Réforme procédure d'appel

Point sur le décret de simplification de la procédure d'appel

Publié le : 09/02/2024 09 février févr. 02 2024

Un nouveau décret 2023-1391 du 29 décembre 23 a paru au Jo le 31 décembre 23 : applicable à toutes les procédures d’appel engagées à partir du 1er septembre 24 (y compris devant une Cour de renvoi après cassation), il affiche pour intention la « simplification de la procédure d’appel en matière civile ».
Le plus simple est d’envisager les modifications chronologiquement, c’est-à-dire au fil de la procédure d’appel, telle qu’elle résulte de la réforme Magendie (de 2017), dont l’abolition de l’appel général au profit d’un appel limité n’est pas remise en cause.

1/ La DA (déclaration d'appel)

La principale innovation du décret est la modification de la réglementation de la déclaration d’appel : celle-ci est à la fois compliquée, mais les conséquences d’éventuelles imperfections sont assouplies. 

La complication tient à la mention (nouvel art. 901 du Cpc) nouvelle de la demande « d’infirmation » du jugement impugné ; à défaut, la Cour n’est pas saisie, sauf à trouver une cause opportune d’annulation, mais l’on sait bien que l’appel-nullité se réduit à la portion congrue.

Cette nouvelle exigence réglementaire se retrouvera au stade de la normalisation des conclusions en appel.

Au passage, il sied d’observer que la référence à l’objet indivisible du litige, autre cause de sauvetage de la déclaration d’appel général à côté de l’annulation, disparaît. La nouvelle obligation de mention expresse de la demande d’infirmation brise la jurisprudence la plus autorisée (civ. 2ème, 25 mai 23, pourvoi 21-15.842) rendue au visa des textes Magendie : « Aucun de ces textes ni aucune autre disposition n’exige que la déclaration d’appel mentionne, s’agissant des chefs de jugement expressément critiqués, qu’il en est demandé l’infirmation. » Cette jurisprudence a désormais fait long feu.

L’assouplissement vient de la possibilité de « rattraper » un oubli dans la déclaration d’appel au stade des premières conclusions d’appelant, dans le délai imparti par l’art. 908 du Cpc. En effet, l’instauration en 2017 de l’appel limité avait donné lieu à la nécessité de procéder à une déclaration d’appel « rectificative » en cas d’erreur de l’appelant sur l’un des chefs de jugement critiqué.

À partir du 1er septembre 24, il sera possible de « ratifier » en quelque sorte une DA lacunaire ou carrément erronée en modifiant dans les conclusions de l’art. 908 les chefs de jugement attaqués. Ainsi, le nouvel art. 915-2 al. 1er du Cpc autorise l’appelant qui conclut au soutien de son recours à « compléter, retrancher ou rectifier » les chefs du jugement entrepris « dans le dispositif de ses premières conclusions ».

Par exemple, l’oubli de demander l’infirmation du jugement sur la condamnation aux frais irrépétibles, ou encore tout simplement sur le caractère exécutoire de la décision de première instance, qui sont fréquents, peut-il être désormais rectifié au moment où l’avocat « se pose » pour articuler ses arguments tendant à l’infirmation par la Cour. A contrario, l’appel « général » ne sera toujours pas rattrapable, dans la mesure où il ne sera possible stricto sensu de « compléter, retrancher ou rectifier » que des chefs de décision visés et listés préalablement.

Dans la mesure où ce nouveau texte vise les conclusions au soutien de l’appel en renvoyant à la procédure ordinaire (art. 908) comme au « circuit court » (art. 906-2), il convient de s’intéresser maintenant à la réforme des délais. Vu l’état actuel de l’audiencement en France, il devenait intenable de maintenir des délais légaux fortement sanctionné, en termes de sinistralité des avocats, alors que les fixations n’intervenaient que des mois voire des années après les dernières écritures. 

À cet égard, le vent favorable aux avocats soufflé par la Chancellerie en amont de la réforme est finalement démenti par la retouche des textes ; disons qu’il y a du mieux en termes de valeur absolue, mais pas en termes de sanction : si le quantum s’améliore, le principe reste coercitif.

