Être témoin d’un attentat n’est pas être victime
Publié le :
13/01/2023
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Par plusieurs arrêts rendus le 27 octobre 2022 (n°21-24.424, 21-24.425 et 21.24.426), la Cour de cassation est venue apporter des précisions sur les personnes victimes d’un attentat terroriste pouvant prétendre à l’indemnisation du préjudice subi auprès du Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI).L’arrêt dont il est question ici (Civ. 2ème, 27 octobre 2022, n°21-13.134) traite plus spécifiquement de la limite, parfois ténue, entre le statut de témoin et celui de victime d’un attentat terroriste au sens des dispositions encadrant le régime d’indemnisation par le FGTI, l’enjeu final de cette question étant l’ouverture ou non d’un droit à indemnisation sur le fondement de l’article L126-1 du Code des assurances, et compte tenu des apports de la loi du 23 mars 2019 sur cette question, obligeant la juridiction répressive saisie d’une action civile à renvoyer devant la juridiction civile pour statuer sur l’indemnisation.
Il est à noter qu’au stade de l’instruction ou du jugement pénal, pour lesquels les critères sont d’ailleurs différents, la question de la recevabilité de la constitution de partie civile constitue ainsi un premier marqueur, tant de la volonté de soutien de l’action publique, qu’ensuite du résultat espéré devant la juridiction civile.
Si les règles en matière d’infractions pénales classiques sont connues et maîtrisées, qu’en est-il, et jusqu’où aller dans l’admission de la notion de « victime », en matière de terrorisme « où le préjudice peut tout particulièrement être psychologique et le lien de causalité évanescent en raison du caractère diffus de l’infraction (le traumatisme né de la terreur ressentie) » (R. PARIZOT, JCP G n°17, 02/05/22, act. 560) ?
Ici le pourvoi en cassation a été formé par deux personnes qui, au moment de l’attentat terroriste ayant endeuillé la ville de Nice le 14 juillet 2016, se trouvaient au théâtre de Verdure, à 400 mètres de distance du Palais de la Méditerranée devant lequel la course du camion avait pris fin.
Estimant avoir subi des répercussions psychologiques à la suite de cet événement, ces derniers ont adressé une demande d’indemnisation de leurs préjudices au FGTI, lequel n’y a pas fait droit, estimant qu’ils n’avaient pas la qualité de victime compte tenu du fait qu’ils ne s’étaient pas trouvés sur le lieu même de l’attentat.
Ils saisissaient alors une juridiction civile, laquelle les déboutait de leur demande, de même que la juridiction d’appel.
La Cour de cassation était donc chargée de répondre à la question suivante :
Une personne présente à proximité des lieux d’un attentat terroriste peut-elle bénéficier de la qualité de victime lui ouvrant droit à l’indemnisation, par le FGTI, des préjudices subis ?
Elle a commencé par indiquer que ne sont victimes d’actes de terrorisme en lien avec les infractions d’atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité des personnes que les personnes qui ont été directement exposées à un péril objectif de mort ou d’atteinte corporelle.Restait néanmoins à déterminer comment identifier concrètement les victimes exposées à un tel péril lorsque, comme cela était le cas s’agissant de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice, l’auteur des faits a agi en milieu ouvert, au milieu d’une foule, avec l’objectif de faire le plus de victimes possibles, et que, par définition, il n’en est pas résulté, pour certaines personnes présentes à proximité, d’atteinte physique.
En d’autres termes, convient-il de considérer que n’ont été exposées à un tel péril que les personnes frôlées par le camion-bélier ou est-il envisageable d’élargir à des personnes qui se sont trouvées à une distance plus importante et, le cas échéant, quelle serait alors la limite ?
Dans le cadre de l’audience civile consécutive aux audiences pénales de la Cour d’assises spéciales lors de laquelle huit personnes ont été condamnées d’infractions en lien avec les actes de l’auteur principal décédé, il a pu être avancé que la qualité de partie civile ne serait pas déniée à des personnes qui se trouvaient sur le terre-plein de la Promenade des anglais, sur la chaussée nord ou encore sur la fin de la Promenade des anglais jusqu’à l’hôtel le Méridien, et ce même si le camion n’a pas roulé jusque-là ; toujours en délibéré, la décision sur cette question n’est pas connue à ce jour.
Dans le cas présent, les requérants estimaient qu’étant présents au niveau du théâtre de Verdure, leur proximité avec les lieux de l’attentat leur permettait d’obtenir la qualité de victime dès lors qu’ils avaient été exposés au risque terroriste avant l’arrêt du camion.
