Interdiction de déplacements de supporters en cas de risques d'atteinte à l'ordre public

Publié le : 30/10/2014 30 octobre oct. 10 2014

L’actualité nous donne, à nouveau, l’occasion d’évoquer la délicate et fragile coexistence entre le Droit et les valeurs sportives.CE ord. 12 sept. Association "Tigers"

L’épisode de Luzenac à peine refermé, voici qu’un autre sentiment d’injustice émane d’une décision de justice, en l’espèce une ordonnance de référé rendue par le Conseil d’Etat, juridiction administrative, alors que plusieurs voix s’élèvent pour l’instauration de juridictions « sportives ».

Comment concilier le Droit et le Sport ?

Le présent commentaire mêlant volontairement le vocabulaire juridique et les termes sportifs, va tenter d’expliquer le sens de la décision rendue le 12 septembre 2014 par le Conseil d’Etat.


Le contexte : quel est le système tactique mis en place ?
4-3-3, 4-4-2,… il convient tout d’abord de comprendre le contexte et le système tactique ayant opposé les parties.

D’un côté, l’association de supporters du Racing Club de Lens, les Tigers.

De l’autre, le Ministère de l’Intérieur.

Cette décision est d’autant plus intéressante qu’elle concerne les supporters du Club de Lens dont la ferveur et leur amour pour leur club sont unanimement reconnus.

Le Ministère de l’Intérieur aurait il donc décidé d’opérer un marquage serré contre un Club pourtant aimé par le plus grand nombre !

En réalité, pour le Ministère, il ne s’agit pas tant de viser les supporters du RC Lens mais plutôt de veiller, en adoptant un principe de précaution, que l’ordre public ne soit pas troublé.

Le 9 septembre 2014, le Ministre de l’Intérieur a pris un arrêté, modifié par un arrêté rectificatif du 11 septembre 2014, visant à interdire du 12 septembre 2014 à 9 heures au 13 septembre 2014, jour de la rencontre de Ligue 1 entre le RC Lens et le SC Bastia, à minuit, le déplacement individuel ou collectif, par tous moyens, de personnes se prévalant de la qualité de supporter du RC Lens ou se comportant comme tel, entre, d’une part, les communes du département du Pas-de-Calais, les ports de Nice, de Marseille et de Toulon, les aéroports de Lille-Lesquin, Roissy-Charles-de-Gaulle et Orly, et d’autre part, la Corse.

Face à cette interdiction, l’association de supporters « Tigers », qui avaient déjà organisé leur déplacement, a décidé de saisir le conseil d’Etat en formant un recours en référé liberté.


La règle juridique : quelles sont les règles du jeu visées par les arbitres ?
Le Conseil d’Etat, arbitre désigné de ce match, doit étudier les règles du jeu applicables.
 
  • Pour le Ministre de l’Intérieur, il a été fait appel à l’article L 332-16-1 du Code du Sport qui prévoit :
« Le ministre de l'intérieur peut, par arrêté, interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public.
L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait qui la motivent ainsi que les communes de point de départ et de destination auxquelles elle s'applique.
Le fait pour les personnes concernées de ne pas se conformer à l'arrêté pris en application des deux premiers alinéas est puni de six mois d'emprisonnement et d'une amende de 30 000 €.
Dans le cas prévu à l'alinéa précédent, le prononcé de la peine complémentaire d'interdiction judiciaire de stade prévue à l'article L. 332-11 pour une durée d'un an est obligatoire, sauf décision contraire spécialement motivée.
»
 
  • Pour l’association « Tigers », c’est l’article L 521-2 du Code de Justice Administrative qui a été invoqué. Connu sous le terme de référé liberté, il énonce :
« Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

Le référé-liberté permet de demander au Conseil d’Etat de suspendre l’exécution d’un acte administratif lorsque celui-ci porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale telles que la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion et la liberté d’expression.


La critique de la décision : y a-t-il hors jeu ?
La décision rendue par le Conseil d’Etat le 12 septembre dernier est claire dans son principe.

« L’existence d’une atteinte à l’ordre public de nature à justifier les interdictions de déplacement de supporters par le ministre de l'intérieur doit être appréciée objectivement et peut résulter de leur seule présence indépendamment de leurs comportements ».

Certes ! mais cela est néanmoins critiquable et interroge sur la capacité réelle des pouvoirs publics à assurer la sécurité dans et hors les enceintes sportives.

En effet, la particularité de cette affaire réside dans le fait que les supporters du RC Lens qui se sont vus imposer une interdiction de déplacement, sont pourtant reconnus comme n’étant pas en eux-mêmes une menace pour l’ordre public.

Ainsi le Conseil d’Etat précise : « alors même qu’il n’est pas contesté que les menaces de troubles à l’ordre public invoquées par l’autorité administrative ne sont pas directement imputables aux supporters du RC Lens»

C’est la référence au « Précédent » qui a guidé la motivation de la juridiction.

Le Ministère de l’Intérieur au visa de l’article L 332-16-1 du Code du Sport, et au nom de la protection préventive de l’ordre public, a décidé d’interdire de déplacement les supporters du RC Lens en raison principalement, du trouble occasionné lors d’une précédente rencontre entre le club du SC Bastia et l’Olympique de Marseille qui s’est tenue le 9 août 2014.

Rappelons nous, de violents affrontements avaient eu lieu entre les supporters des deux clubs au cours desquels dix policiers et trente quatre gendarmes avaient été blessés.

C’est donc finalement en caractérisant les violences des supporters corses que les supporters lensois ont été privé de déplacement d’où le sentiment d’injustice qu’ils ont ressenti et que l’association « Tigers » a décidé d’exposer devant le Conseil d’Etat.

Les autorités publiques n’auraient elles pas pu interdire dès lors aux supporters corses de se déplacer au stade ?

Sans aucun doute, une balance a été faite entre les risques induits pas les deux hypothèses d’interdiction et les autorités ont du estimer qu’il était moins dangereux pour l’ordre public d’interdire de déplacement les supporters lensois que d’empêcher les supporters corses de se rendre dans leur propre stade de Bastia.

Le Ministère de l’Intérieur a donc considéré que la seule présence des supporters du RC Lens pouvait occasionner des troubles graves pour l’ordre public et ce indépendamment du comportement des personnes visées par l’interdiction de déplacement.

Le Conseil d’Etat a validé cette interdiction en précisant de surcroît qu’il n’existait pas d’autres mesures pouvant éviter la survenance de troubles graves à l’ordre public.

Il a estimé que l’arrêté du Ministère de l’Intérieur ne révélait aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par l’association « Tigers » qui s’est vue déboutée de ses demandes.

C’est donc sur l’autel du principe de précaution qu’ont été sacrifiés les supporters du RC Lens.

En filigrane de cette décision, transparaît l’incapacité des pouvoirs publics et des organisateurs d’événements sportifs, à assurer la sécurité des manifestations dans et en dehors de certains stades, face à des pseudo supporters qui veulent en découdre.

A Bastia, entre l’ordre public et les supporters du RC Lens, il n’y a pas eu de match, le premier a dominé la partie.



Cet article a été rédigé par Me Olivier COSTA. Il n'engage que son auteur.
 

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