Continuité des soins et transfert aux urgences : quelles précautions prendre ?
Publié le :
05/12/2022
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2022
Un praticien qui estime nécessaire de transférer un patient aux urgences, doit entourer cette démarche de précautions particulières.L'article R. 4127-32 du code de la santé publique dispose que :
« Dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande, le médecin s'engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers compétents ».
L’article R. 4127-33 du même code, dispose quant à lui que :
« Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés ».
Et l’article 4127-47 même code précise que :
« Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée.
Hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles.
S'il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins ».
En adressant un patient au service des urgences, le praticien concerné, après avoir examiné le patient et donc accepté de répondre à cette demande, a élaboré son diagnostic en estimant que la prise en charge devait être assurée par des tiers compétents et des concours appropriés.
Le praticien concerné se dégage donc de sa mission et pour assurer la continuité des soins il lui appartient d’une part, d’avertir le patient de cette démarche et d’autre part, de transmettre les informations nécessaires au service des urgences pour la bonne poursuite des soins, en pouvant être malheureusement confronté aux difficultés de prise de contact et de communication avec de tels services.
La chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a considéré dans sa décision n° 14525 du 212 décembre 2020, que :
« 1. Il résulte de l’instruction que le samedi 23 mai 2015, Mme F-B, inquiète pour son mari qui venait de faire une chute, a contacté le SAMU à 7h42 qui l’a dirigée vers les urgences médicales de Paris (UMP). Le Dr A s’est rendue immédiatement au domicile du patient, l’a examiné, a conclu à un vertige positionnel et est repartie vers 8h30 après avoir délivré la prescription correspondante. Le Dr A a été informée peu après par la plateforme des UMP d’un nouvel appel de Mme F-B et ne pouvant se rendre sur place, a fait intervenir les pompiers qui, arrivés à 9 heures, n’ont pu réanimer M. R-B, lequel est décédé à 9h40.
2. La chambre disciplinaire de première instance a considéré que le Dr A aurait dû, quand elle a été informée de l’aggravation de l’état de M. B revenir chez ce patient ou, du moins, s’informer dès que possible de la situation de ce dernier. Toutefois, il est constant que le Dr A a rappelé Mme F-B dès que celle-ci a contacté à nouveau les UMP à 9 heures. Il n’est pas davantage contesté que le Dr A, étant chez un autre malade, ne pouvait se déplacer immédiatement mais que, estimant la situation urgente, elle a elle-même appelé les pompiers qui se sont rendus au chevet de M. B. Il ne saurait donc lui être reproché de n’avoir pas assuré la continuité des soins imposée par l'article R. 4127-47 du code de la santé publique ».
Le juge disciplinaire adopte donc une approche concrète de la situation pour définir si au cas d’espèce, le praticien a manqué ou non, à son obligation d’assurer la continuité des soins. Ainsi, un médecin en déplacement chez un autre patient a pu légitimement appeler les pompiers qui se sont rendus chez un autre malade et cette circonstance est considérée comme suffisante, pour regarder la continuité des soins comme assurée.
Concernant le transfert d’un patient aux urgences, la chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des médecins de la région Nouvelle-Aquitaine a considéré dans sa décision n° 21-237 du 4 octobre 2022, que :
« S'agissant du 17 février, l'attitude du Dr X, qui n'a pas procédé à un examen technique particulier, mais a décidé d'adresser Mme Y aux urgences sur la base des doléances douloureuses exprimées et sur une impression générale « en l'absence de signe clinique patent », n'est pas constitutive d'une faute déontologique dans la mesure où elle a pris le soin de rencontrer et d'écouter sa patiente, ce qui constitue toutefois la modalité minimale de l'obligation d'assurer le suivi des soins pour un médecin, qui aurait pu s'avérer insuffisante dans d'autres circonstances. Cette dernière n'a, à aucun moment, été laissée sans solution de soins et le renvoi au service des urgences ne peut pas être considéré, dans les circonstances de l'espèce, comme un refus de diagnostic ou une rupture de la continuité des soins ».
Ainsi, le juge disciplinaire considère en tout état de cause, que le praticien concerné doit nécessairement prendre le temps de rencontrer et d’écouter le patient, cette écoute « constituant la modalité minimale de l’obligation d’assurer le suivi des soins pour un médecin ».
Cette écoute minimale permet de démontrer également l’absence de refus de diagnostic, puisque le transfert au service des urgences doit être une réelle nécessité et non pas un renvoi du patient pouvant caractériser un refus de soins non justifié.
Le médecin concerné ne peut donc laisser le patient sans solution de soins et le renvoi au service des urgences peut être parfaitement justifié par les circonstances de l’espèce.
Néanmoins, il est préférable que le praticien rédige une correspondance écrite à destination du service ou du confrère concerné par la suite des soins et ce, afin de pouvoir démontrer qu’il a mis en œuvre toutes les précautions qui s’imposaient en la matière.
Cette correspondance peut être remise en main propre au patient mais il est préférable qu’elle soit également adressée directement au service ou au confrère destinataire.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Thomas PORCHET
Avocat
1927 AVOCATS - Poitiers, 1927 AVOCATS - La-Roche-Sur-Yon, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
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