Recours entre co-obligés : Point de départ du délai de prescription différent entre marchés privés et marchés publics !
Publié le :
01/08/2022
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Pour rappel, par trois arrêts rendus le 16 janvier 2020 (Cass., 3ème civ., 16 janvier 2020, n° 18-25.915,18-21.895 et 16-24.352), la Cour de cassation a très clairement indiqué que la prescription de l’action d'un constructeur contre un autre constructeur, ou son sous-traitant, ne peut être fondée sur le délai de la garantie décennale, dans la mesure où elle ne relève pas de la prescription spéciale consacrée à l’article 1792-4-3 du Code civil, réservée aux actions en responsabilité exercées par le maître de l’ouvrage contre les constructeurs.
Aussi, la Cour de cassation considère que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur, ou son sous-traitant, relève de la prescription quinquennale de droit commun, consacrée à l’article 2224 du Code civil, dont le délai commence à courir à compter du jour où le demandeur à l’action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.A ce titre, la Haute juridiction a pris le parti de faire courir ce délai à compter de la première assignation délivrée au constructeur qui entend exercer son recours contre un autre constructeur, ce qui correspond, le plus généralement, à la date de délivrance de l'assignation en référé-expertise.
Par deux arrêts en date du 1er octobre 2020 (Cass., 3ème civ., 1er octobre 2020, n° 19-21.502 ; n° 19-13.131), la Cour de cassation a très clairement confirmé sa position, en ce sens que : « l'assignation en référé expertise délivrée par le maître d'ouvrage à un constructeur met en cause la responsabilité de celui-ci et constitue le point de départ du délai de ses actions récursoires contre un sous-traitant ou les autres constructeurs ».
Cette position, qui est désormais adoptée de manière constante par la Cour de cassation, a été vivement critiquée par la doctrine.
En effet, la mesure d'instruction qui est sollicitée sur le fondement des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile, l'est avant tout procès et pour établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ce qui par nature ne préjuge en rien des responsabilités encourues, alors de surcroît que la matérialité des désordres allégués n'est pas encore établie, pas plus que leur imputabilité.
Un arrêt isolé de la Cour d’appel de Rennes en date du 15 janvier 2021 (CA Rennes, 4ème chambre, 15 janvier 2021, n° 20-05170) a pu laisser entrevoir la tentation d’une résistance, en retenant que « Il en résulte qu'une partie n'a connaissance de ce que sa responsabilité est mise en cause dans le cadre d'un recours entre constructeurs et sous-traitants qu'à la date à laquelle elle est assignée en paiement ou en exécution forcée, que ce soit au fond ou à titre provisionnel. »
Autrement dit, le juge d’appel a considéré que, lors des opérations d’expertise, nombre d’entreprises assignées par le maître d’ouvrage sont encore dans une situation d’expectative et que la mise en évidence de leur responsabilité est encore très hypothétique à ce stade du procès, de sorte que cette situation n’était pas de nature à faire courir le délai de la prescription quinquennale.
Si la nature du délai de prescription ne fait donc pas débat, il en va différemment de son point de départ.
Pour sa part, le Conseil d’Etat vient de compliquer un peu plus les choses, en procédant à une interprétation encore différente du point de départ des actions récursoires entre constructeurs par un arrêt en date du 10 juin 2022 (CE, 10 juin 2022, Société Otéis, req., n° 450675).Pour rappel, la jurisprudence administrative s’était alignée sur la position de la Cour de cassation eu égard à la prescription des actions entre constructeurs, ce qui avait été rappelé notamment dans un arrêt en date du 12 avril 2022 (CE, 12 avril 2022, Société Arest, réq. n° 448946) : « Le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève de ces dispositions et se prescrit, en conséquence, par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »
Aux termes de l’arrêt du 10 juin 2022, le Conseil d’Etat a tout d’abord rappelé qu’ « aux termes de l'article 2224 du code civil résultant de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer », mais considère que cette « prescription court à compter de la manifestation du dommage, c’est-à-dire de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l’étendue du dommage, quand bien même le responsable de celui-ci ne serait à cette date pas encore déterminé » !
Le Conseil d’Etat censure ainsi l’erreur de droit commise par la cour administrative de Marseille qui avait écarté l’exception de prescription soulevée, en retenant comme point de départ, non la manifestation du dommage, mais l’identification de l’origine des désordres affectant l’installation de chauffage et de climatisation de l’ouvrage et celle des responsables de ces désordres par le rapport d’expertise déposé.
L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Marseille.
Si cette analyse venait à être confirmée par le Conseil d’Etat, elle engendrerait nécessairement des difficultés supplémentaires concernant la mise en œuvre des recours entre co-obligés, en soumettant un point de départ différent selon que l’on est en présence d’un marché privé, ou d’un marché public.
Il sera en effet rappelé que la compétence du juge administratif est limitée à l’examen des recours entre les participants à l’exécution d’un marché de travaux publics, alors que le juge judiciaire connaît des recours des constructeurs à l’encontre des autres constructeurs ou des sous-traitants avec lesquels ils sont unis par un contrat de droit privé.
Bref, le contentieux lié aux actions récursoires des coobligés entre eux a, de toute évidence, encore de longues années devant lui !
Cet article n'engage que ses auteurs.
Auteurs
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
Karen VIEIRA
Historique
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