La faute du géomètre expert s'apprécie à la date de la réalisation de sa mission
Publié le :
06/05/2024
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Les règles d’urbanisme étant en constante évolution, certaines dispositions peuvent toujours être annulées ou simplement modifiées à l’occasion de leur révision, ce qui conduit alors à déterminer la date à laquelle il convient de se placer pour apprécier l’éventuelle responsabilité du géomètre-expert.Dans un arrêt en date du 4 avril 2024 (Cass, 3ème civ, 4 avril 2024, n°22-18.509, Publié au bulletin), la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que la responsabilité du géomètre expert devrait être appréciée en considération des dispositions légales et réglementaires en vigueur à la date de son intervention.
Il en résulte qu’une modification ultérieure plus favorable ne peut être de nature à influer sur l’appréciation de sa responsabilité.
En l’espèce, un géomètre expert s’était vu confier une mission incluant le dépôt d’une demande de permis d’aménager un lotissement, ainsi que la maîtrise d’œuvre des VRD jusqu’à la réception des ouvrages.
Le contrat de maîtrise d’œuvre conclu avec le géomètre expert mentionnait que les esquisses de faisabilité devaient épuiser au maximum les dispositions d’urbanisme applicables à chacune des parcelles créées.
En définitive, les travaux de viabilité vont être réalisées conformément à l’autorisation d’aménager délivrée pour les lots avec une emprise au sol de 80 m² chacun, avant qu’ils ne soient commercialisés.
Le lotisseur ne parvenant pas à commercialiser les lots en raison d’une modalité de calcul défavorable retenue par le géomètre expert, au regard des règles existantes alors pour déterminer l’emprise au sol maximale des constructions, il a procédé à la résiliation du contrat de maîtrise d’œuvre et sollicité le concours d’un autre géomètre expert, afin d’obtenir un permis d’aménager modificatif avec des surfaces d’emprise au sol augmentées.
Le document d’urbanisme qui était en vigueur à l’époque prévoyait en effet que le coefficient maximal d’emprise au sol devait être calculé sur la surface de chaque lot et non sur la surface totale.
Pour sa part, le géomètre expert a fait délivrer une assignation au lotisseur, afin d’obtenir le paiement du solde de ses honoraires, conduisant celui-ci à solliciter l’indemnisation de ses différents chefs de préjudices découlant du retard de commercialisation des lots.
Par un arrêt en date du 5 avril 2022, la Cour d’appel de Rennes (Cour d’appel Rennes, 5 avril 2022, n°21-05531), sur renvoi de cassation (Cass, 3ème civ, 10 juin 2021, n°20-10.021), a condamné le géomètre expert à indemniser le lotisseur à hauteur d’une somme de 50.000,00 euros.
Au soutien de son pourvoi, le géomètre expert soutenait que pour retenir l’existence d’une faute à son égard, il lui avait été reproché de n’avoir pas fait application d’une disposition du plan d’occupation des sols, déterminant donc les modalités de calcul du coefficient maximal d’emprise au sol sur la surface de chaque lot et non sur la surface totale, résultant d’une délibération du conseil municipal ultérieurement annulée par la juridiction administrative.
Il en découlait donc, selon le pourvoi, que c’était à bon droit que le géomètre expert n’avait pas fait application des dispositions jugées depuis lors illégales.
Par son arrêt en date du 4 avril 2024, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en considérant que la faute du géomètre expert devait s’apprécier à la date d’exécution de sa mission, l’effet rétroactif de l’annulation ultérieure du document d’urbanisme devant être sans incidence sur cette appréciation.
Dès lors que le géomètre expert était contractuellement chargé d’établir un projet exploitant au maximum les possibilités offertes par les règles locales d’urbanisme, il ne pouvait donc pas se fonder sur d’autres règles que celles qui étaient en vigueur à la date de son intervention, sauf accord préalable de son cocontractant.
« Elle a retenu que la demande d’autorisation établie par le géomètre expert n’était pas conforme à cette obligation car, à la date à laquelle elle avait été déposée, le plan d’occupation des sols (POS) de la commune permettait de calculer le coefficient d’emprise au sol des constructions sur la surface de chaque lot plutôt que sur la totalité de la surface à lotir. »
« Malgré l’annulation ultérieure de la modification du POS qui permettait ce calcul, elle a pu en déduire que M. (F), qui n’avait pas tenu compte de la règle en vigueur à la date du dépôt du permis d’aménager, avait manqué à ses obligations contractuelles. »
Cette décision est intéressante à plus d’un titre.
Il s’en évince en effet à contrario que la responsabilité du géomètre expert ne peut pas être recherchée pour n’avoir pas anticipé l’illégalité d’un règlement d’urbanisme, dont il aurait fait application et qui aurait été ultérieurement annulé.
Pour autant, il n’en reste pas moins que le géomètre expert, restant redevable d’une obligation contractuelle de conseil et d’information, se doit, dès lors qu’il a connaissance d’un doute légitime sur la licéité d’une disposition qu’il lui faut appliquer, d’en informer le maître d’ouvrage, ainsi que des conséquences qui sont susceptibles d’en découler.
Dans ce cas, il lui sera toujours possible d’amender la convention de maîtrise d’œuvre, afin de convenir de critères d’appréciation différents, ce que réserve d’ailleurs l’arrêt du 4 avril 2024 en constatant que le géomètre expert n’avait pas en l’espèce sollicité l’accord préalable du maître d’ouvrage pour déroger à la règle d’urbanisme en vigueur à la date de son intervention.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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