
La réglementation sur le travail de nuit
Publié le :
24/10/2013
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La réglementation sur le travail de nuit occupe actuellement le devant de la scène de l’actualité sociale avec la fermeture de certaines enseignes, Monoprix et Séphora, au-delà de 21 heures.Ces dossiers nourrissent un débat intense sur le partage du temps entre travail, consommation et vie sociale.
Chez Monoprix, un accord d’entreprise avait été conclu, mais la CGT a obtenu en 2013 l’annulation de cet accord par la Cour d’appel de Versailles. Faute de nouvel accord avec les syndicats, le groupe a annoncé le 1er octobre dernier que ses supermarchés ne pourront désormais plus ouvrir au-delà de 21 heures dans toute la France.
Chez Sephora, la problématique était légèrement différente puisqu’aucun accord d’entreprise sur le travail nocturne n’avait été conclu avec les syndicats. Le groupe prétendait en être dispensé aux motifs que le travail de nuit avait débuté dès 1996, soit bien avant l’entrée en vigueur de la loi de 2001, et que le groupe respecte les critères légaux.
Mais quels sont ces critères légaux ? Est-ce que les 3,5 millions de personnes qui travaillaient la nuit en 2009 (soit un million de salariés de plus qu’en 1991) selon une étude de la DARES sont des travailleurs de nuit ? Au-delà de la simple réglementation du travail nocturne, quels sont les enjeux pour les entreprises, notamment concernant la prise en compte de la pénibilité dans la réforme des retraites ?
I. Définition du travail de nuitL’article L. 3122-29 du Code du travail définit le travail de nuit comme celui réalisé entre 21 heures et 6 heures sauf disposition conventionnelle modifiant cet horaire.
Tout salarié, homme ou femme, peut travailler la nuit, à l’exception des jeunes de moins de 18 ans pour lesquels le travail de nuit est, en principe, interdit.
Aux termes de l’article L. 3122-31 du même Code, est considéré comme travailleur de nuit celui qui :
1) soit accomplit au moins deux fois par semaine, selon son horaire de travail habituel qui se répète de manière régulière d'une semaine à l'autre, au moins 3 heures de travail quotidien en période de nuit. Rien n'interdit à l'accord collectif d'entreprise de fixer une durée moindre de façon à faire bénéficier à un plus grand nombre de salariés les garanties offertes ;
2) soit accomplit au minimum 270 heures de travail de nuit pendant une période de 12 mois consécutifs (article R. 3122-8 du Code du travail). Cette double condition a un caractère supplétif. Il peut y être dérogé par convention collective de branche étendue, ce qui signifie concrètement qu'un nombre d'heures différent (plus ou moins élevé), apprécié sur une période identique ou différente (plus ou moins grande) peut être fixé par une convention collective étendue.
L'accord collectif d'entreprise ne peut en revanche déroger aux dispositions fixées par l'article R. 3122-8 précité ni par la convention collective de branche étendue que
II. Les conditions de recours au travail de nuitLe travail de nuit doit être exceptionnel (C. trav., art. L. 3122-33).
Deux conditions doivent être simultanément remplies pour y recourir :
- justifier de la nécessité du travail de nuit pour assurer la continuité de l'activité économique ou pour répondre à un besoin d'utilité sociale ;
- avoir pris en compte les impératifs de protection de la sécurité et de la santé des salariés.
- les justifications du recours au travail de nuit ;
- les contreparties sous forme de repos compensateur et, le cas échéant, de compensation salariale ;
- des mesures destinées à améliorer les conditions de travail des salariés et à favoriser l’articulation entre activité nocturne et exercice de responsabilités familiales et sociales (moyens de transport…) ;
- des dispositions propres à assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment par l’accès à la formation ;
- l’organisation des temps de pause.
Sur le respect des critères légaux par l’enseigne Sephora, la Cour d’appel de Paris a estimé que le travail de nuit se justifie s'il «n’existe pas d’autres possibilités d’aménagement du temps travail, ce qui n’est pas le cas des commerces de parfumerie». Quant à «l’attraction commerciale» liée à l’ouverture nocturne, elle ne relève pas de la «nécessité d’assurer la continuité de l’activité commerciale».
En l'absence de convention ou d'accord collectif, le travail de nuit peut être mis en place sur dérogation accordée par l'inspecteur du travail.
La demande de dérogation présentée par l'employeur à l'inspecteur du travail doit justifier des circonstances, des contraintes propres à la nature de l'activité ou au fonctionnement de l'entreprise qui rendent nécessaire le travail de nuit, eu égard aux exigences de continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale (C. trav., art. R. 3122-16).
