Erreur de l’avocat sur erreur du greffier, à qui la faute ?
Publié le :
09/05/2023
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La procédure civile est impitoyable. Et il n’est pas inexact de dire qu’ici, il a souvent été fait la démonstration qu’elle l’était singulièrement à l’encontre de ses acteurs, les parties au procès, et donc tout logiquement, de leurs avocats.Pourtant, une décision du 12 avril dernier (n° 21-21.242) rendue par la deuxième chambre civile vient sanctionner la faute d’un greffe, pourtant reprise par un avocat :
« Vu l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
5. D’une part, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l’article 6, § 1, que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi d’autres, les arrêts Edificaciones March Gallego S.A. et Pérez de Rada Cavanilles, p§ 34 et § 44, respectivement).
6. D’autre part, la réglementation relative aux délais à respecter pour former un recours vise certes à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent s’attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, la réglementation en question, ou l’application qui en est faite, ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d’une voie de recours disponible (Leoni c.Italie, 26 octobre 2000, n° 43269/98, § 22 et 23).
7. Il s’ensuit qu’un justiciable, fût-il représenté ou assisté par un avocat, ne saurait être tenu pour responsable du non-respect des formalités de procédure imputable à la juridiction, l’irrecevabilité de son recours s’analysant en une entrave à son droit d’accès à un tribunal.
8. Pour déclarer l’appel irrecevable, l’arrêt retient que l’erreur dans l’identité des parties n’a pas pour effet de rendre irrégulière la notification opérée par le greffe du conseil de prud’hommes, ces mentions ne figurant pas au nombre de celles prévues par les articles 680 du code de procédure civile et R. 1454 du code du travail.
9. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que l’acte de notification comportait une mention erronée dans l’identification de la société, imputable à la juridiction, qui avait été reprise par l’appelant dans sa déclaration d’appel, la cour d’appel, qui devait nécessairement en déduire que le délai d’appel n’avait pas couru, a violé le texte susvisé. »
En somme, un greffier avait adressé un jugement de première instance à une partie qui y était étrangère.
Et sur cette prime erreur, un avocat avait commis s’était trompé dans la déclaration d’appel, y faisant figurer cette même partie qui n’avait rien à y faire.
N’y aurait-il pas là une certaine clémence à l’endroit de l’avocature ?
Pourtant, la cour d’appel d’AMIENS avait été d’un autre avis :
« Cependant la cour rappelle que si l'erreur manifeste dans la désignation de l'intimé, au regard de l'objet du litige, tel que déterminé par les prétentions des parties devant les juges du fond, n'est pas de nature à entraîner l'irrecevabilité de l'appel, celui-ci ne peut en revanche être dirigé contre d'autres personnes que celles ayant été parties en première instance sans encourir l'irrecevabilité prévue par l'article 547 du code de procédure civile.
Elle rappelle aussi que la réitération de la déclaration d'appel postérieurement au délai d'appel n'est pas de nature à régulariser l'irrecevabilité du premier appel interjeté.
En l'espèce, il n'est pas contesté par les parties que le premier appel interjeté par Monsieur C a visé en qualité d'intimée une partie qui n'était pas présente en première instance, que si effectivement l'erreur commise résulte d'une mention erronée du jugement en sa page 1, le salarié ne pouvait ignorer que son employeur était la société des Cooopérateurs de Normandie Picardie et non la société Normande de Distribution, aucune ambiguïté ne pouvant exister en la matière, d'ailleurs l'exposé des prétentions, la motivation du jugement et le dispositif mentionnaient la qualité vraie de l'employeur concerné et l'employeur avait réglé les sommes mises à sa charge par le conseil de prud'hommes dès le 5 juin 2019.
La cour constate que ce n'est que le 29 août 2019 que le salarié a réitéré sa déclaration d'appel, en vue de régulariser l'irrecevabilité de son premier appel, soit au-delà du délai imparti par la loi, l'appelant ne contestant pas avoir eu connaissance du jugement déféré le 17 mai 2019.
Or, la cour rappelle qu'une erreur dans l'identité des parties n'a pas pour effet de rendre irrégulière la notification opérée par le greffe du conseil de prud'hommes, ces mentions ne figurant pas au nombre de celles prévues par les articles 680 du code de procédure civile et de l'article R1454 du code du travail.
[…]
PAR CES MOTIFS
La cour, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 25 mars 2020 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déclare irrecevable comme tardif l'appel interjeté le 29 août 2019 par monsieur D B à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes d'Amiens du 15 mai 2019 […]. »
La Cour d’appel d’AMIENS avait donc tenté de sauver l’erreur du greffier en indiquant qu’il n’y avait pas d’erreur, puisque la mention dont il était question n’était pas exigée par les textes.
Ce faisant, la notification du jugement était correcte, donc l’erreur de l’avocat n’était pas excusable, voire régularisable par l’accomplissement d’une deuxième déclaration d’appel, cette fois-ci correcte.
D’où la motivation de la Cour de Cassation sur le fondement de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sanctionnant la mauvaise notification du jugement en ce qu’il n’avait pas pu faire partir le délai pour faire appel.
Offrant ainsi à l’avocat la possibilité de faire une déclaration d’appel dans les temps.
Ainsi, avant même de savoir à reprocher ladite erreur, fallait-il s’assurer qu’il y en avait bien une. Et débat il y avait, puisque le conseiller de la mise en état estimait pour sa part qu’il y en avait bien une.
Bref, cette affaire est aussi l’occasion de rappeler que la procédure civile est d’autant plus impitoyable qu’elle ne repose pas nécessairement sur des lignes explicites.
Mais il peut être réconfortant pour les parties de savoir que ce péril ne leur est pas exclusivement dévolu.
Surtout que l’erreur en question était plutôt facilement décelable, en procédant à une vérification sur le registre du commerce.
Reste que tout ceci a probablement pour cause la sévérité des règles en appel. Les parties et leurs représentants sont incités à la célérité, et pour ne pas dire clairement menacés de toute inertie, qu’ils en sont réduits à manquer de vigilance.
Et pour d’autres raisons, il en est de même des greffes des juridictions.
Entre les deux, cette décision ramène un peu de sérénité, encore qu’elle n’enlève qu’une infime partie des angoisses bien légitimes qui accompagnent la procédure en appel.
Surtout, elle a le mérite de mettre en évidence que de part et d’autre, on peut souffrir des mêmes maux. À méditer.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Etienne MOUNIELOU
Avocat Collaborateur
MOUNIELOU
SAINT GAUDENS (31)
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