Le droit d’expression des élus d’opposition dans la commune
Publié le :
25/08/2009
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La jurisprudence impose aux communes de tenir compte des changements de camp qui peuvent se produire et considère que, dès lors qu’un élu fait part de sa volonté de se placer dans l’opposition, il doit bénéficier d’un espace d’expression.
La difficile tâche du maire en qualité de directeur de publicationL’article L 2121-27 du code général des collectivités territoriales dispose :
Dans les communes de 3 500 habitants et plus, lorsque la commune diffuse, sous quelque forme que ce soit, un bulletin d'information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, un espace est réservé à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale. Les modalités d'application de cette disposition sont définies par le règlement intérieur.
Cet article garantit la liberté d’expression des élus, de tous les élus, y compris ceux de l’opposition municipale, mais combien est difficile son application concrète.
Les décisions de justice rendues en la matière illustrent ces importantes difficultés.
Leur examen rapide va permettre de dégager les grandes lignes de ce qu’un maire doit retenir.
- L’opposition peut évoluer.
La jurisprudence administrative prend en compte les vicissitudes de la vie politique au sein d’un conseil municipal, et sanctionne la commune qui, au début du mandat, aura gravé dans le marbre les contours de l’opposition.
Elle impose aux communes de tenir compte des changements de camp qui peuvent se produire et considère que, dès lors qu’un élu fait part de sa volonté de se placer dans l’opposition, à condition que cela soit de manière pérenne, il doit bénéficier d’un espace d’expression.
Cour administrative d’appel de VERSAILLES
13 décembre 2007
N° 06VE00383
Commune de Livry-Gargan
" Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales qu'il appartient au conseil municipal de déterminer les conditions de mise en oeuvre du droit d'expression des conseillers municipaux d'opposition dans les bulletins d'information générale portant sur les réalisations et la gestion du conseil municipal ; que les conseillers municipaux tenant de leur qualité de membres de l'assemblée municipale le droit de s'exprimer sur les affaires de la commune, tout élu doit être regardé comme n'appartenant pas à la majorité municipale au sens des dispositions précitées, dès lors qu'il exprime publiquement sa volonté, par delà des désaccords purement conjoncturels ou limités à un sujet particulier, de se situer de façon pérenne dans l'opposition ; qu'enfin l'espace réservé aux conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale doit, sous le contrôle de juge, présenter un caractère suffisant et être équitablement réparti ; Considérant qu'en décidant d'attribuer le droit d'expression dans le journal municipal des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale en fonction de leur appartenance aux listes ayant obtenu des élus lors des dernières élections municipales, le conseil municipal de Livry-Gargan a retenu des modalités d'accès au journal municipal nécessairement intangibles pendant toute la durée du mandat du conseil municipal, puisque fondées sur les résultats du scrutin, qui ne permettent pas de tenir compte des évolutions pouvant intervenir en cours de mandat entre majorité et opposition au sein du conseil municipal ; que dans ces conditions, en organisant l'accès au journal municipal sur le seul critère du résultat des dernières élections municipales, le conseil municipal de Livry-Gargan a porté atteinte au droit général d'expression des élus locaux sur les affaires de la commune."
On le voit, c’est au gré des évolutions du conseil municipal que les droits de chaque élu peuvent changer.
- Le contrôle du contenu de l’espace d’opposition.
Tout peut y être dit, sans que le directeur de publication qu’est le maire puisse y faire obstacle, sauf bien sur si le contenu est injurieux ou diffamatoire.
Mais si ce qui est avancé est vrai, le maire ne peut pas s’opposer à la publication.
L’exemple de l’arrêt rendu par la Cour Administrative d'Appel de Versailles sous le numéro 06VE02569 le 27 septembre 2007 est particulièrement éclairant à cet égard.
En voici un extrait :
" Considérant que par une décision en date du 23 août 2005 le premier adjoint de la COMMUNE D'ASNIERES-SUR-SEINE a refusé de publier la tribune du groupe Décidons ensemble pour Asnières dans le numéro de septembre 2005 d' Asnières Infos, dont il est le directeur de publication, en faisant valoir que le contenu diffamatoire de cette tribune était de nature à engager sa propre responsabilité pénale ; que M. X, conseiller municipal, a obtenu l'annulation de cette décision par le Tribunal administratif de Versailles ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales : Dans les communes de 3 500 habitants et plus, lorsque la commune diffuse, sous quelque forme que ce soit, un bulletin d'information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, un espace est réservé à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale. Les modalités d'application de cette disposition sont définies par le règlement intérieur et qu'aux termes de l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse : « Seront passibles, comme auteurs principaux des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par voie de presse, dans l'ordre ci-après, savoir : 1° les directeurs de publications ou éditeurs, quelques que soient leurs professions ou leurs dénominations (…) " ;
" Considérant en premier lieu qu'il résulte des pièces du dossier que le projet de tribune, s'il faisait en effet état des condamnations pénales prononcées contre certains élus et contre le directeur de cabinet du maire, ne présentait toutefois pas un caractère outrageant de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération des personnes publiques dont le comportement était ainsi dénoncé, la réalité desdites condamnations n'étant pas contestée ; que dès lors, et sans qu'il y ait lieu de poser une question préjudicielle à la juridiction judiciaire sur cette question, le contenu des écrits en cause n'avait pas un caractère diffamatoire ou injurieux qui aurait été de nature à faire obstacle au droit d'expression des élus d'opposition consacré par les dispositions de l'article L. 2121-27-1 précitées ; que le directeur de publication ne pouvait pas plus faire valoir l'éventuelle mise en jeu de sa propre responsabilité pénale sur le fondement de l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881 pour justifier un tel refus."
La jurisprudence administrative est vigilante sur l’ouverture de cet espace d’expression des élus d’opposition.
Elle en limite aussi l’accès, et rappelle de temps à autre que ce droit n’est pas absolu.
- Les limites du droit d’expression des élus d’opposition.
Ainsi d’un arrêt du Tribunal administratif de ROUEN, en date du 12 mars 2009, n°0701639, qui a fait pleine application de l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Il rappelle que le directeur de publication qu’est le maire est responsable de ce qui est écrit, et en répond pénalement.
Le juge administratif considère dans ce jugement que la décision de refus du maire n’est pas légale, car faisant une application excessive du droit de contrôle détenu de par les articles L 2121-27 du code général des collectivités territoriales, et 42 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Mais ce jugement permet d’éclairer utilement les modalités de mise en œuvre de ce droit d’expression qui appartient aux élus de l’opposition, lequel n’est autre en réalité, qu’une facette de la libre expression, fondement de toute démocratie.
C’est dire combien est peu aisée la tâche du maire, élu auquel on demande tant de compétences, y compris celle de se transformer, à intervalles réguliers, en directeur de publication.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
DROUINEAU Thomas
Avocat
1927 AVOCATS - Poitiers
POITIERS (86)
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