu y obvier ». 

La même solution avait été retenue, toujours en application de la C.M.R., s’agissant d’un vol survenu sur le site privé du commissionnaire en douane, alors que le transporteur, n’étant pas autorisé à demeurer sur les lieux, avait pris des mesures de protection, à savoir le stationnement des deux remorques porte contre porte dans un enclos rigide et fermé, entouré d’un portail verrouillé, et surveillé par des rondes et des caméras de surveillance (CA Lyon, 22 mars 2018, no 17/04399).
  Cette décision confirme la nécessité pour les transporteurs de multiplier les gages de sécurité sur les zones de stockage et de transit des marchandises, ainsi que de documenter les précautions prises pour garantir la sécurité de celles-ci.


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Thu, 15 Feb 2024 15:36:45 GMT 8700 1241 4156 628 0 Absence de responsabilité du transporteur pour un vol de marchandises dans un lieu apparemment inviolable
<![CDATA[Les limites posées à la mise en cause de l'entrepreneur principal du fait fautif de son sous-traitant]]> e801bb4ed45ef2ab695c54ff3651e835-42156 S’il résulte des dispositions de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance, que l’entrepreneur qui confie à un autre l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise le fait sous sa responsabilité, ce n’est pas sans certaines limites, ce que l’arrêt de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation en date du 18 janvier 2024 (Cass, 3ème civ, 18 janvier 2024, n° 22-20.995 ; 22-22.224 ; 22-22.302, Publié au bulletin) ne manque pas de rappeler.

I - L’entrepreneur principal répond des fautes de son sous-traitant dans l'exécution des travaux qui lui sont confiés : 

Il est de jurisprudence constante que l’entrepreneur principal répond des fautes d’exécution du sous-traitant vis-à-vis du maître de l’ouvrage (Cass, 3ème civ, 13 mars 1991, n° 89-13.833, Publié au bulletin). 

Dans de nombreuses décisions et de façon très générique, la Cour de cassation indique que : « La faute du sous-traitant engage la responsabilité de l’entrepreneur principal vis-à-vis du maître de l’ouvrage » (Cass, 3ème civ, 13 mars 1991, n° 89-13.833 ; Cass, 3ème civ, 12 juin 2013, n° 11-12.283). 

Il s’agit d’une responsabilité contractuelle qui est fondée sur les dispositions de l’article 1231-1 du code civil, reposant sur un défaut d’exécution du contrat que l’entrepreneur principal, à l’égard du maître de l’ouvrage, s’était engagé à réaliser. 

Sur ce, il est normal que l’entrepreneur principal réponde de l’inexécution du contrat qui lui a été confié, quant bien même sa réalisation aurait-t-elle été déléguée à un sous-traitant.  

Le recours à la sous-traitance constitue un risque qu’il n’incombe pas au maître de l’ouvrage de supporter. 

Si le sous-traitant est redevable à son égard d’une obligation contractuelle de résultat, la jurisprudence ne manque pas de prendre en considération l’obligation de surveillance du sous-traitant par l’entrepreneur principal dans le cadre de la répartition des responsabilités (Cass, 3ème civ, 11 septembre 2013, n° 12-19.483, Publié au bulletin).  

Il est même parfois considéré que l’entreprise principale exerce les fonctions de maître d’œuvre à l’égard du sous-traitant, dont la responsabilité peut ainsi se trouver atténuée (Cass, 3ème civ, 27 avril 2004, n° 02-17.331). 

Le principe est identique lorsque la défaillance de l’entrepreneur principal procède de la défaillance non pas de son sous-traitant, mais d’un sous-traitant de second rang, à qui tout ou partie des travaux sous-traités avaient été confiés. 

Et de la même façon, le sous-traitant de second-rang est lui-même redevable d’une obligation de résultat emportant présomption de faute et de causalité, dont il ne peut s’exonérer totalement ou partiellement qu’en démontrant l’existence d’une cause étrangère (Cass, 3ème civ, 30 mars 2023, n° 21-20.971). 

Il n’en reste pas moins que la responsabilité de l’entrepreneur principal, du fait fautif de son sous-traitant, procède d’un manquement à une obligation qui avait été conclue avec le maître de l’ouvrage et qui trouve sa source dans le contrat d’entreprise. 
 