2/ Les délais

Si la première retouche à la réforme Magendie avait consisté à augmenter les délais de la procédure ordinaire avec représentation obligatoire, cette seconde refonte allonge les délais de ce que le langage du Palais appelle les « circuits courts » (appel d’une ordonnance de référé ou du Juge de la mise en état par exemple).

Grosso modo, il suffit de retenir que la refonte double les délais : vingt jours au lieu de dix pour signifier la DA à compter de la réception de l’avis de fixation (nouvel art. 906-1), deux mois au lieu d’un pour conclure (nouvel art. 906-2), soit de la réception de la fixation pour l’appelant, soit de la notification des conclusions d’appelant pour l’intimé.

Autre innovation : tous les « délais Magendie » nouvelle version (procédure ordinaire ou circuit court) sont augmentés d’un mois dans l’ensemble des départements non-métropolitains et de deux dans le cas d’un appelant situé à l’étranger (nouvel art. 915-4 Cpc).

Enfin, le CME se voit octroyer un pouvoir (sans recours) de transformation discrétionnaire des délais légaux (Magendie) en délais amodiés judiciaires (comme en première instance).

En effet, l’art. 911 retricoté gagne un nouvel alinéa 2 ainsi rédigé :
« Le conseiller de la mise en état peut, à la demande d'une partie ou d'office, allonger ou réduire les délais prévus aux articles 908 à 910. Cette décision, prise par mention au dossier, constitue une mesure d'administration judiciaire. »

Mais c’est déjà quitter le terrain arithmétique des délais pour celui juridique de la procédure.

3/ La mise en état 

La refonte de la mise en état implique deux innovations, dont l’une risque d’être à vouer aux oubliettes à côté du JUDEVI ou du Juge de l’amiable, mais dont l’autre sera plus considérable sur les réflexes du praticien.

Comme toute réforme réglementaire pilotée par la Chancellerie, la promotion de « l’amiable » pour désengorger les tribunaux trouve ici sa figure dans le nouvel art. 915-3 qui érige la médiation judiciaire et la convention de procédure participative en cause d’interruption des délais légaux. Mais une réforme des textes ne décrète pas une réforme des mentalités. Il y a donc fort à supposer que le texte reste lettre-morte à défaut de coordination locale du barreau et de la Cour pour faire évoluer les mœurs à marche forcée.
Beaucoup plus conséquente semble-t-il est l’abrogation de la « chute » de l’article 907 qui fixait les attributions du magistrat instructeur en cause d’appel par renvoi aux textes applicables au Juge de la mise en état de première instance.

La fin de l’article est désormais tronquée et un nouveau sous-paragraphe relatif aux « attributions du CME » est créé aux articles 913 à 913-8.

Il faudra aller lire scrupuleusement avant toute rédaction de conclusions d’incident ces nouvelles dispositions, tant elles sont tatillonnes et veulent tout envisager, pour prendre le strict contrepied des recommandations bicentenaires de PORTALIS au législateur.

Mais il saute aux yeux une innovation de taille : le CME perd dorénavant son rôle de purge des fins de non-recevoir en amont de la décision de la Cour. Quoique ce jeu de « filtre » eût donné lieu à une jurisprudence casuistique de la deuxième Chambre de la Cour de cassation, notamment pour savoir ce qui échoyait aux fins de non-recevoir (CME) et à la prohibition de la demande nouvelle en appel (Cour), il est désormais abandonné. Comme jadis avant que l’attribution des fins de non-recevoir ne fût réformée devant le premier juge, seule la formation de jugement en connaîtra à compter du 1er septembre 24.

Par conséquent, il faudra rapidement acquérir deux réflexes différents et diamétralement opposés selon que la fin de non-recevoir se présentera en première instance ou à hauteur d’appel. Au premier degré, elle continuera de se soulever par voie d’incident devant le magistrat instructeur, sauf à ce qu’elle se déclare entre l’ordonnance de clôture et l’ouverture des débats. Au second degré de juridiction, il faudra se souvenir des anciens réflexes de première instance (avant 2020) pour réserver à la Cour cette question des fins de non-recevoir. 

Comment soutenir ensuite que chacun des « toilettages » de la direction des affaires civiles et du sceau n’est pas qu’une pure gestion des flux ?

