
Le comportement d’un candidat lors de précédentes procédures peut justifier son exclusion (CE 24 Juin 2019, Sté EGBTI)
Publié le :
28/08/2019
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L’acheteur public peut, pour exclure un candidat, tenir compte des tentatives d’influence sur le processus décisionnel commises par celui-ci à l’occasion de procédures antérieures.
1. Les interdictions facultatives de soumissionner :
L’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics a prévu, aux côtés des interdictions de soumissionner automatiques ou de plein droit (condamnation pénale, liquidation judiciaire, violation des obligations fiscales et sociales, etc.), des interdictions dites facultatives qui relèvent de l’appréciation de l’acheteur.
Ces cas d’exclusion, repris aux articles L. 2141-7 à L. 2141-11 du Code de la commande publique en vigueur depuis le 1er avril 2019, sont au nombre de cinq :
- commission, au cours des trois années précédentes, d'un manquement grave ou persistant à des obligations contractuelles,
- tentatives d’influence sur le processus décisionnel de l'acheteur ou tentative d’obtention d’informations confidentielles susceptibles de conférer un avantage indu lors de la procédure de passation du marché,
- détention d’informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats et obtenues grâce à la participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation,
- existence d'éléments suffisamment probants ou constituant un faisceau d'indices graves, sérieux et concordants, permettant de conclure à une entente entre opérateurs,
- existence d’une situation de conflit d'intérêts.
Lorsque l’acheteur entend exclure un candidat sur le fondement de l’une ou plusieurs de ces hypothèses, il doit l’inviter à présenter ses observations afin d'établir, dans un délai raisonnable, et par tout moyen, qu'il a pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements énoncés et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du marché n'est pas susceptible de porter atteinte à l'égalité de traitement (art. L. 2141-11 du CCP).
2. La tentative d'influence lors de procédures antérieures comme justificatif d'exclusion ?
Le Conseil d’Etat a été conduit à préciser le champ d’application du second cas d’exclusion c’est-à-dire l’hypothèse dans laquelle un candidat avait tenté d'influencer la procédure d’attribution d’un marché. La décision est intéressante en ce qu’elle se prononce sur les agissements d’un candidat qui ont été commis non pas dans le cadre de la procédure en cours, mais lors d’une procédure antérieure.
Plus précisément, le département des Bouches-du-Rhône avait informé un candidat que sa candidature était susceptible d’être exclue en raison d’éléments mettant en exergue le fait qu’une personne proche de la société et considérée comme son dirigeant de fait, avait tenté d’influencer la procédure d’attribution de marchés publics passés par le département entre 2013 et 2016, conduisant à l’ouverture d’une information judiciaire dans laquelle le département s’était constitué partie civile.
Le candidat concerné était invité, dans un délai de dix jours, à établir que son professionnalisme et sa fiabilité ne pouvaient plus être mis en cause.
N’ayant pas été convaincu par la réponse de la société candidate, le département a décidé d’exclure sa candidature, décision censurée par le Juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Marseille au motif principalement que les dispositions susvisées de l’ordonnance (ou du Code de la commande publique) n’autorisaient pas le département à exclure la société en invoquant des faits intervenus à l’occasion de la passation d’autres marchés publics.
La question qui se posait au Conseil d’Etat était donc de savoir si ce second motif d’exclusion, à savoir une tentative d’influence sur le processus décisionnel, ne couvre que la procédure en cours ou au contraire, s’il autorise l’acheteur public à tenir compte des agissements du candidat lors de marchés antérieurs.
3. La solution apportée (CE 24 Juin 2019, Société EGBTI, req. n°428866):
Le Conseil d’Etat répond clairement que « ces dispositions permettent aux acheteurs d’exclure de la procédure de passation une personne qui peut être regardée, au vu d’éléments précis et circonstanciés, comme ayant, dans le cadre de la procédure de passation en cause ou dans le cadre d’autres procédures récentes de la commande publique, entrepris d’influencer la prise de décision de l’acheteur et qui n’a pas établi, en réponse à la demande que l’acheteur lui a adressé à cette fin, que son professionnalisme et sa fiabilité ne peuvent plus être mis en cause et que sa participation à la procédure n’est pas de nature à porter atteinte à l’égalité de traitement entre les candidats ».
Une telle réponse n’allait pas de soi dans la mesure où l’article L. 2141-8 du Code de la commande publique propre aux tentatives d’influence sur l’issue de la consultation évoque « la procédure de passation du marché » ce qui, en première approche, semble limiter l’invocation de ces dispositions au cas de la procédure en cours.
A cela s’ajoute que la première cause d’exclusion évoquée à l’article L. 2141-7 du même code - à savoir le manquement grave ou persistant commis par un candidat - , renvoie expressément à des marchés antérieurs et ce, dans la limite des trois années précédentes. A contrario, faute de dispositions explicites en ce sens, il aurait pu être considéré que les autres hypothèses d’exclusion ne visent que la procédure de passation en cours.
Le Conseil d’Etat retient néanmoins une position large en considérant que ces dispositions ne réservent pas la faculté de mettre en œuvre cette cause d’exclusion facultative au regard des seuls agissements commis dans le cadre de la procédure de passation en cours.
Cela étant, l’acheteur ne saurait se fonder sur des comportements du candidat qui n’auraient pas de liens suffisants avec la procédure en cause.
Comme l’indique le rapporteur public Gilles Pellissier dans ses conclusions, si l’acheteur dispose d’une certaine marge d’appréciation, celle-ci « ne saurait être sans limite et cette limite doit tenir à l’existence d’un lien étroit avec la procédure en cours ».
En d’autres termes, bien que les manquements reprochés puissent avoir été commis à l’occasion de procédures antérieures, ceux-ci doivent néanmoins être susceptibles de compromettre le bon déroulement de la procédure en cours et « ce risque ne saurait résulter du seul fait que l’opérateur économique est soupçonné d’avoir eu, directement ou indirectement, un comportement anticoncurrentiel par le passé ».
Monsieur Pellissier poursuit en indiquant que « la participation du candidat doit faire peser sur la régularité de la procédure en cours, du fait des liens qui unissent cette procédure à la procédure antérieure que le candidat a essayé d’influencer, un risque suffisamment sérieux pour que l’acheteur puisse légitimement choisir de l’exclure afin de garantir aux autres candidats les conditions d’une mise en concurrence transparentes et égales ».
Or, en l’occurrence, ce lien résidait dans le fait qu’une personne proche de la société exclue, et considérée comme son « dirigeant de fait », avait tenté d’influencer le sort de procédures d’attribution récentes lesquelles portaient, en partie, sur les mêmes prestations que celles de la procédure en cours.
Pour seule défense, la société s’était bornée à indiquer qu’elle ne connaissait pas l’identité de la personne présentée comme son gestionnaire de fait, ce qui paraissait néanmoins peu probable dès lors que cette personne avait, semble-t-il, des liens familiaux avec le gérant de la société. Ce faisant, le Conseil d’Etat a considéré que celle-ci ne produisait pas d’éléments de nature à établir que son professionnalisme et sa fiabilité ne pouvaient plus être remis en cause.
En conclusion, si l’acheteur public peut tenir compte des agissements d’un candidats lors de procédures antérieures, il lui appartient néanmoins, au-delà de simples soupçons, de démontrer, au vu d’« éléments précis et circonstanciés » (considérant n°3), que la participation du candidat en cause fait peser un risque sur la régularité de la procédure en cours.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur

AMON Laurent
Avocat Associé
CORNET, VINCENT, SEGUREL NANTES
NANTES (44)
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