
Faut-il supprimer le privilège de juridiction des ministres?
Publié le :
13/01/2017
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janvier
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01
2017
La question, ouvertement posée en 2012 par la Commission de rénovation de la déontologie de la vie publique missionnée par le Président François Hollande revient au-devant de l’actualité au terme du procès de Christine Lagarde et se trouve de nouveau posée par divers candidats à l’élection présidentielle de 2017.
En réalité, la question s’était déjà posée, dès 1999, à l’issue du premier procès conduit devant la Cour de justice de la République à l’encontre de trois anciens ministres du Gouvernement dans l’affaire dite du « sang contaminé ». A l’instar de Christine Lagarde, la Cour de justice de la République avait déclaré l’un de ces trois ministres coupable des faits qui lui étaient reprochés. Mais, elle l’avait dispensé de peine, bien que les conditions cumulatives prévues à l’article 132-59 du code pénal (réparation du dommage, cessation du trouble causé par l’infraction, notamment) n’étaient pas réunies. Cette dispense de peine, ajoutée à la violation du secret des délibérations par une large partie des parlementaires entrés dans la composition de la Cour, avait laissé un sentiment de malaise et ancré dans l’opinion l’image d’une juridiction dominée par des considérations essentiellement politiques.
Surtout, ce premier procès avait fait la démonstration d’une justice entravée dans son fonctionnement par les conséquences pratiques du privilège de juridiction accordé aux ministres du Gouvernement.
Comme tous citoyens, les ministres sont responsables devant les juridictions de droit commun des infractions qu’ils commettent en dehors de l’exercice de leurs fonctions ministérielles. Mais, si la constitution de 1958 ne leur reconnait aucune immunité fonctionnelle s’agissant des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions ministérielles lorsque ces actes sont qualifiés de crimes ou de délits, la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 et la loi organique du 23 novembre 1993, posent le principe d’un privilège de juridiction pour ces actes sans qu’il soit jamais possible d’y déroger.
Ce privilège est générateur d’un véritable éclatement des procédures juridictionnelles.
Tout d’abord, lorsqu’un ministre du Gouvernement a commis une infraction pour partie dans l’exercice de ses fonctions gouvernementales et pour partie en dehors de l’exercice de ses fonctions, voire même seulement à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, la Cour de justice de la République ne peut connaitre que des premières infractions.
Les secondes relèvent obligatoirement des juridictions ordinaires, même si elles apparaissent connexes et directement liées aux premières.
Surtout, les conseillers des ministres ou les agents relevant de leur contrôle ayant participé ou concouru à la commission d’infractions qui valent à ces ministres d’être poursuivis devant la Cour de justice de la République ne peuvent être eux-mêmes poursuivis que devant les juridictions ordinaires, selon les règles de droit commun. Dans un tel contexte, le privilège de juridiction des ministres interdit toute confrontation entre un ministre et des conseillers ou agents relevant de son contrôle pourtant mis en examen à l’occasion de procédures qui reposent sur les mêmes faits.
Outre les difficultés multiples que le privilège de juridiction des ministres pose pour la manifestation de la vérité, la disjonction obligatoire des poursuites qui découle de ce principe pose un réel risque de discordance entre les décisions rendues. La Commission de rénovation de la déontologie de la vie publique soulignait ce risque en 2012, rappelant que, deux ans plus tôt, la Cour de justice de la République avait relaxé un ministre poursuivi devant elle sous la qualification de corruption passive, alors que la cour d’appel de Paris avait, par un arrêt devenu définitif, condamné son corrupteur à raison des mêmes faits.
Créée en 1993 pour répondre aux critiques soulevées par le fonctionnement de la Haute Cour de justice, la Cour de justice de la République justifie sa compétence par la volonté de maintenir aux ministres une protection appropriée contre le risque de mises en cause pénales abusives auxquels leurs fonctions ministérielles les exposent particulièrement. Or, cette garantie est suffisamment assurée par la phase d’examen préalable aux poursuites qui incombe aujourd’hui à la Commission des requêtes. Cette Commission, composée de trois magistrats du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation, de deux conseillers d’Etat et de deux conseillers maîtres à la Cour des comptes reçoit les plaintes des parties lésées et détient le monopole de la mise en mouvement de l’action publique à l’encontre des ministres du Gouvernement s’agissant des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions ministérielles. Elle s’assure de la consistance des griefs contenus dans la plainte et peut procéder à des investigations préalables à l’engagement de poursuites éventuelles comme le ferait un procureur. Le privilège de juridiction des ministres ne contribue en rien aux garanties satisfaites par ce monopole d’appréciation de l’opportunité des poursuites visant un ministre du Gouvernement pour les actes de sa fonction.
Malgré un large consensus concernant les défauts du privilège de juridiction des ministres, sa suppression exige une réforme des articles 68-1 et 68-2 de la Constitution. Or, toute révision de la Constitution pose une question politique …
Cet article a été rédigé par François HONNORAT, avocat (Paris).
Cet article n'engage que son auteur.
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