Règles de preuve d’une servitude acquise par destination du père de famille
Publié le :
10/12/2012
10
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12
2012
Le présent arrêt de la Cour de cassation permet de faire un rappel sur les règles de preuve d'une servitude acquise par destination du père de famille.
L'arrêt de la Cour de cassation du 30 octobre 2012 (pourvoi 11-11.518, 3e Ch. Civile)L'arrêt en question a été rendu au visa de l'article 694 du Code civil :
« Si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ».
L'affaire portée devant la cour est relative à un différend entre les époux X et M. Y chacun propriétaires de fonds voisins traversés par un canal d'irrigation appartenant aux consorts Z.
Se plaignant de l'assèchement dudit canal, qu'auraient provoqué des travaux réalisés sur son fonds par M. Y, les époux X, invoquant une servitude de prise d'eau dont bénéficierait leur bien, ont assigné M. Y en exécution des travaux de remise en état.
Pour accueillir cette demande, la cour d'appel a retenu que les parties convenaient que leur auteur commun est M. Jacques A, que le morcellement des propriétés s'est fait en plusieurs temps et que les aménagements du canal, se manifestant par des ouvrages apparents, établissent sans équivoque l'existence d'une servitude discontinue et apparente de prise d'eau par destination du père de famille.
La Cour de cassation censure la décision d'appel.
En statuant ainsi, sans constater que l'acte par lequel s'était opérée la séparation des héritages ayant une origine commune était produit et qu'il ne contenait aucune stipulation contraire au maintien de la servitude revendiquée, la cour d'appel a violé l'article 694.
Les moyens de M. Y au soutien de son pourvoi
M. Y soutenait en particulier que, conformément à l'article 693 du Code civil, il n'y a destination de père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel découle la servitude ; que la cour d'appel, pour décider que les époux bénéficiaient d'un droit de prise d'eau fondé sur une servitude par destination du père de famille, a relevé que la servitude était ancienne, discontinue et apparente et que les parties avaient un auteur commun, Jacques A; qu'il résulte des conclusions des époux X que Jacques A n'a pas procédé à la division des fonds, celle-ci étant intervenue par la volonté de sa petite-fille, Marie A.
Il a par ailleurs soutenu que, conformément à l'art. 692 du Code civil, la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes continues et apparentes, les dispositions de l'art. 694 fondant l'exigence de production de l'acte de division notamment en cas de servitude discontinue aux fins de vérifier que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire.
La Cour de cassation a retenu les deux arguments.
D'où les règles et moyens de preuve d'une servitude par destination du père de famille.
La servitude établie par destination du père de famille trouve son origine dans un aménagement foncier, créé par le propriétaire d'un fonds, avant qu'il n'en aliène une partie.
La servitude repose donc sur un état de fait qui constituerait une servitude s'il unissait des fonds appartenant à des propriétaires différents. L'obstacle à l'existence de la servitude se trouve levé lors de la division du fonds en deux ou plus de deux fonds patrimonialement séparés, à moins que les propriétaires de ces fonds ne s'y opposent de façon formelle dans l'acte même de division (c'est la stipulation contraire qui n'a pas été recherchée dans l'arrêt relaté plus haut).
Il ressort de ce qui précède la nécessité de prouver à la fois une division, du chef d'un auteur commun, et l'absence de toute stipulation contraire à une telle destination accompagnant la division.
Cependant, lorsque la servitude apparente est en même temps continue, la jurisprudence applique l'art. 692 du Code civil et ce à la lettre. Elle admet en effet que celui qui se prévaut de la destination acquisitive est, dans cette hypothèse seulement, dispensé de produire l'acte de division et n'a donc pas à prouver l'absence d'opposition des propriétaires intéressés (Cass. req., 28 mars 1904 : DP 1905, 1, p. 162 ; S. 1904, 1, p. 317). La continuité de la servitude, ajoutée à l'apparence, permet de compenser la non-représentation de l'acte de division et les doutes qu'elle est susceptible de faire naître.
A contrario, lorsque la servitude apparente est discontinue, c'est à l'art. 694 du Code civil qu'il faut se référer. Et là aussi la jurisprudence applique le texte à la lettre : elle exige du revendiquant qu'il produise lui-même un acte de division et bien entendu un acte qui ne soit pas contraire à la servitude litigieuse.
Au préalable, les juges du fond s'assurent que la division est du fait d'une seule et même personne, le propriétaire, et de la nature du service créé par ce dernier ; s'agit-il s'un service foncier ou non ? Il s'agit d'un service foncier dès lors, au vu de l'état des lieux et des circonstances, que l'aménagement est permanent et qu'il assujettit une partie du fonds au profit d'une autre partie.
Ainsi une fenêtre sur cour se mue en servitude de vue lorsque la propriété du bâtiment se retrouve dans une main, et la propriété de la cour dans une autre, sous réserve que les intéressés ne s'y soient pas opposés. De même pour un écoulement des eaux pluviales d'un toit d'un bâtiment sur le toit d'un autre bâtiment voulu et aménagé par le père de famille (C.A. Besançon, 19 oct. 2005).
Bien entendu la charge de la preuve repose sur celui qui invoque la servitude. La Cour de cassation l'a rappelé en 2009 : Il appartient à celui qui invoque l'existence d'une servitude discontinue constituée par destination du père de famille de produire l'acte par lequel s'est opérée la séparation des deux héritages et d'établir qu'il ne contient aucune disposition contraire à l'existence de cette servitude (Cass. Civ. 3e, 16 sept. 2012, n° de pourvoi 08-16.238, publié).
Cet article a été rédigé par L’office Notarial de Baillargues
Cet article n'engage que son auteur.
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