II - L’entrepreneur principal ne répond pas des fautes commises sans rapport avec les travaux sous-traités : 

Il est jugé de façon constante, au visa des dispositions de l’article 1240 du code civil, que l’entrepreneur principal n’est pas responsable envers les tiers des dommages causés par son sous-traitant dont il n’est pas le commettant (Cass, 3ème civ, 17 mars 1999, n° 97-15.403). 

La jurisprudence refuse en effet d’assimiler l’entrepreneur principal à un commettant au regard des règles de responsabilité, lorsque la faute commise est extérieure au contrat de sous-traitance (Cass, 3ème civ, 17 décembre 2003, n° 95-19.504). 

C’est ainsi que, dans un arrêt en date du 22 septembre 2010 (Cass, 3ème civ, 22 septembre 2010, n° 09-11.007), la Haute juridiction a très clairement indiqué que dès lors que le sous-traitant n’est pas le préposé de l’entrepreneur principal, il ne peut avoir à répondre vis-à-vis des tiers des agissements du sous-traitant en application des dispositions de l’article 1384 alinéa 5 du code civil, au titre de la responsabilité du commettant. 

La responsabilité de l’entrepreneur principal à l’égard du maître de l’ouvrage procédant de l’article 1231-1 du code civil, il doit nécessairement en résulter un manquement qui soit imputable au sous-traitant dans l’exécution des prestations qui lui ont été sous-traitées, ou qui ont été sous-traitées à un sous-traitant de second rang. 


Dans le même esprit, l’arrêt du 18 janvier 2024 (Cass, 3ème civ, 18 janvier 2024, n° 22-20.995 ; 22-22.224 ; 22-22.302, Publié au bulletin) ne manque pas de préciser que l’entrepreneur principal n’a pas à répondre, sauf dispositions contractuelles particulières, des manquements de son sous-traitant commis à l’égard de ses propres sous-traitants, alors que le sous-traitant de second rang « n’a causé aucun désordre en réalisant des prestations d’évacuation, de transport et de traitement des déchets extraits du chantier. » 

La situation d’espèce est tout à fait particulière. 

Le sous-traitant avait en effet négligé de respecter l’obligation de faire accepter et agréer son propre sous-traitant, selon les modalités prévues à l’article 3 de la loi du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance.  

Du fait de la défaillance du sous-traitant, le sous-traitant de second rang avait recherché et obtenu la condamnation des maîtres de l’ouvrage à l’indemniser de son préjudice découlant du défaut de paiement de son marché, sur le fondement des dispositions de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, puisque sa présence sur le chantier était manifestement connue. 

Ayant été condamné, le maître d’ouvrage avait alors recherché la garantie de l’entreprise principale, censé devoir répondre du fait fautif de son sous-traitant. 

Dès lors que le fait générateur de la responsabilité recherchée ne trouvait pas sa source dans la l’obligation qui avait été souscrite par l’entreprise principale à l’égard du maître de l’ouvrage, la Cour de cassation a tout naturellement rejeté la demande au visa de l’article 1147 du code civil : 

« Aux termes du premier, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il y ait aucune mauvaise foi de sa part. » 

« Il en résulte que, si l’entrepreneur est responsable, à l’égard du maître de l’ouvrage, des manquements de son sous-traitant commis dans l’exécution des prestations sous-traitées, sans qu’il soit besoin de démontrer sa propre faute, il n’a pas à répondre, sauf stipulation contraire, des manquements de ce sous-traitant à l’égard de ses propres sous-traitants. » 

 « Pour condamner la société Rabot Dutilleul construction à garantir les sociétés Valophis et Sodes des condamnations mises à leur charge sur le fondement de l’article 14-1 de la loi précitée, l’arrêt retient que … »  

« En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une faute de l’entreprise générale dans l’exécution de ses obligations contractuelles, ou un manquement de sa sous-traitante dans l’exécution des prestations sous-traitées, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. » 

On rappellera à toute fin que, dans un arrêt en date du 21 janvier 2015 (Cass, 3ème civ, 21 janvier 2015, n° 13-18.316, Publié au bulletin), la Cour de cassation avait déjà retenu que la responsabilité de l’entrepreneur principal ne pouvait être engagée pour défaut d’agrément du sous-traitant de second rang, cette fois-ci sous le seul prisme de la loi du 31 décembre 1975 : 

« Attendu que pour condamner la société GOC à payer une certaine somme à la société Unoule et Martineau, l'arrêt retient qu'en acceptant et en favorisant la présence de la société Unoule et Martineau en qualité de sous-traitant de second rang sans la faire agréer auprès du maître de l'ouvrage, la société GOC a commis une faute à l'égard de la société Unoule et Martineau ; 