La Cour de cassation n’a pas adhéré à leur argument et a estimé que « le fait pour une personne de s'être trouvée à proximité du lieu d'un attentat et d'en avoir été le témoin ne suffit pas, en soi, à lui conférer la qualité de victime ».
S’agissant donc plus spécifiquement des deux requérants, elle a validé le raisonnement de la cour d’appel qui avait considéré que s’étant trouvé à plusieurs centaines de mètres du lieu où le camion conduit par le terroriste avait cessé sa course, ils n’avaient, à aucun moment, été directement exposés à un péril objectif de mort ou d’atteinte corporelle et que, par conséquent, ils n’avaient pas la qualité de victimes au sens de l’article L126-1 du Code des assurances.
Ce faisant, elle resserre la notion d’exposition directe à un péril objectif de mort ou d’atteinte corporelle et limite la possibilité de bénéficier de la qualité de victime d’un attentat terroriste.
L’analyse de la situation soumise à la Cour de cassation n’était pourtant pas évidente compte tenu de la situation particulière des deux requérants et de la vitesse à laquelle le camion-bélier progressait sur la Promenade des anglais avant d’être arrêté.
Un arrêt de la chambre criminelle du 12 mars 2019 (au stade de la constitution de la partie civile durant l’instruction), semblait déjà chercher à limiter la multiplication des parties civiles en déclarant la constitution de la ville de NICE irrecevable, la poursuite pénale principale ne comportant aucune infraction d’atteinte aux biens, qu’aurait pu invoquer cette collectivité territoriale.
Il y était ainsi rappelé une règle fondamentale : « les droits de la partie civile ne peuvent être exercés que par les personnes justifiant d’un préjudice résultant de l’ensemble des éléments constitutifs de l’une des infractions visées à la poursuite » (crim. 12 mars 2019, n°18-80.911).
Mais il semblait démenti par trois arrêts de la chambre criminelle en date du 15 février 2022 (21-80264 ; 21-80670 ; 21-80265) qui semblent admettre une conception élargie de la notion de partie civile en matière de terrorisme, ou de « victime par implication ».
Ces arrêts, rendus concernant la recevabilité de la constitution au stade de l’instruction, visaient en particulier le cas de ceux qui, sans être spécifiquement visés ou compris dans l’acte criminel, ont cherché à le fuir (celui qui croyant être sur le chemin du camion saute sur la plage 4 mètres plus bas et se blesse) ou à l’interrompre (celui qui tente de maîtriser l’agent au cours de son action ou lui court après) : s’agissant d’une intervention ou d’une réaction de fuite, l’action défensive est ainsi, selon la chambre criminelle, indissociable de l’action criminelle.
Au final, et à la lecture d’une jurisprudence particulièrement nuancée mais prenant une ampleur certaine, en l’attente de la décision de la Cour d’assises spéciale de PARIS s’agissant des attentats de NICE, on ne peut que reprendre ici l’interrogation de Madame PARIZOT (ibid.) dans son commentaires des arrêts de février 2022 : « A moins que l’on s’achemine vers une distinction des statuts de victime et de partie civile. De la même manière que l’on peut tout à fait être victime sans être partie civile (…), pourrait-on imaginer pouvoir être partie civile sans être considéré comme victime par le juge pénal ? (…) La partie civile n’est plus simplement l’étiquette d’une victime en quête de réparation. Elle est aussi la qualité d’une victime en quête de justice sans réparation (c’est le sens de l’action civile devant le juge pénal en matière terroriste). Elle est peut-être en passe de devenir aussi le costume d’un témoin-victime (victime par implication ou victime par extension) en quête de reconnaissance et qui, en tout état de cause, veut avoir son mot à dire dans le procès pénal terroriste ».
Très paradoxalement, et non sans surprise, l’évolution contemporaine du procès pénal, particulièrement tournée vers la notion de « victime », trouve peut-être ici sa limite. Redevenant témoin, c’est-à-dire plaignant, sans action indemnitaire devant le juge de la culpabilité et de la peine, la « victime » retrouve ici le sens premier de sa constitution de partie civile : le soutien de l’action publique par voie accessoire…
En tout état de cause, il est essentiel, dans le cadre d’un tel contentieux, de se faire accompagner d’un avocat connaisseur de cette problématique afin, dans un premier temps, de pouvoir intervenir utilement dans le cadre du procès pénal, dans un second temps, d’obtenir une indemnisation à la hauteur des préjudices subis, souvent considérables après de tels événements.
Cet article a été rédigé par Pascal ZECCHINI, Avocat au Barreau de TOULON, avec la collaboration d’Eléonore BODY, Avocat au Barreau de TOULON.
Auteur
Pascal ZECCHINI
Avocat Associé
CLAMENCE AVOCATS
TOULON (83)
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