Travaux complémentaires construction

Le maître d'oeuvre répond sans recours des travaux complémentaires non acceptés s'ils sont réalisés sous sa signature

Publié le : 13/09/2024 13 septembre sept. 09 2024

Dans le cadre de cette affaire, une SCI a entrepris la construction d’un lotissement composé de 12 maisons individuelles sous la maîtrise d’œuvre de la société BC INGENIERIE, avec une mission élargie d’économiste, maître d’œuvre et ordonnancement, pilotage et coordination (OPC).
Le CCTP qui a été établi décrit le lot n°1 – Terrassement VRD comme visant l’ensemble des travaux concernant les parties privatives et communes.
 
Avant la signature de son marché de travaux, la société GO SERVICES a établi un devis pour les travaux de VRD, mentionnant expressément en tête du document : « Travaux ne comprenant pas l’aménagement des parties privatives », dont le montant a été repris sur son marché.
 
En cours de chantier, ayant constaté l’oubli de chiffrage des travaux de VRD sur les parties privatives, le maître d’œuvre a sollicité la société GO SERVICES pour établir un devis complémentaire de près de 200.000,00 euros pour les travaux portant sur les parties privatives, sur lequel le maître d’œuvre a porté la mention : « bon pour exécution ».
 
La SCI ayant en définitive refusé de payer ces travaux complémentaires, faute de les avoir acceptés, la société GO SERVICES, qui avait réalisé les travaux, a fait assigner en paiement la société BC INGENIERIE, son donneur d’ordre, qui a appelé en garantie le maître d’ouvrage, bénéficiaire des travaux réalisés.
 
Par un arrêt en date du 10 juin 2021, la Cour d’appel de Lyon (Cour d’appel de Lyon, 3ème Chambre A, n°18-03462) a condamné la société BC INGENIERIE à payer le montant des travaux réalisés à la société GO SERVICES et a condamné le maître de l’ouvrage a la garantir des condamnations prononcées à son encontre, au motif que les travaux avaient été réalisés à son seul profit d’une part, qu’il n’en avait pas payé le prix d’autre part, et qu’enfin aucune action en responsabilité n’avait été engagée à l’égard de la société BC INGENIERIE, avec une demande de dommages intérêts, ce qui implicitement signifiait qu’aucune faute ne lui était reprochée. 
 
La société GO SERVICES a inscrit un pourvoi en cassation et la société BC INGENIERIE un pourvoi incident sur sa condamnation.
 
Dans le cadre de son pourvoi, la société BC INGENIERIE soutenait qu’il y a novation par changement de l’objet lorsque le créancier a accepté l’engagement du débiteur de lui fournir une prestation différente de celle qui était initialement stipulée, de sorte qu’en l’espèce le marché de travaux de la société GO SERVICES, conclu postérieurement au devis excluant les travaux de VRD sur les parties privatives, faisant référence au lot VRD que le CCTP décrivait comme intégrant les parties communes et privatives, emportait nécessairement novation de son engagement initial.
 
Il était également soutenu par le pourvoi que le contrat d’entreprise ne conférait en soit aucun pouvoir de représentation, de sorte qu’au sujet des travaux complémentaires réalisés par la société GO SERVICES, la société BC INGENIERIE ne pouvait avoir la qualité de mandataire de la SCI, maître de l’ouvrage.
 
Le pourvoi de la société BC INGENIERIE a été rejeté par l’arrêt du 5 septembre 2024 (Cass, 3ème civ, 5 septembre 2024, n°21-22.010), au motif que :
 
1. Nonobstant les indications portées dans le CCTP, la société GO SERVICES ne s’était engagée que dans les limites de son devis initial et de son marché de travaux, ce qui excluait les parties privatives.
 
2. Le devis de travaux complémentaire s’inscrivait dans le cadre « d’un marché distinct » et ne correspondait pas à des travaux supplémentaires au marché de travaux signé par le maître de l’ouvrage.
 
3. Par ailleurs, le devis de travaux complémentaires n’avait été accepté que par le maître d’œuvre et non par le maître de l’ouvrage, alors que le maître d’œuvre n’avait pas la qualité de mandataire de la SCI, maître de l’ouvrage.
 
Sur ce, la condamnation du maître d’œuvre à procéder au paiement des travaux réalisés par l’entreprise sous sa seule signature, et donc sans l’assentiment du maître de l’ouvrage, est confirmée.
 
Par contre, la Haute juridiction casse l’arrêt d’appel en ce qu’il avait condamné le maître de l’ouvrage à garantir le maître d’œuvre de cette condamnation, et statuant sur les principes de l’enrichissement sans cause, tout autant que sur le fondement des dispositions de l’article 1371 du code civil, retient que :
 
4. L’action de in rem verso ne peut prospérer que si l’appauvrissement est dû à la faute de l’appauvri, ce qui n’a pas été examiné par les juges d’appel qui ne se sont focalisés que sur l’avantage tiré par le maître de l’ouvrage de la réalisation des travaux dont il n’aura pas en définitive payé le prix.
 
5. Le devis de travaux complémentaires n’était justifié que par l’oubli du maître d’œuvre de procéder au chiffrage des travaux et n’a jamais été accepté par le maître de l’ouvrage, de sorte qu’au regard du manquement contractuel du maître d’œuvre, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
 
Sur ce, il sera rappelé qu’il est constant que le maître d’œuvre ne peut pas délivrer, sans avoir préalablement recueilli l’accord du maître de l’ouvrage, un ordre de service prescrivant à une entreprise la réalisation de travaux non prévus dans le marché dont elle est titulaire.
 
A l’égard du maître de l’ouvrage, le paiement de travaux supplémentaires nécessite la preuve d’un accord du maître de l’ouvrage sur leur principe et sur leur prix (Cass, 3ème civ, 17 novembre 2021, n°20-20.249), de sorte que le maître de l’ouvrage ne peut pas être tenu au paiement de travaux qu’il n’aurait pas commandés avant leur exécution ou qu’il n’aurait pas acceptés de façon non équivoque après leur réalisation (Cass, 1ère civ, 21 mars 2006, n°04-20.639).
 
A cet égard, il sera rappelé que la charge de la preuve du consentement du maître de l’ouvrage incombe au demandeur (Cass, 1ère civ, 19 février 2013, n°11-26.944).
 
S’agissant enfin de l’action de in rem verso, la Cour de cassation a retenu dans son arrêt qu’elle ne pouvait pas prospérer dès lors qu’une faute pouvait être reprochée à l’appauvri, c’est-à-dire le maître d’œuvre, qui avait manifestement été défaillant dans l’exécution de sa mission de maîtrise d’œuvre.
 
Il aurait alors pu être très certainement ajouté que l’existence d’un lien contractuel exclu l’action de in rem verso, la Cour de cassation rappelant régulièrement que le principe de l’enrichissement sans cause (l’action de in rem verso relevant du quasi contrat) ne peut être invoqué dès lors que l’appauvrissement et l’enrichissement allégués trouvent leur cause dans l’exécution d’une convention unissant les parties, ce qui était manifestement le cas en l’espèce s’agissant du recours en garantie du maître d’œuvre à l’encontre du maître d’ouvrage (Cass, com, 23 octobre 2012, n°11-21.978 ; 11-25-175).
 
On ajoutera enfin et bien évidemment le caractère subsidiaire de l’enrichissement sans cause qui oblige l’appauvri à agir sur un fondement différent dès lors qu’il dispose d’un autre moyen d’action découlant du contrat.


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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