Qu'en statuant ainsi, en faisant supporter à la société GOC l'obligation pesant sur l'entrepreneur principal de présenter son sous-traitant à l'agrément du maître de l'ouvrage alors que la société Unoule et Martineau était le sous-traitant de la société TPIB et non de la société GOC, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; » 

Le sous-traitant étant considéré comme l’entrepreneur principal à l’égard de ses propres sous-traitants, il n’incombait pas à l’entrepreneur principal de supporter le défaut d’agrément du sous-traitant de second rang, visé à l’article 3 de la loi du 31 décembre 1975. 

La boucle est ainsi bouclée … 


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Wed, 14 Feb 2024 10:04:07 GMT 5000 8800 967 2891 37048 0 37257 0 37261 0 Les limites posées à la mise en cause de l'entrepreneur principal du fait fautif de son sous-traitant
<![CDATA[Les comédies romantiques face au droit : Est-ce qu’un employeur peut interdire les relations amoureuses salarié/client ?]]> f1cf07543e16470e35037dad7c698dbc-42142 Commençons la semaine avec un film sorti en France en 1987 : Dirty Dancing ! Quelques jours après le début de ses vacances en famille à la pension Kellerman, “bébé” rencontre Johnny Castel danseur et professeur de danse professionnel.

De cette rencontre, va naitre une histoire d’amour...sur le lieu et pendant les heures de travail de Johnny. 

Après quelques temps, Johnny apprend que son contrat de travail est écourté avant la fin de la saison...en raison de son histoire d’amour avec “bébé”.

On ne laisse pas bébé dans un coin...mais est-ce que l’on peut licencier Johnny en raison de son histoire d’amour avec une cliente ?

 
Amandine DIERS analyse les relations salarié(e) et client(e) sous le prisme du droit social :
 
  • Est-ce qu’un employeur peut interdire les relations amoureuses salarié/client ?
  • Est-ce qu'une clause du contrat de travail ou du règlement intérieur peut encadrer les relations amoureuses des salariés ?
  • Un salarié peut-il être sanctionné en raison d'une relation amoureuse avec un(e) client(e) ?
  • Inversement, un employeur peut-il inciter les salariés à entretenir des relations amoureuses avec des clients ?
  • Les salariés en couple avec des clients ne sont-ils soumis à aucune limite ?

Pour lire cet article sur les relations client / salarié cliquez ici.
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Mon, 12 Feb 2024 09:33:20 GMT 5600 7700 48 128 682 0 Les comédies romantiques face au droit : Est-ce qu’un employeur peut interdire les relations amoureuses salarié/client ?
<![CDATA[Le vendeur qui se comporte comme un professionnel de la construction est irréfragablement réputé connaître le vice affectant le bien vendu]]> 4d0422b08049ed26d2a1b3dd0d31d31a-42118 L’article 1645 du code civil dispose que le vendeur professionnel est irréfragablement présumé connaître les vices de la chose vendue, de sorte qu’il ne peut se prévaloir de l’existence d’une clause limitant ou excluant sa garantie au titre des vices cachés. La jurisprudence a été amenée à préciser que le vendeur, personne physique, qui a réalisé lui-même les travaux à l'origine des vices de la chose vendue, est tenu de les connaître et ne peut se prévaloir d'une clause limitative ou exclusive de la garantie des vices cachés (Cass, 3ème civ, 9 février 2011, n° 09-71.498, Cass, 3ème civ, 10 juillet 2013, n° 12-17.149).   

Au sujet d’une société civile immobilière, la jurisprudence a été amenée à distinguer selon l’objet de son activité.  

Ainsi, dans un arrêt en date du 27 octobre 2016 (Cass, 3ème civ, 27 octobre 2016, n° 15-24232), la Cour de cassation a qualifié une SCI de vendeur professionnel, dès lors que son objet social portait sur « l’acquisition par voie d’achat ou d’apport, la propriété, la mise en valeur, la transformation, l’aménagement, l’administration et la location de tous biens et droits immobiliers » et qu’elle « avait acquis une vieille ferme qu’elle avait fait transformer en logements d’habitation dont elle avait vendu une partie et loué le reste et qu’elle avait immédiatement réinvesti les profits retirés dans une autre opération immobilière ».  

