Réalisation inachevée de la conception d'un architecte et droits d'auteur

Publié le : 12/03/2013 12 mars mars 03 2013

Comment concilier le droit moral de l'architecte sur son oeuvre et le droit de propriété? C'est à cette question que répond la Cour de cassation dans un arrêt concernant une construction inachevée.

© herreneck - Fotolia.com L'arrêt de la Cour de cassation du 17 octobre 2012 (n°11-18.638)Par sa fonction utilitaire et par sa vocation à demeurer dans le temps, l’œuvre architecturale a nécessité une certaine adaptation du droit d’auteur, afin notamment de concilier le droit moral de l’architecte avec le droit de propriété de l’acquéreur de l’immeuble. La jurisprudence française a ainsi admis qu’après sa construction, l’œuvre architecturale pouvait être modifiée par son propriétaire afin de l’adapter à de nouveaux besoins, à condition toutefois que ces modifications nécessaires soient légitimées, eu égard à leur nature et à leur importance, par ces nouvelles exigences et qu’elles soient compatibles avec l’esprit de l’œuvre (notamment : Cass. 1ère civ., 7 janv. 1992, n°90-17534 ; Cass. 1ère civ., 11 juin 2009, n°08-14138 ;Cass. 1ère civ., 1er déc. 1987, n°86-12983 ; CA Paris, ch. 19, sect. B, 11 mars 2004, RG n°2002/21228).

Ainsi, si ces précisions avaient d’ores et déjà été apportées quant à la conciliation du droit moral de l’architecte et le droit de propriété s’agissant des modifications apportées à une construction achevée, l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 17 octobre 2012 précise quant à lui ce qu’il en est dans l’hypothèse d’un projet immobilier demeuré inachevé. En l’espèce, un architecte s’était vu confier par une SCI les missions de conception, direction et réception de travaux d’un projet immobilier à usage de bureaux, ledit projet ayant été initialement conçu en deux tranches de travaux successives. Le maître d’ouvrage, pour des considérations économiques, n’a pu mener à son terme le projet et seule la première tranche des travaux a pu être livrée, la seconde phase a dû être quant à elle arrêtée au stade des fondations. Dix ans plus tard, le terrain d’assiette de la deuxième phase du projet d’origine a été cédé à une SCI laquelle a entrepris d’y faire édifier un nouvel immeuble à usage de bureaux, dont la conception a été confiée à un autre architecte. Considérant que cette nouvelle construction mitoyenne portait atteinte au droit moral dont il disposait sur son œuvre, l’architecte du projet initial a sollicité l’interdiction de poursuite des travaux de construction et la destruction de ce qui avait d’ores et déjà pu être construit. Après appel d’un jugement du Tribunal de Grande Instance de Quimper qui avait retenu l’existence d’une atteinte au droit moral de l’architecte, la Cour d’appel de Rennes a pour sa part débouté l’architecte de ses demandes, considérant qu’il n’était pas rapporté la preuve d’une modification de son œuvre existante ou une altération de son œuvre par une dépréciation de son environnement (CA Rennes, 1ère ch. A, 8 mars 2011, RG n°09/01222). La Cour de cassation, dans son arrêt du 17 octobre 2012, rejette le pourvoi formé à l’encontre de cet arrêt, en énonçant dans son principal attendu : «Attendu que la cour d’appel qui a relevé que M. X… [architecte du projet initial] s’était vu confier une mission de conception et de réalisation d’un immeuble à usage de bureaux, dont il n’a réalisé qu’une partie du projet initial correspondant à la première tranche, la seconde ayant été abandonnée, n’en a pas déduit contrairement au grief du moyen, qu’il avait renoncé à son droit moral, mais a retenu à bon droit que celui-ci ne faisait pas obstacle à l’édification d’un bâtiment mitoyen dont l’architecture s’affranchissait du projet initial». Cet arrêt nous semble devoir être accueilli avec réserve. La troisième branche du moyen articulé à l’appui du pourvoi faisait valoir une violation de l’article L 112-2 du CPI faute pour les nouveaux propriétaires du terrain d’avoir caractérisé en quoi il était impératif de ne pas suivre les plans initiaux. La Cour le rejette comme non fondé. Sur ce point, l’arrêt doit être approuvé. En effet, l’article L 112-2 du CPI distingue parmi les œuvres de l’esprit éligibles à la protection au titre du droit d’auteur « les plans, croquis et ouvrages relatifs à (…) l’architecture » (L.112-2, 12°) et « les œuvres (…) d’architecture », (L.112-2, 7°). Ces dernières ne doivent s’entendre bien sûr que de ce qui a effectivement été construit. Et c’est donc sur cette œuvre architecturale effectivement édifiée que porte le droit moral de l’architecte lequel ne peut prétendre pouvoir faire obstacle à l’édification à proximité d’un bâtiment différent. Fort heureusement l’architecte ne peut s’ériger en censeur des ouvrages devant être construits à proximité d’une de ses œuvres. En cela, l’arrêt mérite l’approbation. Encore faut-il cependant que lorsque l’œuvre architecturale au sens de l’article L 112-2-7° du CPI n’est pas achevé, l’inachèvement soit sinon le fait de l’architecte à tout le moins décidé en plein accord avec celui-ci. Or tel n’était pas le cas en l’espèce. La haute juridiction nous semble en effet passer bien rapidement sur la première et la seconde branches du moyen qui faisaient successivement valoir que l’œuvre inachevée bénéficie de la protection du droit d’auteur et que la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut résulter d’une attitude passive. La cour d’appel avait retenu que « Monsieur X (…) a accepté que seule la première séquence soit exécutée, que son projet ne soit pas finalisé et que son œuvre inachevée côtoie pendant près de dix années un chantier abandonné au stade des fondations, de sorte qu’en renonçant à la réalisation complète de son projet initial il a perdu son droit d’auteur sur l’œuvre d’origine ». Qu’il nous soit permis de considérer que l’architecte faisait valoir à juste titre que la Cour d’appel a violé les dispositions de l’article L 111-2 du CPI en considérant que celui-ci avait perdu « son droit d’auteur sur l’œuvre d’origine ». L’analyse aurait pu être accueillie si l’architecte avait effectivement renoncé à l’édification de son projet dans son ensemble. Or, en dépit de ce que retient la Cour de cassation, ce n’est manifestement pas l’architecte qui a seul décidé de ne réaliser qu’une seule tranche du projet d’origine et d’abandonner la seconde. C’est le maître d’ouvrage, la SCI COLISEE, qui, pour des considérations économiques inopposables au maître d’œuvre, a renoncé à achever l’ensemble initialement conçu. Comme le soutenait à juste titre l’architecte l’écoulement du temps ne pouvait à lui seul caractériser sa renonciation à voir achever son œuvre telle qu’il l’avait conçue, c’est-à-dire avec ses deux tranches. N’ayant pas renoncé à voir son œuvre achevée, l’architecte sollicitait à notre sens à bon droit le respect de son droit moral sur son œuvre inachevée malgré lui, sauf pour le maître d’ouvrage reprenant la construction à prouver l’impossibilité juridique et/ou technique d’édifier l’immeuble conformément aux plans d’origine. Cet article n'engage que son auteur.

Auteurs

LEFEUVRE Elisabeth
LUCAS Florent

Historique

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