Quoi qu’il en soit, il est toujours agaçant d’avoir deux régimes selon la juridiction devant laquelle l’affaire est pendante. Quant aux autres attributions, elles reprennent en substance les textes déjà déclinés en faveur du Juge de la mise en état. Ainsi, le Conseiller de la mise en état gagne ses « galons » de magistrat instructeur de plein exercice avec un pouvoir d’instruction et de contrôle des mesures d’instruction tout à fait similaire (art. 913-2, 913-3, 913-5, 6° à 10°).

Tous ses autres pouvoirs restent inchangés (caducité de la DA, irrecevabilité de l’appel, irrecevabilité des conclusions, etc.), tandis qu’il garde un œil sur les conclusions des plaideurs dont la « normalisation » est, elle aussi, retouchée.

4/ Les écritures

La normalisation des conclusions transcende la distinction du circuit court et de la procédure longue : les textes qui la régissent sont des « dispositions communes à la procédure à bref délai et à la procédure avec mise en état ».

Par un effet-miroir, le sauvetage de la DA incomplète ou erronée par les premières conclusions d’appelant trouve sa redite dans le nouvel art. 915-2 qui fixe la saisine de la Cour dans le dispositif des écritures ainsi réaiguillé. Ainsi, si des chefs de jugement furent omis au stade de la DA (l’art. 700, la remise en cause de l’exécution provisoire de droit, etc.), celle-ci peut être sauvée par leur ajout dans le dispositif relatif à l’infirmation des chefs critiqués. Il faudra juste être vigilant à bel et bien demander l’infirmation, puisque la réforme érige la formule en totem (quid de la « réformation » grammaticalement correcte mais non textuelle). Et à lister au dispositif des premières écritures et des suivantes (« récapitulatives ») tous les chefs à infirmer. 

Entre la rédaction formelle de « l’infirmation » poursuivie et le récapitulatif des chefs recensés au dispositif, il n’est pas sûr que le praticien de la procédure d’appel ait gagné à l’abandon de la déclaration d’appel rectificative…
À l’issue de cette procédure écriture, le temps de l’audience resurgira…ou pas.

5/ L’audience

Afin d’encourager les dépôts de dossiers, l’art. 906-5 dédié à la procédure en « circuit court » propose la transformation de la procédure à bref délai en circuit ultra-court, en tronquant la plaidoirie. En effet, l’alinéa 2 permet au Président de Chambre ou à son délégué de fixer la date des dépôts « quand il lui apparaît que l’affaire ne requiert pas de plaidoiries ».

Bien entendu, la précaution usuelle « à la demande des avocats des parties » est réutilisée. Mais la pratique a montré par le passé qu’aucune demande des avocats n’est formulée en ce sens. De sorte qu’il siéra sans doute de s’opposer dans les quinze jours de la réception de l’avis de dépôt. Un peu comme en matière d’audience à juge unique, où le même texte prévoit cette ultime faculté du juge pour libérer les magistrats « à moins que les avocats des parties ne s’y opposent ».

En conclusion, la réforme de la procédure d’appel tend à simplifier les incombances issues de la loi Magendie pour les praticiens.

Côté avocats, la DA incomplète, erronée, lacunaire, pourra être sauvée par les conclusions d’appelant dans les trois mois du recours. Les délais sont doublés dans la procédure à bref délai, qu’il s’agisse de signifier la DA (vingt jours) ou de conclure (deux mois).
En contrepartie, il faudra être vigilant à inscrire au dispositif des conclusions le terme « infirmer » la décision entreprise et les chefs un à un à censurer.

Côté magistrats, le Conseiller de la mise en état voit son autonomie renforcée, avec l’octroi d’un pouvoir discrétionnaire d’allongement ou de raccourcissement des délais légaux, et le renvoi systématique des fins de non-recevoir dans le champ de compétence de la Cour. Le même pourra inciter les avocats au dépôt (a priori en circuit court, mais sait-on jamais ?).


Cet article n'engage que son auteur.

 

Auteur

Gilles BABERT
Avocat
DROUINEAU 1927 - Poitiers
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