La vente s’inscrivant dans le cadre d’une opération spéculative et non dans un contexte gestion patrimoniale simplement familiale, la SCI venderesse soit être assimilée à un professionnel, ce qui a pour effet de priver d’efficacité la clause excluant sa garantie par application des dispositions de l’article 1645 du code civil.  

Cette analyse a été réitérée par la Haute juridiction dans un arrêt du 19 octobre 2023 (Cass, 3ème civ, 19 octobre 2023, n° 22-15.536), sanctionnant une cour d'appel ayant fait application d'une clause d'exclusion de garantie des vices cachés prévue par l'acte de vente, sans rechercher si la société venderesse avait elle-même réalisé les travaux à l'origine des désordres affectant le bien vendu, peu important les changements survenus quant à l'identité de ses associés et gérants, de sorte qu'elle s'était comportée en constructeur et devait être présumée avoir connaissance du vice. 

Les travaux avaient en effet été réalisés par la société civile immobilière par l’intermédiaire de son gérant personnellement à cette époque, peu important qu’il y ait eu changement de gérance depuis lors, compte tenu de sa fonction de représentation de la personne morale. 

Le principe général selon lequel le vendeur, personne physique ou morale, qui se comporte comme un professionnel de la construction est irréfragablement présumé connaître les vices affectant la chose vendue, a été rappelé par un arrêt de la Cour de cassation en date du 7 décembre 2023 (Cass, 3ème civ, 7 décembre 2023, n° 22-20.093) : 

« En statuant ainsi, alors qu’elle avait écarté pour ces trois vices l’application de la clause d’exclusion de garantie au motif que les vendeurs s’étaient comportés comme des professionnels de la construction sans en avoir les compétences, ce dont il résultait qu’ils étaient irréfragablement présumés connaître ces vices, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé. » 

Il reste qu’il s’agit nécessairement d’une appréciation au cas par cas, et qu’en tout état de cause les travaux doivent avoir été réalisés par le vendeur personnellement, qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une personne morale, ce qu’illustre parfaitement l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 21 décembre 2023 (Cass, 3ème civ, 21 décembre 2023, n° 22-20.045), qui a retenu le caractère opposable de la clause d’exonération des vices cachés, dès lors que les travaux réalisés sur le bien ne l’avaient pas été par la venderesse, dont il était expressément relevé qu’elle était mineure à cette époque, mais par ses parents, de sorte que, devenue propriétaire et venderesse, sa bonne foi devait être considérée comme établie (Cass, 3ème civ, 21 décembre 2023, n° 22-20.045). 

Cette jurisprudence s’avère donc tout à fait conforme à une jurisprudence classique selon laquelle les travaux doivent avoir été réalisés par le vendeur personnellement et non par des tiers, afin de pouvoir échapper aux sanctions découlant des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile (Cass, 3ème civ, 18 avril 2019, n° 18-20.180) : 

« Attendu que, pour écarter la clause d'exonération de garantie des vices cachés, l'arrêt retient qu'il est constant et non contesté que M. R... avait effectué ou fait effectuer dans les lieux des travaux, achevés en 2007, de démolition partielle, puis de reconstruction afin de transformer d'anciens locaux commerciaux en locaux d'habitation après les avoir réunis de sorte qu'il est réputé vendeur-constructeur et ne peut être exonéré de la garantie des vices cachés ; 

Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si M. R... avait lui-même conçu ou réalisé les travaux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. » 


A propos de : 
 
Cass, 3ème civ, 7 décembre 2023, n° 22-20.093 

Cass, 3ème civ, 21 décembre 2023, n° 22-20.045  


Cet article n'engage que son auteur.]]>
Tue, 06 Feb 2024 14:13:10 GMT 5000 8700 967 2891 37048 0 37257 0 37261 0 Le vendeur qui se comporte comme un professionnel de la construction est irréfragablement réputé connaître le vice affectant le bien vendu
<![CDATA[Le droit de préférence du locataire commercial écarté en cas de vente sur saisie]]> 10c1cae3e20020d4ad8a4fc4e1f054f3-42110 Dans une décision du 3 novembre 2023 (Pourvoi 22 – 17 505 FS-B) la Cour de cassation a eu l’occasion de faire application des dispositions de l’article L 145 – 46 – 1 du code de commerce relatif au droit de préférence légal du preneur, lorsque le propriétaire d’un local commercial ou artisanal envisage de le vendre dans l’hypothèse particulière d’une procédure de saisie-vente.

