
Garantie RC décennale et désordres évolutifs
Publié le :
29/06/2023
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2023
Cass, 3ème civ, 25 mai 2023, n° 22-13.410
Les époux Y-N ont souscrit une assurance dommages ouvrage pour la construction d’une maison d’habitation.
La réception des travaux a été prononcée le 8 septembre 2003.
Au mois de juin 2013, les époux Y-N ont régularisé une déclaration de sinistre au titre de la garantie dommages ouvrage, notamment pour des fissurations et des décollements de carrelage au 1er étage et au rez-de-chaussée de leur maison d’habitation.
L’assureur dommages ouvrage a mandaté un expert technique qui a déposé son rapport d’expertise préliminaire le 14 août 2013, complété le 3 février 2014 par un autre rapport d’expertise portant sur la nature et le coût des travaux réparatoires.
L’assureur dommages ouvrage a notifié une offre d’indemnisation pour les désordres affectant le carrelage du 1er étage, qui présentaient un caractère décennal à la date d’expiration du délai d’épreuve de la garantie.
Une expertise judiciaire ayant été mise en œuvre en septembre 2014, un rapport d’expertise a été déposé en juillet 2016, concluant que les désordres affectant le carrelage du rez-de-chaussée et du 1er étage étaient de nature décennale.
Confirmant le jugement de 1ère instance, dans un arrêt en date du 1er décembre 2021, la cour d’appel de Montpellier a déclaré recevable l’action indemnitaire des maîtres de l’ouvrage au titre des désordres du rez-de-chaussée, dont le caractère décennal avait été constaté après l’expiration du délai d’épreuve de la garantie, dès lors qu’il était établi que « la chape qui a servi de support à la pose du carrelage est identique au 1er étage et au rez-de-chaussée de la maison et que c’est bien la maigreur de cette chape qui cause les mêmes effets, c’est-à-dire fissures et casse des carreaux, lesquels ont été posés par l’entreprise A. »
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation confirme à son tour l’analyse des premiers juges dans son arrêt en date du 25 mai 2023 :
« La cour d’appel, qui a constaté que le désordre affectant le carrelage fissuré et cassé du premier étage avait été pris en charge par l’assureur dommages ouvrage, a relevé, par motifs propres et adoptés, que l’expertise diligentée par celui-ci avait conclu que deux carreaux sur trois du carrelage du rez-de-chaussée sonnaient creux et que l’expert judiciaire avait imputé ces désordres à un défaut d’exécution lié au délitement de la chape résultant d’un insuffisant dosage de la colle au passage de fourreaux dans la chape de support sans chape de ravoirage ».
« Ayant souverainement retenu que les pathologies affectant le carrelage du rez-de-chaussée étaient identiques à celles du premier étage, ce dont il résultait que les désordres constatés par l’expert affectant le carrelage du rez-de-chaussée trouvaient leur siège dans un même ouvrage où un désordre identique avait été constaté avant l’expiration du délai de garantie décennale, elle en a exactement déduit que la garantie de l’assureur dommages ouvrage au titre des désordres du rez-de-chaussée était due ».
Et poursuivant dans son raisonnement, la Haute juridiction d’indiquer que :
« En premier lieu, ayant retenu le caractère décennal du désordre affectant tant le carrelage du premier étage que celui du rez-de-chaussée, résultant du délitement de la chape lié à un défaut d'exécution d'origine, celle-ci s'apparentant à un simple lit de sable, la cour d'appel a relevé que les traces de moisissures en pied de cloison des WC du rez-de-chaussée constatées par l'expert, provenaient d'une saturation d'humidité de la chape, l'eau remontant par capillarité dans les cloisons périphériques et sur les plaques non hydrofuges ».
« Elle a pu en déduire, sans être tenue de procéder à une recherche que ses considérations rendaient inopérantes, que le phénomène d'humidité relevait du désordre affectant la chape et la pose du carrelage dans l'ensemble de la maison, dont elle avait retenu le caractère décennal pour avoir été constatée avant l'expiration du délai d'épreuve ».
Cette décision vient donc confirmer la jurisprudence dite des corbeaux d’immeuble selon laquelle de nouveaux désordres constatés au-delà de l’expiration du délai décennal, qui est un délai d’épreuve, ne peuvent être réparés au titre de l’article 1792 du code civil que s’ils trouvent leur siège dans l’ouvrage où un désordre de même nature avait été constaté avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie.
Etant contenu en germe dans la malfaçon constatée dans le délai de la garantie décennale, le dommage est alors certain en son principe et son aggravation doit être pris en charge, même au-delà du délai d’épreuve de la garantie décennale.
Dans son arrêt de référence en date du 18 janvier 2006 (Cass, 3ème civ, 18 janvier 2006, n° 04-17.400, publié au Bulletin), la Cour de cassation avait indiqué que la réparation du désordre initial devait avoir été demandé en justice avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale.
L’intérêt de l’arrêt du 25 mai 2023 est d’étendre ce principe au dommage qui a déjà été pris en charge par l’assureur dommages ouvrage, dès lors que le caractère décennal du désordre initial a été « constaté » avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie, nonobstant l’absence de toute condamnation judiciaire.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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