Conditions de fixation judiciaire d'un loyer binaire : la cour de cassation continue d'évoluer
Publié le :
19/07/2024
19
juillet
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07
2024
Cour de cassation, 3ème chambre civile, 30 mai 2024, n° 22-16.447
Tous les adeptes du Droit des baux commerciaux connaissent le très célèbre et fameux arrêt du 10 mars 1993 dit « Théâtre Saint Georges » (Cour de cassation, chambre civile III, 10 mars 1993, n° 91-13.418).
Cet arrêt a posé le principe que la fixation du loyer de renouvellement dans l’hypothèse d’un loyer binaire devait échapper au statut des baux commerciaux et n’était régie que par la convention des parties.
En effet, il arrive très souvent, notamment dans la grande distribution, que le loyer soit fixé de manière binaire, c’est-à-dire par une partie fixe minimum et une partie variable souvent indexée sur le chiffre d’affaires réalisé par le locataire.
Traditionnellement, la jurisprudence a considéré que le Juge des loyers commerciaux n’était pas compétent pour statuer sur ce contrat qui reste régi par les principes contractuels.
Le minimum ne devait pas être évalué à la valeur locative, car n’est pas forcément fixé initialement à la valeur locative mais devait rester un minimum contractuel auquel devait s’ajouter, selon l’accord initial des parties, un pourcentage complémentaire résultant de la variation du chiffre d’affaires.
Mais la jurisprudence a commencé à évoluer.
Dès l’année 2016, un certain nombre de Cours d’appel (LIMOGES et AIX-EN-PROVENCE) ont commencé à remettre en cause les principes qui paraissaient bien établis de fixation judiciaire du loyer de base du bail renouvelé en présence d’un loyer binaire.
Le grand tournant est arrivé durant l’année 2016.
En effet, la Cour de cassation a considéré que lorsque les parties avaient convenu d’un loyer comprenant un minimum garanti et une part variable, elles pouvaient prévoir, par une clause du contrat, de recourir au Juge des loyers commerciaux pour évaluer, lors du renouvellement, ce minimum garanti à la valeur locative (Cour de cassation, 3ème chambre civile, 3 novembre 2016, n° 15-16.826 et Cour de cassation, 3ème chambre civile, 29 novembre 2018, n° 17-27.798).
Il suffisait donc d’étudier les clauses du contrat et vérifier si les parties avaient inséré spécifiquement une clause attribuant au Juge des loyers commerciaux la compétence de fixer le montant du loyer minimum à la valeur locative.
Au passage, ce point soulève une question de procédure.
En effet, l’article R 145-23 du Code de commerce prévoit que les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé peuvent être portées devant le Président du Tribunal judiciaire ou le Juge qui le remplace (le juge des loyers commerciaux).
Toutes les autres contestations sont portées devant le Tribunal judiciaire.
Dès lors, la contestation soulevée de l’absence de compétence du Juge des loyers commerciaux à se prononcer sur le loyer minimum ne doit pas être considérée comme une fin de non-recevoir conformément à l’article 122 du Code de procédure civile.
En l’occurrence, le Juge des loyers commerciaux ne peut déclarer irrecevable une demande tendant à le voir déclarer incompétent, mais doit examiner la question au fond.
En l’espèce, le locataire et le bailleur avaient prévu une clause selon laquelle le loyer annuel ne pourrait être inférieur à 1,50 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé par le locataire.
Au dernier état des relations contractuelles, les parties se sont accordées sur un renouvellement de bail pour une durée de 12 ans moyennant un loyer minimum garanti fixé à une somme de 247 623,20 € par an, hors taxes et hors charges, reconduisant la clause d’origine.
Le bailleur a saisi le Juge des loyers commerciaux pour solliciter la fixation du prix du bail renouvelé à une somme de 800 000 € par an, considérant que le bail ayant été conclu pour une durée de 12 ans, que le loyer n’était pas plafonné et qu’il devait être fixé à la valeur locative.
L’arrêt de la Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE intervenu le 24 février 2022 a déclaré irrecevable la demande en fixation judiciaire du loyer renouvelé en rappelant que l’application de la règle jurisprudentielle selon laquelle la fixation du loyer binaire échappe aux dispositions du statut des baux commerciaux et ne pouvait être régie que par la convention des parties, sauf si elles ont prévu par une clause du bail de soumettre la fixation du loyer lors du renouvellement aux dispositions de l’article L 145-33 du Code de commerce.
La Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE a donc repris quasiment mot pour mot les dernières décisions de la Cour de cassation sur le sujet de 2016 et 2018.
Cependant, la Cour de cassation a décidé, dans son arrêt du 30 mai 2024, d’aller plus loin.
Elle casse l’arrêt de la Cour d’appel et lui reproche de ne pas avoir restitué l’exacte qualification du moyen soulevé par le bailleur et de ne pas avoir recherché, comme il était demandé, si les parties n’avaient pas exprimé une volonté commune en cas de désaccord, de voir fixer judiciairement le prix du bail renouvelé à la valeur locative.
Il s’agit d’une évolution notable de la jurisprudence.
Il ne suffit plus désormais de se fier à la lettre au bail commercial et de rechercher si les parties ont convenu d’une clause en renvoyant la fixation du loyer minimum à la valeur locative à la compétence du Juge des loyers commerciaux conformément à l’article L 145-33 du Code de commerce, mais bien d’analyser et de qualifier le contrat en recherchant la commune intention des parties et de vérifier si elles n’avaient pas l’intention de soumettre ce minimum de loyer à la valeur locative et à la compétence du Juge des loyers commerciaux.
Il ne s’agit certes pas d’une révolution, mais de l’application du Droit commun.
Il est traditionnellement reconnu au Juge le pouvoir de requalifier un contrat, mais également de l’analyser et de rechercher la commune intention des parties.
Mais cette jurisprudence marque quand même une étape, puisqu’elle demande aux juridictions du fond d’aller plus loin que le sens littéral des clauses prévues dans les contrats de baux commerciaux.
Cette jurisprudence marque une inflexion et il est à se demander si dans un dernier « coup de collier » la Cour de cassation ne viendra pas un jour dire très clairement que la jurisprudence « Théâtre Saint Georges » est définitivement enterrée et que le Juge des loyers commerciaux, en toute hypothèse, est compétent pour évaluer à la valeur locative le minimum du loyer binaire.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
MEDINA Jean-Luc
Avocat Associé
CDMF avocats , Membres du conseil d'administration
GRENOBLE (38)
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