Piscine mal conçue: responsabilité de l'expert judiciaire et de l'entreprise qui suit l'avis de l'expert
Publié le :
01/06/2015
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L'expert judiciaire, comme tout professionnel, peut se tromper, mais le temps est passé où il bénéficiait d'une sorte d'immunité par assimilation au juge qui l'avait nommé.Certes, l'expert n'assure normalement aucune maîtrise d'oeuvre, se contentant de donner au juge un avis sur des désordres, leur cause et les moyens d'y remédier, et il appartient aux parties et à leurs conseils techniques de fournir tous éléments à l'appui de leurs intérêts.
Cependant, son rôle ne se limite pas à choisir entre deux thèses techniques opposées car les parties, qui ne sont pas nécessairement assistées de conseils techniques, n'ont pas forcément des compétences suffisantes pour donner à l'expert tous éléments nécessaires.
Sans être maître d'oeuvre, l'expert a néanmoins une mission d'investigation de façon à donner au juge et aux parties une analyse sûre et un avis fiable.
C'est ce qu'avait oublié le malheureux expert dans l'affaire qui vient de donner lieu à un arrêt de la cour de cassation du 11 mars 2015 (N° de pourvoi: 13-28351 14-14275) , à moins qu'il n'ait suivi un peu trop aveuglément le point de vue de l'expert de l'assureur, forcément porté à minimiser le dommage.
Une piscine, implantée sur un terrain en pente ayant fait l'objet d'une opération de remblai/déblai, avait présenté des fissures quelques années après sa construction.
L'expert nommé préconisait certains travaux qui n'empêchaient pas pour autant la réapparition des désordres de telle sorte qu'il était redésigné.
De nouveaux travaux étaient préconisés et réalisés sous la surveillance de l'expert ayant mission à cette fin.
Cependant, les désordres allaient à nouveau se manifester et une troisième expertise avait lieu, confiée cette fois à un nouvel expert, le litige étant étendu au premier expert et à l'entreprise ayant réalisé les travaux de reprise.
Il devait apparaître que le premier expert avait eu le tort de ne pas solliciter une étude de sol, pourtant indispensable à la détermination de travaux de réparation adaptés et durables.
Qu'il soit d'ailleurs amiable ou judiciaire, l'expert a en effet le devoir de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires permettant de connaître exactement les causes des désordres et de déterminer les travaux de reprise et leur coût.
L'expert doit agir en technicien normalement prudent et diligent, et faute de le faire, il commet une faute et engage sa responsabilité, comme n'importe quel professionnel, cela sur un plan quasi délictuel, de telle sorte que toute personne en subissant un préjudice peut lui en demander réparation.
Et qu'en est-il de l'entreprise qui, à tort, a suivi l'avis de l'expert ?
Même si à l'égard d'une entreprise, l'expert bénéficie d'une certaine autorité par son titre d'expert, cela ne dispense pas pour autant l'entreprise de son devoir habituel de conseil à l'égard du maître d'ouvrage auquel elle est liée par un rapport contractuel, rapport de confiance contenant obligation de résultat.
En conséquence, l'entreprise doit garder un esprit critique et faire part de ses réserves éventuelles auprès du maître d'ouvrage.
La Cour de Cassation le rappelle dans ce même arrêt du 11 mars 2015;
Retenons ainsi qu'en toute circonstance, et même quand des travaux sont préconisés par un expert judiciaire, l'entreprise reste tenue à un devoir de conseil.
On précisera tout de même qu'en première instance, la responsabilité avait été partagée à raison de 80% pour l'expert, et 20% pour l'entreprise.
Enfin, une dernière question mérite réflexion en pareil cas : quel est le dommage directement imputable à l'expert comme à l'entreprise ?
C'est cette question du lien de causalité entre la faute de l'expert et le préjudice invoqué qui a parfois permis à celui-ci d'échapper à toute responsabilité dès lors qu'entre la faute de l'expert et le préjudice du maître d'ouvrage s'intercalait la décision du juge, mais cela n'est plus suffisant pour justifier une irresponsabilité générale..
Dans l'affaire de notre piscine mal conçue à l'origine, l'expert et l'entreprise ayant réalisé les travaux de reprise n'étaient certes pas responsables des fautes d'origine.
Mais ils sont responsables des travaux inutiles qui ont été mis en oeuvre, et également "de la persistance des dommages", pour reprendre l'expression de la cour de cassation, c'est à dire du trouble de jouissance subi par le maître d'ouvrage de la date des travaux de reprise inutiles à la date de l'intervention efficace.
En retenant l'existence d'une faute dès lors que des investigations complémentaires auraient du être entreprises pour déterminer des travaux, non pas superficiels, mais "durables et adaptés", la cour de cassation met en garde contre des réfections illusoires qui durent simplement le temps de la garantie décennale; mais en même temps, l'expert ne doit pas être obsédé par le principe de précaution et retenir des travaux qui ne soient pas strictement nécessaires - ils doivent être "adaptés".
En conclusion, s'il n'est pas tenu à une obligation de résultat, l'expert doit au moins mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour déterminer ces travaux et l'enveloppe financière qu'ils impliquent.
La Cour de Cassation rappelle ainsi très clairement dans cet arrêt les obligations incombant à chacun, fut-il expert, mais elle limite fort justement les conséquences dommageables des fautes à ce qui revêt un lien de causalité certain.
L'auteur de l'article:Bernard DUMONT, avocat à Fontainebleau.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Yvann K - Fotolia.com
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