Elle doit être accompagnée des éléments permettant de vérifier le caractère loyal et sérieux de l'engagement préalable de négociations dans les 12 mois précédents, l'existence de contreparties et de temps de pause et la prise en compte des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs.
En l'absence de représentants du personnel, la demande doit être accompagnée d'un document attestant d'une information préalable des salariés.
Un recours hiérarchique peut être formé contre cette décision devant le Direccte, dans un délai d'un mois suivant la date de réception de la notification de la décision contestée (C. trav., art. R. 3122-17).
III. Les durées maximales du travail de nuitLa durée maximale quotidienne du travail effectuée par un travailleur de nuit est fixée à huit heures, peu importe que l'horaire ne soit pas effectué en totalité la nuit (C. trav., art. L. 3122-34).
La durée maximale hebdomadaire du travail de nuit, calculée sur une période de douze semaines consécutives, ne peut excéder quarante heures, et quarante-quatre heures, si la convention de branche étendue ou l'accord d'entreprise le prévoit, « lorsque les caractéristiques propres à l'activité d'un secteur le justifient » (C. trav., art. L. 3122-35).
IV. Les contreparties et les garanties accordées aux travailleurs de nuitLes travailleurs de nuit doivent bénéficier de contreparties sous forme de repos compensateur et, le cas échéant, sous forme de compensation salariale (C. trav., art. L. 3122-39). C’est la convention ou l’accord collectif applicable à l’entreprise où le travail de nuit est organisé, qui prévoit les mesures, notamment financières, destinées à compenser les contraintes du travail de nuit.
La majoration de rémunération n'est qu'optionnelle alors que la contrepartie en repos doit exister dans tous les cas.
Les deux modalités de contreparties peuvent être cumulées : le repos compensateur et, le cas échéant, la compensation salariale.
Par ailleurs, les travailleurs de nuit bénéficient de certaines garanties :
- surveillance médicale renforcée sous forme d’un examen par le médecin du travail préalable à l’affectation à un poste de nuit et établissement d’une fiche d'aptitude attestant que l’état de santé du salarié est compatible avec une affectation à un poste de nuit (C. trav., art. R. 3122-19). Le travailleur de nuit doit être soumis à un nouvel examen tous les six mois et sa fiche d'aptitude réactualisée ;
- possibilité d’être affecté temporairement ou définitivement sur un poste de jour si l’état de santé du travailleur de nuit - constaté par le médecin du travail - l’exige. Ce nouveau poste doit correspondre à sa qualification et être aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé. Le changement d’affectation ne doit entraîner aucune diminution de la rémunération ;
- protection contre le licenciement. L’employeur ne peut en effet prononcer la rupture du contrat de travail du travailleur de nuit du fait de son inaptitude sauf s’il justifie par écrit :
- soit de l’impossibilité de proposer un poste de reclassement au salarié,
- soit du refus du salarié d’accepter ce changement de poste ;
- information, particulièrement des femmes enceintes et des travailleurs vieillissant, des incidences potentielles du travail de nuit sur la santé.
Les salariées enceintes bénéficient d'une protection spécifique visant à les affecter sur un poste de jour pendant leur grossesse et jusqu'à la fin du congé maternité.
V. Les moyens d’actions du médecin du travailS’agissant du travail de nuit et dans le cadre de sa mission de surveillance médicale des salariés, le médecin du travail dispose de moyens particuliers :
- information de toute absence pour cause de maladie des travailleurs de nuit ;
- analyse des éventuelles répercussions sur la santé des conditions du travail nocturne et rédaction d’un rapport annuel d’activité traitant du travail de nuit ;
- consultation avant toute décision importante relative à la mise en place ou à la modification de l’organisation du travail de nuit.
En tant qu’employeurs, il ne faut pas hésiter à user et abuser de ce devoir de conseil du médecin du travail, surtout avec la réforme des retraites qui se profile et la création d’un compte personnel de prévention de la pénibilité, le travail de nuit étant, à n’en pas douter, un facteur de pénibilité, ou en tout cas synonyme de risques accrus pour la santé des salariés, comme le démontrent de nombreuses études (cf. les diverses publications de l’INRS - Institut national de recherche et de sécurité, les analyses de la DARES - Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, le rapport « Shiftwork and Health » publié en 2000 par la fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound) ou le classement par le centre international de recherche sur le cancer (CIRC) du travail posté de nuit comme cancérogène probable).
L'auteur de l'article:Cet article a été rédigé par Florence BOUCHET, Avocat au Barreau de Paris.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Robert Rozbora - Fotolia.com
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