Le contexte :

Il ressort des dispositions des alinéas un et deux de l’article 145 – 46 – 1 du code de commerce que :
« Lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. 

Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer. 

En cas d'acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur, d'un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois.

Si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est sans effet ».

Ce texte qui instaure un droit de préférence légal du locataire commercial s’applique à toute vente d’un local à usage commerciale ou artisanale intervenue depuis le 18 décembre 2014, comme la Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler dans une décision du 12 novembre 2022 (Pourvoi 19-16927 FS-D) :

« Selon l'article 21, III, de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, l'article 14 de cette loi, qui a institué un droit de préemption au bénéfice du locataire en cas de mise en vente des locaux à usage commercial ou artisanal, s'applique à toute cession d'un local intervenant à compter du sixième mois qui suit la promulgation de la loi.

5. Cette disposition, interprétée à la lumière des travaux parlementaires, doit être entendue comme signifiant que l'article L. 145-46-1 du code de commerce s'applique à toute cession conclue six mois après la promulgation de la loi, soit le 18 décembre 2014 ».

La portée du droit de préférence légal :

Il ressort du texte ci-dessus visé que le droit de préférence n’est prévu que pour les ventes, ce qui sur le principe semblait écarter toutes les autres formes de transfert de propriété, qu’il s’agisse de transfert à titre gratuit comme les donations ou les successions, ou à titre onéreux et notamment lors des apports en société.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que le droit de préférence ne s’appliquait pas à la vente judiciaire qui intervient dans le cadre de la liquidation amiable de la société propriétaire (Cour de cassation, 3ème Chambre civile arrêt du 17 mai 2018 pourvoi n°17-16113 FS-BPI) ni dans le cadre d’une vente de gré à gré dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société propriétaire (Cour de cassation, 3ème Chambre civile arrêt du 15 février 2023 pourvoi n°21-16475 FS-B).

La portée du droit de préférence légal ainsi fixé par la Cour de cassation est claire et s’applique aux ventes.

Cette solution laissait peu de doutes quant à l’éventuelle application du droit de préférence dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière qui semble hors du cadre de l’article L.145-46-1 du Code de commerce, et de l’interprétation qu’en fait la Cour de cassation.

Le cas d’espèce : 

Dans l’affaire susvisée, les faits sont les suivants : par jugement d'adjudication rendu sur des poursuites de saisie immobilière engagées par un créancier contre des propriétaires d'un local commercial donné à bail à un preneur, le local loué a été adjugé au profit d’un enchérisseur.
Le locataire a alors déclaré exercer son droit de préférence sur le local adjugé, ce qui en application de la jurisprudence susvisée semblait hors cadre : la vente sur saisie dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière ne répondant pas aux mêmes conditions qu’une vente de droit commun. 

Le locataire commercial anticipant probablement la réponse de la Cour de cassation soulevait devant la Cour d’appel une question prioritaire de constitutionnalité dans les termes suivants : « L'article L. 145-46-1 du code de commerce est-il conforme à la Constitution et au bloc de constitutionnalité, notamment à la liberté d'entreprendre protégée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens de 1789, au principe d'égalité garanti par l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, et les articles 1 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il prévoit d'accorder au locataire d'un local à usage commercial ou artisanal le bénéfice d'un droit de préemption seulement lorsque le propriétaire envisage de vendre ce local et non en cas de vente forcée dudit local sur adjudication ? »

La question se heurtait toutefois à l’examen des conditions de recevabilité des questions prioritaires de constitutionnalité, la Cour de cassation considérant que la question n’était pas nouvelle, qu’elle ne présentait pas de caractère sérieux, et que la différence de traitement entre une opération de vente et une opération de vente par adjudication reposait sur une différence de situation. La Cour statuait ainsi sans opérer de renvoi devant la juridiction constitutionnelle. 

La Cour de cassation considérait au demeurant que cette situation ne portait aucune atteinte à la liberté d’entreprendre, dès lors que ce principe n’implique aucunement le droit d’acquérir les murs d’un local d’exploitation.

La Cour de cassation rappelait enfin que par application des dispositions de l’article L. 322-7 du code des procédures civiles d'exécution, le locataire peut, comme toute personne, se porter enchérisseur s'il justifie de garanties de paiement.

Cet article dispose que « sous réserve des incapacités tenant aux fonctions qu'elle exerce, toute personne peut se porter enchérisseur si elle justifie de garanties de paiement ».

