Finances publiques

Les enseignements du premier arrêt rendu par la nouvelle Cour d’Appel financière sur l’application du nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics

Publié le : 28/03/2024 28 mars mars 03 2024

Le 22 décembre 2023, la nouvelle Cour d’Appel financière a rendu son premier arrêt apportant d’utiles précisions sur le nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics.
Rappelons que par une ordonnance n°2022-408 du 23 mars 2022, le régime de responsabilité des gestionnaires publics a été profondément modifié, en supprimant la Cour de discipline budgétaire et financière et les compétences juridictionnelles des Chambres régionales des comptes au profit d’un nouveau régime unifié de responsabilité commun aux ordonnateurs et aux comptables publics.

Ce régime s’est accompagné de la création d’une nouvelle juridiction de première instance, la Chambre du contentieux de la Cour des comptes, et d’une juridiction d’appel, la Cour d’Appel financière.

La Cour d’Appel financière a été saisie ici d’un arrêt de la Chambre du contentieux de la Cour des comptes statuant sur des irrégularités de gestion affectant une société d’économie mixte locale, devenue ensuite société publique locale.

Confrontée à des difficultés de gestion, cette société publique locale a confié une prestation de services de management de transition à une société, laquelle a affecté cette tâche à une salariée.

Cette salariée s’est vu délivrer une procuration sur les comptes de l’entreprise publique locale, sans disposer à cet effet d’une quelconque délégation de pouvoir ou de signature.

L’accès aux comptes de la société a permis à cette salariée de procéder à des dépenses personnelles, à son bénéfice et à celui de son conjoint.

Celle-ci a donc été poursuivie au titre de l’ancien article L. 313-6 du Code de juridiction financière réprimant le fait de procurer à autrui un avantage injustifié pécuniaire ou en nature et de l’article L. 313-4 du Code de juridiction financière sanctionnant la méconnaissance des règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses.

La Cour écarte toutefois l’application de ces infractions en l’espèce dans la mesure où ces infractions, dans leur ancienne rédaction, n’incriminaient pas directement le fait de consentir un avantage à soi-même.

Si l’avantage consenti à soi-même entre désormais dans le champ d’application de la nouvelle infraction financière définie à l’article L. 131-9 du Code des juridictions financières ou de l’article L. 131-12 sanctionnant, de manière générale, les infractions aux règles financières, ces dernières dispositions ne peuvent s’appliquer de manière rétroactive aux faits commis avant l’entrée en vigueur de la réforme du régime de responsabilité des gestionnaires publics.

La Cour vient donc procéder à une application rigoureuse du principe de non-rétroactivité des lois répressives nouvelles, en considérant que les nouvelles obligations mises à la charge des gestionnaires publics ne sauraient s’appliquer pour des faits commis avant l’entrée en vigueur de la réforme, soit le 1er janvier 2023.


Etaient également poursuivis les deux présidents directeurs généraux successifs de la société publique locale. Le Ministère public leur reprochait un défaut de surveillance sur les agissements de la salariée précitée, un défaut d’exécution du contrat de management de transition et des achats réalisés en méconnaissance des règles de la commande publique.

L’interprétation de la Cour d’Appel financière était attendue sur ce point dans la mesure où ces manquements doivent désormais être appréciés sur le fondement de l’article L. 131-9 du Code des juridictions financières, lequel sanctionne les manquements ayant causé un « préjudice financier significatif ».

Sur ce point, la Cour d’Appel financière met à la charge du Ministère public l’obligation de démontrer que la méconnaissance des règles de la commande publique a occasionné un accroissement des dépenses à la charge de l’organisme concerné, une telle preuve n’étant pas rapportée ici.

La Cour estime ensuite que le seul recours à un management de transition et sa prolongation sur trois années ne constituait pas une faute de gestion, la démonstration d’une disproportion entre les honoraires versés et les prestations rendues n’étant pas non plus établie.

Enfin, la Cour a pu estimer que le préjudice financier subi par l’entreprise publique locale, lié au paiement de dépenses irrégulières, ne présentait pas un caractère significatif.

Pour apprécier cet élément, la juridiction financière d’appel considère que le montant correspondant de 15.000 € devant notamment s’apprécier par rapport au chiffre annuel moyen de la société publique locale, la juridiction tenant également compte du fait que ce management de transition avait semble-t-il permis de réduire de près de 25% le montant des charges d’exploitation annuelles de la société.


Cet arrêt, qui peut être frappé d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat, a ainsi permis à la nouvelle Cour d’Appel financière d’esquisser ce qui sera probablement le cadre de sa jurisprudence dans ses arrêts à venir, mettant à la charge du Ministère public un degré de démonstration important pour justifier de l’ensemble des éléments constitutifs des infractions susceptibles de viser les gestionnaires publics.

Cet arrêt permet également de rappeler aux dirigeants des entreprises publiques locales que ce nouveau régime de responsabilité publique ne s’applique pas qu’aux seules administrations de l’Etat et aux collectivités territoriales, mais fait l’objet d’un champ d’application plus large, étendu à l’ensemble des représentants, administrateur ou agents des organismes de droit public ou privé susceptibles de relever du contrôle des juridictions financières, et notamment les entreprises publiques locales.

CA fin., 12 janv. 2024, n° 2024-01


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Clément GOURDAIN
Avocat
CORNET, VINCENT, SEGUREL NANTES
NANTES (44)
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