Succession dans le temps des garanties RC facultatives d’un constructeur : version pratique
L'arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 12 octobre 2022 (n° 21-21.427) nous donne l’occasion de revenir de manière plus générale sur la succession dans le temps des garanties RC.L’article L.124-5 du code des assurances distingue les polices souscrites en base « fait réclamation » de celles qui sont souscrites en base « fait dommageable ».
Les polices souscrites en base « fait réclamation » supposent que la réclamation intervienne pendant la période de validité de la police, quand bien même le fait dommageable est intervenue bien antérieurement (sauf si l’assuré avait connaissance du sinistre lors de la souscription du second contrat) :
Les polices souscrites en base « fait dommageable » ne sont au contraire mobilisables que pour des faits survenus pendant la période de validité de la police, quand bien même la réclamation née après leur résiliation :
Aujourd’hui, la quasi-totalité des polices d’assurances sont souscrites en base « fait réclamation ».
La question se corse toutefois en cas de succession dans le temps des assurances de responsabilité civile.
C’est tout précisément le sujet traité.
I- La succession dans le temps des garanties en base fait dommageable :
C’est le seul cas qui ne pose pas réellement de difficulté.
Selon la date de survenance du fait dommageable, la police d’assurance 1 ou 2 sera mobilisée.
II- La succession dans le temps des garanties en base fait réclamation :
Dans ce cas, la situation se complique lorsque l’assuré a changé d’assureur et que deux polices en base fait réclamation se succèdent.
En pratique, il n’est alors pas toujours évident de savoir quel assureur doit prendre en charge le sinistre.
Le principe est le suivant : Lorsque l'assuré a eu connaissance du dommage postérieurement à la date de résiliation ou d'expiration de la garantie d'un premier contrat d’assurance, souscrit en « base réclamation », la souscription de la même garantie en « base réclamation » auprès d'un second assureur, met irrévocablement fin à la période de garantie subséquente attachée au contrat initial.
Autrement dit, la police d’assurance a la date de la réclamation est mobilisable, quand bien même le fait dommageable est survenu à un moment où une autre police RC était en vigueur :
L’arrêt de la troisième Chambre civile de la Cour de cassation en date du 12 octobre 2022 nous offre ici une parfaite illustration.
Un maître d’ouvrage a confié des travaux de réfection de la toiture d’un bâtiment à une entreprise, assurée en responsabilité civile professionnelle auprès d’un premier assureur, puis auprès d’un second assureur (Elite Insurance Company Limited, placée sous administration judicaire, puis déclarée insolvable par la Cour suprême de Gibraltar en décembre 2019).
Des infiltrations sont survenues à la suite de la réalisation des travaux.
Compte-tenu de la disparition du second assureur (la société Elite Insurance Company Limited), le maître de l’ouvrage a opportunément tenté d’obtenir la garantie du premier assureur et ce même si les désordres étaient survenus postérieurement à la date de résiliation de la police d’assurance.
La Cour d’appel d’Aix en Provence, aux termes d’un arrêt en date du 24 juin 2021 (n° 18/09383), a rappelé que la garantie souscrite en base fait réclamation ne couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, que si :
- Le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie ;
- Que la première réclamation est adressée à l’assuré ou à son assureur entre la date de prise d’effet initiale de la garantie et l’expiration d’un délai subséquent à sa date de résiliation ou d’expiration mentionnée par le contrat ;
- Et ce quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres, notamment par exemple la survenance du fait dommageable.
La Cour ajoute toutefois que la garantie ne couvre les sinistres dont le fait dommageable a été connu de l’assuré postérieurement à la date de résiliation ou d’expiration que si, au moment où l’assuré a eu connaissance de ce fait dommageable, une autre garantie n’a pas été souscrite.
Le maître de l’ouvrage forma un pourvoi en cassation, lequel a été rejeté, la Haute juridiction rappelant que si la nouvelle garantie a été souscrite dans les mêmes termes, l’ancien assureur n’est pas tenu, et ce peu importe si le nouvel assureur n’est pas solvable.
Il convient ici d’être vigilant au fait que la nouvelle garantie doit être souscrite dans les mêmes termes que la précédente, dans le cas où le fait dommageable est antérieur à la résiliation de la première police d’assurance.
En effet, dans le cas contraire, si le risque n’est pas resouscrit dans les mêmes conditions, le premier assureur peut être exposé au titre de sa garantie subséquente.
L’arrêt en date du 16 mars 2022 (n° 20-23.520), rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, en est l’illustration parfaite.
Dans cet arrêt, deux polices RC se succédaient dans le temps. Le premier assureur contestait devoir sa garantie au motif qu’au jour de la réclamation sa police d’assurance était résiliée.
Toutefois, en l’espèce, il apparaissait que le second assureur ne couvrait pas le dommage et que le risque en question n’avait donc pas été resouscrit.
La Haute juridiction censura l’arrêt de la Cour d’appel pour manque de base légale au regard de l’article L.124-5 du code des assurances, dès lors que le fait dommageable étant antérieur à la résiliation de la première police, il appartenait au juge, pour écarter l'application de la garantie subséquente, de rechercher si le nouveau contrat souscrit auprès du second assureur offrait les mêmes garanties et si celles-ci étaient en base réclamation.
En effet, si le second contrat ne garantit pas le risque, la garantie subséquente a vocation à s'appliquer.
III- La succession dans le temps des garanties en base fait réclamation et base fait dommageable :
Autre hypothèse, celle de la succession dans le temps d’une police base fait réclamation et d’une police base fait dommageable :
La police d’assurance 1 a vocation à prendre en charge les sinistres survenus avant et/ ou pendant sa période de garantie dans les cas où une réclamation est intervenue entre la prise d’effet du contrat et sa résiliation.
La police d’assurance 2 a vocation à prendre en charge les sinistres intervenus entre la prise d’effet du contrat et sa résiliation.
La problématique va survenir lorsqu’avant l’expiration de la police d’assurance 1 aucune réclamation n’a été faite, de telle sorte qu’il risque d’y avoir un trou de garantie, dans la mesure où en l’absence de réclamation la police d’assurance 1 n’est pas mobilisable et la police d’assurance 2 ne le sera pas non plus, en raison de faits dommageables intervenus avant sa prise d’effet.
Dans ce cas, il ne reste plus qu’à négocier avec l’assureur de la police d’assurance 2 une reprise du passé inconnu moyennant une supprime.
IV- La succession dans le temps des garanties en base fait dommageable et base fait réclamation :
Dernière hypothèse possible, celle d’une succession entre une police fait dommageable et une police fait réclamation :
Dans ce cas, un cumul d’assurance est parfaitement possible, dans la mesure où la police d’assurance 2 a vocation à prendre en charge également les faits dommageables survenus avant sa prise d’effet, soit pendant la prise d’effet de la police d’assurance 1.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Karen VIEIRA
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