Cigarette électronique : Vapoter est-ce fumer ?

Cigarette électronique : Vapoter est-ce fumer ?

Publié le : 12/02/2014 12 février févr. 02 2014

En l’état de la seule décision du tribunal de Toulouse, la distribution des cigarettes électroniques relève du monopole de l’Etat sur le tabac et ne peut être assimilée à un produit de consommation ordinaire bénéficiant de la liberté du commerce.

Commentaire du jugement du Tribunal de Commerce de Toulouse du 9 décembre 2013
Un grand retentissement médiatique a été donné au jugement du Tribunal de Commerce de Toulouse en date du 9 décembre 2013 ( no 2013-1206, SNCH Herande c/SAS Esmokeclean) qui a fait droit à l’action en concurrence déloyale engagée par un débitant de tabac également vendeur des cigarettes électroniques à l’encontre d’un distributeur de cigarettes électroniques installé à proximité de son commerce au motif que ce dernier viole les textes relatifs à la publicité des produits du tabac et ceux relatifs au monopole de la vente du tabac et qui lui a interdit de poursuivre son activité .

L’enjeu de cette décision en termes économiques est considérable. D’abord en raison de l’ouverture chaque jour de commerces de vente de cigarettes électroniques se livrant exclusivement à cette activité. En outre, ce qui est moins connu du public, les quatre principaux fabricants mondiaux de tabac soucieux de compenser la baisse considérable des ventes de tabac ont décidé et sont parvenus à acquérir les brevets des inventeurs chinois et à s’implanter sur le marché particulièrement rentable de la cigarette électronique.

Ces fabricants souhaitent éviter une distribution réglementée de ces produits et recourent à une activité importante de lobby pour tenter de convaincre les médias et les autorités européennes d’assimiler les cigarettes électroniques à de simples produits de consommation courante ne devant subir aucune restriction de vente libre.

L’enjeu en termes de santé publique est également important.
Les fabricants invoquent la nécessité de favoriser la vente libre de ces produits au motif qu’ils sont de nature à favoriser le sevrage du tabac, ils se posent ainsi en défenseurs de la sante publique.
Pourtant ce sont pour des raisons qui paraissent purement économiques qu’ils refusent de soumettre ces produits au régime de mise sur le marché d’un médicament relevant du monopole des pharmaciens, régime qui serait de nature à soustraire ces produits à la vente libre et sans contrôle au profit des mineurs comme des femmes enceintes.

Heureusement les autorités européennes ont mis en évidence la nécessité de réglementer ces ventes et de faire des études sérieuses sur la nature et la composition des ingrédients, souvent d’origine chinoise, inhalés avec la cigarette électronique et dont l’absence de nocivité n’est pas encore démontrée.
Les médias ont à tort défendu l’idée erronée selon laquelle le Tribunal de commerce de Toulouse, première juridiction Française à statuer au fond sur la question, avait rempli un vide juridique.
Les arguments présentés sur 14 pages par le jugement révèlent au contraire qu’il n’existe pas véritablement de vide juridique et que le juge sans esquiver aucune question a veillé à se référer à la réglementation existante, claire et précise, pour l’appliquer à la cigarette électronique.

Les textes appliqués sont les suivants :


Prohibition de de la publicité :
L’article L 3511-4 du Code de la Santé Publique « interdit la propagande ou publicité indirecte, non seulement du tabac mais également « en faveur d’un organisme d’un service d’une activité d’un produit ou d’un article autre que le tabac, un produit du tabac ou un ingrédient défini au 2ème alinéa de l’article L 3511-1 lorsque, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une marque, d’un emblème publicitaire ou un autre signe distinctif, elle rappelle le tabac, un produit du tabac ou un ingrédient défini au 2ème alinéa de l’article L 3511-1 ».

La prohibition de toute propagande ou publicité est donc très large et la cigarette électronique entre incontestablement selon le jugement dans le champ d’application des dispositions de l’article L 3511-4.