À ce titre, l’absence de droit légal de préférence n’a pas pour effet d’exclure le locataire commercial du bénéfice de l’article L.322-7 code des procédures civiles d'exécution, et donc du droit de se porter enchérisseur indépendamment du droit de préférence dont il dispose en cas de vente.
Cette solution semble conforme au texte de l’article L.145-46-1 du Code de commerce, et elle posait au demeurant des difficultés pratiques : alors que le Code de commerce impose au propriétaire de notifier au locataire le prix et les conditions de la vente envisagée, la procédure de saisie immobilière, en ce qu’elle implique un aléa sur le prix rend de fait incompatible le respect de l’obligation prescrite par le texte.


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Tue, 06 Feb 2024 10:29:17 GMT 8800 1230 4645 37279 0 Le droit de préférence du locataire commercial écarté en cas de vente sur saisie
<![CDATA[La levée de la confidentialité du mandat ad hoc en cas d’ouverture d’une procédure collective]]> 5b46ae0c23da9adc5b0b44b82be77b5b-42104 Un tribunal, saisi d'une demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard d'un débiteur qui bénéficie ou a bénéficié d'un mandat ad hoc ou d'une procédure de conciliation dans les dix-huit mois qui précèdent, peut, d'office ou à la demande du ministère public, obtenir, avant de statuer, communication des pièces et actes relatifs au mandat ad hoc ou à la conciliation. En s’appuyant sur les dispositions de l’article L 621-1 du code de commerce, c’est en ce sens que s’est prononcé la Cour de Cassation par un arrêt en date du 22 novembre 2023.

En l’espèce, une société avait demandé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire. Celle-ci faisait suite à une procédure de mandat ad’hoc. Le Tribunal, avant de statuer sur l’ouverture du redressement judiciaire, avait ordonné, à la demande du ministère public, la communication des documents relatifs au mandat ad hoc.

La société soutenait que la confidentialité attachée au mandat ad hoc ne pouvait être levée par le tribunal avant l’ouverture de la procédure collective et que celui-ci ne pouvait donc pas ordonner la levée de la confidentialité avant de statuer sur la demande d’ouverture dont il était saisi. Ce raisonnement n’a pas été approuvé par la Cour de Cassation.

Rappelons que le mandat ad hoc a pour mission de prévenir les difficultés rencontrées par les entreprises. Consacrée par les dispositions de l’article L. 611-3 du Code de commerce, cette procédure est souple et surtout strictement confidentielle. 

L’obligation de confidentialité est prévue par les dispositions de l’article L. 611-15 du Code de commerce :« Toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité. »

C’est un atout majeur du mandat ad hoc. Ainsi les personnes tenues par cette confidentialité sont nombreuses comprenant les parties et les tiers (Cass. com. 22 sept. 2015 n° 14-17.377 et Cass. Com. 5 oct. 2022 n°21-13.108). L’intérêt est de traiter les difficultés sereinement en toute confidentialité, et d’éviter d’alerter les créanciers/ partenaires de l’entreprise qui, craignant de ne pas être payés, arrêteraient les relations commerciales.

Toutefois cette confidentialité ne perdure pas nécessairement indéfiniment dans le temps à l’égard du Tribunal en cas d’ouverture d’une procédure collective ultérieure. En effet, celui-ci a la faculté de solliciter la levée de la confidentialité à son égard (et uniquement à son égard).

La société et la Cour de Cassation divergeaient quant au moment où peut prendre fin la confidentialité en application des dispositions de l’article L 621-1 du code de commerce. En effet, la société soutenait que la confidentialité ne pouvait être levée à l’égard du Tribunal avant l’ouverture de la procédure collective.

A contrario, la Cour de cassation énonce, au visa de l’article L 621-1 du code de commerce que, dès lors que la demande d’ouverture d’une procédure collective est formulée, le juge peut, avant l’audience prononçant l’ouverture, demander d’office ou à la demande du ministère public les documents relatifs à la procédure du mandat ad hoc. Cette décision doit être selon nous approuvée : les documents relatifs au mandat ad hoc permettent ainsi aux juges d’apprécier au mieux la situation du débiteur juste avant de se prononcer sur l’ouverture de la procédure collective.


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Mon, 05 Feb 2024 15:28:38 GMT 9000 156 436 801 0 La levée de la confidentialité du mandat ad hoc en cas d’ouverture d’une procédure collective