
Confirmation du régime juridique applicable aux éléments d'équipement adjoints à des existants
Publié le :
26/02/2025
26
février
févr.
02
2025
Cass, 3ème civ, 5 décembre 2024, n°23-13.562
Par son arrêt en date du 21 mars 2024 (Cass, 3ème civ, 21 mars 2024, n°22-18.694), la Cour de cassation a reconsidéré avec fracas la jurisprudence qu’elle avait imposée avec une absolue constance depuis l’arrêt du 15 juin 2017 (Cass, 3ème civ, 15 juin 2017, n°16-19.640) au sujet des éléments d’équipement adjoints à des ouvrages existants, au mépris des dispositions de l’article L 243-1-1-II du code des assurances, dont il résulte que : « II.-Ces obligations d'assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l'ouverture du chantier, à l'exception de ceux qui, totalement incorporés dans l'ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. »
Durant 7 années, la Cour de cassation a ainsi considéré que : « les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination. »
Cette position avait été étendue aux assureurs de responsabilité civile décennale par un arrêt du 26 octobre 2017 (Cass, 3ème civ, 26 octobre 2017, n°16-18.120), en écartant expressément les dispositions de l’article L 243-1-1 II du code des assurances lorsque les désordres affectant l’élément d’équipement installé sur l’existant rendent l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination.
Puis, face aux critiques unanimes du monde de l’assurance et quasi unanime de la doctrine, la Cour de cassation a reconsidéré tout aussi brutalement sa jurisprudence par son arrêt en date du 21 mars 2024, publié au bulletin, en indiquant qu’il convenait désormais de juger que :
« Si les éléments d’équipement installés en replacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumis à l’assurance obligatoire des constructeurs. »
Par un arrêt en date du 5 décembre 2024 (Cass, 3ème civ, 5 décembre 2024, n°23-13.562), la Cour de cassation a confirmé sa position au sujet de l’installation d’un poêle à bois à l’intérieur d’une maison d’habitation existante, en livrant deux informations complémentaires intéressantes.
1- Tout d’abord, ce qui constituait un préalable effectivement nécessaire, l’arrêt a considéré que les travaux s’inscrivaient dans le cadre d’un contrat de louage d’ouvrage et non dans le cadre d’un contrat de vente, dès lors que la prestation de fourniture du poêle et de tous les accessoires nécessaires « nécessitait un travail spécifique pour raccorder la nouvelle installation à celle existante dans la maison, la pose du conduit de marque Poujoulat supposant des spécifications et préconisations techniques ».
Le sujet est d’importance, alors que la distinction entre un contrat de louage d’ouvrage, en inexécution duquel la garantie décennale peut trouver à s’appliquer, et un contrat de vente, résulte de la nature de l’obligation qui pèse sur le débiteur.
Il est ainsi habituellement considéré que si la prestation de pose de l’installation s’avère d’un coût minime par rapport au coût de la fourniture, l’installation de chauffage ne présente qu’un caractère accessoire par rapport à son acquisition, de sorte que le contrat doit être alors qualifié de contrat de vente et non de contrat de louage d’ouvrage (Cour d’appel d’Angers, 15 avril 2014, n°12-02.167).
Il s’agit donc d’une appréciation économique du contrat qui lie les parties, sauf à justifier de la réalisation de travaux suffisamment importants pour être qualifiables en eux-mêmes d’ouvrage au sens des dispositions de l’article 1792 du code civil.
Dans son arrêt en date du 5 décembre 2024, la Cour de cassation s’attache exclusivement à l’aspect technique de la prestation lié aux spécificités du raccordement de la nouvelle installation à celle existante, sans aucune allusion au critère économique, majorant ainsi la qualification de la prestation en contrat de louage d’ouvrage ou d’entreprise.
2. Alors que l’assureur RC décennale soutenait que l’application immédiate qui lui avait été faite de la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 15 juin 2017 l’avait privé de son droit de l’accès au juge, l’arrêt du 5 décembre 2024 lui rappelle que la sécurité juridique invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable.
Ce principe avait déjà été rappelé dans un arrêt en date du 11 juin 2009 (Cass, 1ère civ, 11 juin 2009, n°07-14.932 , n°08-16.914, Publié au bulletin), puis un arrêt plus récent en date du 12 novembre 2020 (Cass, 1ère civ, 12 novembre 2020, n°19-16.964).
3. Et de façon logique, mais presque paradoxale, l’arrêt du 5 décembre 2014 lui fait bénéficier du revirement de jurisprudence opéré par l’arrêt du 21 mars 2024, en indiquant, au soutien du prononcé de la cassation de l’arrêt d’appel, qu’elle « juge désormais que, si les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale, ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs. »
Pour leur part, les juges d’appel avaient considéré, faisant ainsi acte d’allégeance à la jurisprudence inique du 15 juin 2017 et du 26 octobre 2017, que la responsabilité décennale du constructeur était engagée sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du code civil, dès lors que les travaux concernant le poêle avaient conduit à l’incendie et rendu l’immeuble dans son ensemble impropre à sa destination.
L’arrêt rendu le 5 décembre 2024, vient ainsi confirmer, avec bonheur, le revirement de jurisprudence opéré le 21 mars 2024.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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