Dans l’espèce soumise au Tribunal de Commerce de Toulouse, le Tribunal a retenu que les vignettes exposées sur le site internet du défendeur « Smokeclean » reprenaient les caractéristiques de marques célèbres de cigarette (logo rouge et blanc reprenant à l’identique les codes couleur et police de la marque Malboro et comportant en outre un M ainsi que le mot « tabac » ; un logo brun reprenant les codes couleur et police de la marque Camel et faisant figurer un chameau au-dessus de l’inscription « tabac » ...

Le Tribunal a donc déduit de ces constatations que ce distributeur de cigarettes électroniques a violé les règles de publicité qui s’imposent à tous les débitants de produits du tabac ou de produits assimilés et qu’ainsi le défendeur avait rompu l’égalité des armes entre opérateurs économiques, ce qui est assimilable à un acte de concurrence illicite donc déloyale.


Le monopole d’Etat et le vapotage :
En vertu des dispositions combinées de l’article 564 decies du CGI et de l’article L 3511-1 du Code de la Santé Publique, relèvent du monopole des débitants de tabac « les cigarettes et produits à fumer, même s’ils ne contiennent pas de tabac, à la seule exclusion des produits destinés à un usage médicamenteux »

Le Tribunal de Commerce de Toulouse a jugé que l’expression « produits destinés à être fumés, même s’il ne contiennent pas de tabac » recouvre bien les cigarettes électroniques.
Le jugement, se référant à la définition de l’Académie Française, s’est refusé à considérer que l’utilisation habile du mot « vapoter » au lieu du mot « fumer » pouvait autoriser le défendeur à alléguer avec succès que la cigarette électronique ne rentre pas dans la définition des produits destinés à être fumés, même s’ils ne contiennent pas de tabac.

Le tribunal n’a pas plus retenu l’analyse avancée par certains consistant à soutenir qu’une fumée suppose une combustion qui apparemment ne se produirait pas dans le mécanisme de la cigarette électronique ; le Tribunal retient que l’Académie Française emploie le mot « fumer » notamment pour désigner « une vapeur qui s’exhale d’un liquide très chaud ou d’un corps humide et plus chaud que l’air ambiant ».
Le jugement constate que la cigarette électronique produit bien de la fumée et qu’elle doit être en conséquence traitée comme un produit assimilé au tabac, relevant donc du monopole des buralistes.
Le défendeur a relevé appel de ce jugement qui n’est pas assorti de l’exécution provisoire.

En l’état de cette seule décision au fond et dans l’attente de la décision de la Cour d’Appel de TOULOUSE, la distribution des cigarettes électroniques relève donc du monopole de l’Etat sur le tabac et ne peut être assimilée à un produit de consommation ordinaire bénéficiant de la liberté du commerce.

Enfin on peut considérer que les dispositions du Code de la Santé Publique appliquées par le Tribunal de Commerce de Toulouse ne sont pas incompatibles avec la règlementation européenne qui pose en principe, comme l’ont remarqué Monsieur Jacques LARRIEU, professeur à l’Université Toulouse 1 capitole et Monsieur Nicolas BOUCH, Maître de Conférence à l’Université Jean Moulin Lyon 3 (in Propriété Industrielle, Revue mensuelle Lexisnexis JurisClasseur, février 2012, page 31 :
« l’action de l’Union est menée dans le respect des responsabilités des états membres en ce qui concerne la définition de leurs politiques de santé » (article 168, 7, TFUE).

La future directive européenne relative au tabac n’est pas encore votée mais, selon l’accord intervenu le 18 décembre 2013 entre le Parlement Européen et le Conseil des Ministres à propos de cette future directive, les cigarettes électroniques devraient avoir un traitement identique à celui des produits du tabac.
Si les institutions européennes n’ont pas encore définitivement tranché, l’on peut déjà observer qu’au-delà des frontières de l’Europe, l’US Food and Drug Administration a fait part de son intention d’étendre aux cigarettes électroniques le contrôle qu’elle exerce actuellement sur les produits du tabac.





Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © Artur Marciniec - Fotolia.com

Auteur

DESARNAUTS Bertrand
Avocat Associé
DESARNAUTS ET ASSOCIES
TOULOUSE (31)
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