
Limitation de la possibilité de breveter un programme d’ordinateur
Publié le :
15/09/2014
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Le 19 juin 2014, la Cour Suprême des Etats-Unis a rendu une décision tout à fait importante à propos de la brevetabilité des programmes d’ordinateurs (US Supreme Court, Alice vs CLS Bank).Cette décision intéresse en particulier toutes les entreprises et les acteurs économiques concernés par les inventions dans le secteur des nouvelles technologies et des méthodes commerciales mises en œuvre par un programme d’ordinateur, et plus généralement les acteurs du secteur des logiciels et de l’informatique.
Quel est le contexte ?
Pendant longtemps, l’Office américain des brevets (USPTO), adoptant une vision assez libérale sur le sujet, délivrait généreusement des brevets de logiciels, dès lors que l’invention décrite dépassait l’abstraction pure et qu’elle était utile, s’appuyant pour cela sur la Section 101 du Patent Act selon laquelle il n’y a aucune exclusion légale à la brevetabilité d’un logiciel (« quiconque invente ou découvre tout produit, procédé, machine ou composant nouveau et utile, peut obtenir un brevet.. »).
En matière de nouvelles technologies, cette vision libérale a favorisé la constitution de nombreux portefeuilles de brevet portant sur des méthodes commerciales mises en œuvre par des procédés informatiques simples, ou encore des procédés informatiques relativement peu sophistiqués. Cela a aussi conduit à l’émergence des patents trolls, qui sont ces sociétés qui rachètent des portefeuilles de brevets pour en maximiser l’exploitation en forçant les acteurs du marché, notamment des nouvelles technologies, à signer des licences, sous peine et parfois sous la pression d’une action judiciaire.
En Europe, au contraire, il existe un principe d’exclusion de la brevetabilité des logiciels « en tant que tel », ce qui n’empêche toutefois pas l’Office Européen des Brevets (OEB) de délivrer de nombreux brevets pour des inventions mises en œuvre par un logiciel, dès lors qu’il est démontré ce qu’on appelle un "effet technique supplémentaire " : « Un programme d'ordinateur revendiqué en tant que tel n'est pas exclu de la brevetabilité s'il est capable de produire, lorsqu'il est mis en œuvre ou chargé sur un ordinateur, un effet technique supplémentaire allant au-delà des interactions physiques "normales" existant entre le programme (logiciel) et l'ordinateur (matériel) sur lequel il fonctionne », écrit l’OEB.
Que dit la Cour Suprême américaine ?
Le brevet Alice était un brevet portant sur une méthode et un système de dépôt fiduciaire, c’est-à-dire un concept d’utilisation d’un séquestre pour réduire un risque financier (exemple : (1°) X veut prendre livraison d’un bien auprès de Y en payant un prix, mais n’a pas confiance dans Y pour la délivrance du bien, (2°) Y accepte de livrer en recevant un prix, mais n’a pas confiance dans X quant au paiement, (3°) X et Y utilisent un intermédiaire de confiance (Z), qui va sécuriser la transaction entre eux).
Dans la continuité des décisions américaines antérieures qui avaient déjà commencé à restreindre la délivrance de ce type de brevets (ex, décisions Bilski, 2010 ; Mayo, 2012), la décision Alice juge que le concept en cause (tel que décrit ci-dessus) est une forme de relation commerciale connue depuis longtemps dans le secteur des affaires, et constitue une idée abstraite non brevetable. La Cour ajoute que la simple mise en œuvre d’une telle idée par un logiciel « générique » est insuffisante pour satisfaire aux conditions de brevetabilité du droit américain.
Le brevet est donc annulé.
Quelles conséquences ?
Contrairement à ce que certains ont pu commencer à écrire à propos de cette décision, l’arrêt Alice n’est pas un arrêt de mort pour les brevets logiciels ou de méthodes commerciales, mais témoigne en revanche d’un souci évident de la Cour Suprême de mettre un frein supplémentaire à l’obtention de ce type de brevets, en les réservant aux véritables innovations technologiques. L’Office américain continuera à délivrer des brevets de logiciels.
En revanche, les brevets très généraux, pauvrement rédigés ou argumentés ont du souci à se faire, et les Cours américaines vont certainement annuler plus aisément ces titres. Cela a d’ailleurs commencé, plusieurs cours ayant annulé, au mois de septembre, des brevets logiciels, en tirant les enseignements de l’arrêt Alice.
D’un point de vue général, on peut également dire que, par l’exigence demandée désormais par la Cour américaine que le logiciel mis en œuvre ne soit pas «générique », la Cour rapproche ainsi sa position américaine de celle de l’OEB, favorisant une harmonisation de points de vue entre l’Europe et les USA s’agissant des conditions de délivrance de ce type de brevets. Les déposants de ce type de brevets cherchant souvent à protéger leurs inventions des deux côtés de l’atlantique, la décision Alice peut contribuer à gommer la différence trop grande de régime de protection entre les USA et l’Europe sur la question.
Il faudra suivre avec attention la manière dont l’Office américain des brevets (USPTO) mettra en œuvre la décision.
Dans l’intervalle, il faut conseiller aux déposants de brevets concernés d’apprécier toutes les conséquences de cette décision sur leurs brevets, mais aussi sur leurs politiques de dépôts et les techniques de rédaction des revendications aux USA, ceci afin d’éviter de connaître le sort du brevet Alice.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Photo-K - Fotolia.com
Auteur

HERPE François
Avocat Associé
CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
PARIS (75)
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