Défiscalisation

Investissement de défiscalisation et devoir de conseil de l'intermédiaire et du vendeur en VEFA

Publié le : 15/05/2023 15 mai mai 05 2023

Les faits sont simples. Des particuliers ont procédé à l’acquisition d’un appartement en l’état futur d’achèvement dans le cadre d’un investissement immobilier locatif défiscalisé de type Girardin. Estimant que les objectifs de leur opération n’étaient pas atteints, ils ont engagé une procédure à l’encontre du vendeur et de la banque qui avait financé l’acquisition et par l’intermédiaire de laquelle (une filiale) l’affaire avait été conclue.
Au soutien de leur pourvoi, les acquéreurs faisaient grief à l’arrêt d’appel d’avoir rejeté leur demande d’indemnisation contre le vendeur, au motif qu’ils ne rapportaient pas la preuve que celui-ci était tenu, à leur égard, d’une obligation d’information et de conseil sur les bénéfices attendus de l’opération globale de défiscalisation.

Les acquéreurs faisaient également grief à l’arrêt de les avoir déboutés de leurs demandes à l’encontre de la société en charge de la commercialisation, au motif qu’ils ne rapportaient pas la preuve d’un manquement à son obligation délictuelle d’information, de conseil et de mise en garde.
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion est cassé sur ces deux moyens par l’arrêt du 13 avril 2023, rendu par la 3ème Chambre civile de la Haute juridiction qui n’est pas habituellement saisie de ce type de contentieux.

1. Il est tout d’abord précisé que le vendeur, promoteur d’une opération d’investissement immobilier bénéficiant d’un dispositif de défiscalisation, est redevable à l’égard des acquéreurs d’un devoir d’information sur les caractéristiques et les risques encourus.

Dans son arrêt du 13 avril 2023 (Cass, 3ème civ, 13 avril 2023, n° 22-10.288), la Cour de cassation se réfère à une précédente décision rendue le 26 septembre 2018 par la 1ère Chambre civile, confirmant ainsi l’absence de toute divergence d’analyse à ce sujet (Cass, 1ère civ, 26 septembre 2018, n° 16-23.500) :

« Mais attendu qu’ayant relevé que la brochure remise aux acquéreurs par M. A… mentionnait la SCI… comme promoteur de l’opération immobilière, et constaté que les acquéreurs avaient conclu leurs contrats de réservation puis de vente avec la SCI, la cour d’appel a énoncé, à bon droit, que celle-ci était tenue, envers eux, d’un devoir d’information sur les risques de l’opération d’investissement proposée ; ».

Il est donc tout à fait loisible à l’acquéreur d’agir à l’encontre de son vendeur, sur le fondement des vices du consentement ou de la responsabilité contractuelle de droit commun, s’il estime avoir été insuffisamment informé des risques découlant de son investissement et qu’il en résulte pour lui un préjudice, dans le délai de 5 ans de l’article 2224 du code civil (CA Toulouse, 1ère Chambre, 1ère section, 28 février 2022, n° 18-05059 : pour la date de connaissance du droit à agir).

2. Il en va de même de l’intermédiaire professionnel qui commercialise des opérations immobilières de placement, qui se doit d’informer et de conseiller l’acquéreur sur les caractéristiques de l’investissement qu’il lui propose, sur les choix à effectuer et les risques encourus.

Dans son arrêt du 13 avril 2023, la Haute juridiction se réfère à une précédente décision de la 1ère Chambre civile du 2 octobre 2013 (Cass, 1ère civ, 2 octobre 2013, n° 12-20.504), qui est parfaitement conforme s’agissant de l’entremise habituelle d’un agent immobilier spécialisé dans l’immobilier de placement.

Au-demeurant, dans un arrêt du 25 janvier 2017 (Cass, 1ère civ, 25 janvier 2017, n° 25-21.186), la Cour de cassation avait une nouvelle fois rappelé que « le devoir d’information et de conseil de cet intermédiaire spécialisé comportait celui d’informer des perspectives économiques et financières d’évolution de l’opération immobilière, support de l’investissement de défiscalisation qu’il proposait ».

Encore une fois, la demande principale en nullité de la vente sur le fondement des vices du consentement, lorsque les objectifs de rentabilité ne sont pas atteints, ne fait absolument pas obstacle à la mise en œuvre d’une action en responsabilité sur le fondement quasi délictuel à l’encontre de l’intermédiaire en charge de la commercialisation du programme d’investissement immobilier défiscalisé.

3. L’arrêt du 13 avril 2023 est par ailleurs l’occasion de rappeler que la charge de la preuve du respect du devoir de conseil et d’information incombe à l’intermédiaire commercial, en application des dispositions de l’article 1315 du code civil.

Dans un arrêt du 9 septembre 2020 (Cass, 1ère civ, 9 septembre 2020, n° 18-25.015), la Cour de cassation avait déjà clairement précisé que celui qui est tenu d’une obligation d’information et de conseil doit rapporter la preuve de son exécution.

En l’espèce, pour débouter les acquéreurs, l’arrêt avait retenu qu’ils ne justifiaient pas des obligations de l’intermédiaire professionnel, ce à quoi il est répondu par la Haute juridiction que : « En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la société S… était chargée de la commercialisation d’une opération immobilière éligible au dispositif de défiscalisation prévu par la loi Girardin, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (article 1382, devenu 1240 du code civil).

Etant chargé de la commercialisation d’une opération immobilière éligible à un dispositif de défiscalisation, il s’entendait nécessairement que l’intermédiaire était redevable d’un devoir de conseil et d’information, à charge pour lui de justifier qu’il s’en était parfaitement acquitté.

4. Enfin, s’agissant de la réparation du préjudice, la cassation est également encourue, dès lors que les acquéreurs avaient été déboutés de leurs demandes, faute de justifier de la matérialité de leur préjudice « en l’absence de production d’un plan de défiscalisation comprenant une couverture des échéances par les loyers ou autres prévisions ».

Or, il est constant que le préjudice qui découle du manquement à un devoir de conseil et d’information, en pareille circonstance, est constitué par la perte de chance d’avoir effectué un investissement plus rentable.

Il s’agit du principe qui a été exposé par la Cour de cassation dans un arrêt important du 22 mars 2012 (Cass, 1ère civ, 22 mars 2012, n° 11-10.935) :

« Attendu que la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable ; »


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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