Médiation : le Conseil d'État précise la portée du principe de confidentialité
Publié le :
28/12/2023
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2023
Le Conseil d’Etat, saisi d’une demande d’avis par le Tribunal Administratif de La Réunion vient de préciser les contours du principe de confidentialité en matière de médiation administrative, à savoir quelles sont les pièces qui, par principe, doivent être considérées comme confidentielles et ne peuvent être « sorties » de la médiation.
Il sera rappelé que la confidentialité est un principe consubstantiel de la médiation : sans confidentialité, point de médiation. La confidentialité met les médiés dans une relation de confiance et de sécurité ; elle permet la libération de la parole et l’exploration du champ des possibles pour régler le différend qui oppose les médiés.
En matière administrative, la confidentialité est rappelée à l’article L. 213-2 du Code de Justice Administrative : « Sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité. Les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d'une instance juridictionnelle ou arbitrale sans l'accord des parties.
Il est fait exception au deuxième alinéa dans les cas suivants :
1° En présence de raisons impérieuses d'ordre public ou de motifs liés à la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant ou à l'intégrité physique ou psychologique d'une personne ;
2° Lorsque la révélation de l'existence ou la divulgation du contenu de l'accord issu de la médiation est nécessaire pour sa mise en œuvre ».
Il est cependant parfois difficile, en cas d’échec d’une médiation, lorsque les médiés (re)deviennent des parties et se retrouvent devant le juge, de savoir ce qui peut être dit ou exploité dans le cadre de l’instance contentieuse. Quels sont les propos qui sont concernés par la confidentialité ? Toutes les déclarations, les propos des médiés doivent-ils être considérés comme confidentiels ?
Répondre à cette question par l’affirmative, reviendrait à « tuer dans l’œuf » la médiation. Si tout ce qui est dit en médiation ne peut sortir de la médiation, alors les médiés risqueraient de plus rien dire, par crainte d’être bloqués par la suite. Ils n’exposeraient alors plus leur vision du différend, leur ressenti, leurs positions ...
Dans la pratique, il est considéré que la confidentialité vise, par principe, toutes les prises de position, toutes les propositions, toutes les recherches de solutions qui ont été faites : un médié ne peut faire valoir devant le juge que l’autre médié aurait « reconnu être responsable », « proposé telle solution » …
S’agissant des pièces produites, il est généralement décidé, en médiation, par les médiés, le sort qu’elles entendent donner à ces pièces : confidentialité ou non. Au besoin, un tampon « confidentiel » peut être apposé en médiation sur ces pièces. Mais la plupart du temps, ces pièces ne sont pas produites en médiation, seulement évoquées de loin.
Le Tribunal Administratif de La Réunion a permis au Conseil d’Etat de se prononcer sur la confidentialité de la médiation et a sollicité son avis sur les questions suivantes :
1°) A quelles conditions une pièce, des observations ou un élément d'analyse issus d'un processus de médiation peuvent-ils être considérés comme une constatation du médiateur ou des déclarations recueillies au cours de la médiation au sens et pour l'application de l'article L. 213-2 du code de justice administrative ;
2°) Dans l'hypothèse où il ne remplirait pas les conditions définies en réponse à la première question, un rapport d'expertise établi dans le cadre d'un processus de médiation et procédant à une analyse technique et factuelle des prétentions des parties peut-il être soumis au débat contradictoire et être régulièrement pris en compte par le juge du fond à titre d'élément d'information.
Autrement dit : quel est le sens et la portée de l’obligation de confidentialité de l’article L. 213-2 du Code de Justice Administrative ?
Le Conseil d’Etat a apporté une réponse de bon sens, reprenant, en grande partie la pratique.
Il a d’abord précisé ce qu’il fallait entendre par « constatations du médiateur ou déclaration recueillies au cours de la médiation », au sens de l’article L. 213-2 du Code de Justice Administrative.
Sont ainsi concernés les « actes, documents ou déclarations, émanant du médiateur ou des parties, qui comportent des propositions, demandes ou prises de position formulées en vue de la résolution amiable du litige par la médiation ». Autrement dit, toutes les recherches de solutions ; une des dernières étapes du processus structuré de médiation.
Le Conseil d’Etat a donc opéré une classification des informations confidentielles non pas en fonction d’un quelconque critère formel, mais par l’application d’un critère matériel. La pièce importe peu ; ce qu’il faut regarder c’est son contenu. Si le contenu divulgué, invoqué ou produit concerne une proposition, une demande ou une prise de position formulée par l’un des médiés dans le cadre de la médiation, en vue de la recherche d’une solution amiable, alors il doit être considéré comme confidentiel.
Ces actes, documents ou déclarations ne peuvent être révélés dans le cadre d’un contentieux ultérieur, sauf exceptions strictement limitées par l’article L. 213-2 du CJA :
- Accord des parties pour « dé-confidentialiser » ces pièces, documents ou déclarations ;
- Raison impérieuse d’ordre public ou nécessité de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant ou l’intégrité physique ou psychologique d’une personne ;
- Nécessité de divulguer l’existence ou le contenu d’un accord pour sa mise en œuvre.
Les mêmes principes s’appliquent lorsqu’un Expert s’est vu confier une mission de médiation par le juge, en application des dispositions de l’article R. 621-1 du Code de Justice Administrative : doivent demeurer confidentiels les documents retraçant les propositions, demandes ou prises de position de l'expert ou des parties, formulées dans le cadre de la mission de médiation en vue de la résolution amiable du litige. Le rapport d’expertise ne devra pas en faire état, sauf accord des parties. Cette solution n’est pas surprenante dès lors que l’article R. 621-1 du CJA renvoie aux dispositions de l’article L. 121-3 du CJA et que l’Expert, dans ce cas, n’est pas un tiers à la médiation ; il est même au cœur de la médiation, en tant que médiateur.
En revanche, les documents émanant des tiers à la médiation, alors même qu'ils auraient été établis ou produits dans le cadre de la médiation, ne sont pas visés par la confidentialité. Ils peuvent donc être invoqués ou produits devant le juge administratif.
Tel est le cas en particulier d’un rapport d’expertise (en dehors de toute mission de médiation) procédant à des constatations factuelles ou à des analyses techniques établis par un tiers expert à la demande du médiateur ou à l'initiative des parties dans le cadre de la médiation, dans toute la mesure où ce rapport ne fait pas état des positions avancées par le médiateur ou les parties en vue de la résolution du litige dans le cadre de la médiation. Le juge administratif peut donc le prendre en compte, dans le respect du caractère contradictoire de l’instruction.
Cette position n’allait pas de soi. En effet, jusqu’à présent, la pratique était plutôt de laisser les médiés décider d’un commun accord, de la confidentialité ou non d’un rapport d’expertise : le rapport d’expertise servira-t-il uniquement pour les besoins de la médiation, sans pourvoir être utilisé ou exploité en cas d’échec de la médiation et de contentieux ultérieur ou non ?
Désormais, la position du Conseil d’Etat est claire : un rapport purement factuel, procédant à une simple analyse technique n’est pas confidentiel, par principe. De même tout autre document émanant d’un tiers à la médiation. Reste cependant encore à définir la notion de tiers à la médiation : une prise de position d’une personne non partie à la médiation (et donc tiers), mais qui a un quelconque lien avec les médiés ou intérêt à la médiation, doit elle être considérée comme confidentielle ? La situation n’est certes pas fréquente, mais la question mérite, à notre sens, d’être posée.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Florence BARRAULT
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