Le devoir de conseil de l'architecte
Publié le :
28/08/2012
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Dans une décision particulièrement intéressante du 8 février 2011, le Tribunal de Grande Instance de RENNES s’est prononcé sur la délicate question de l’application du devoir de conseil de l’architecte au coût prévisionnel de la construction .
Précisions sur l’application du devoir de conseil de l’architecte au coût prévisionnel du projet de la constructionIl importe dans un premier temps de revenir sur les circonstances factuelles, objet de ladite décision.
Par contrat du 26 mars 2007, Monsieur et Madame X ont confié à la Société d’Architectes Y une mission de maîtrise d’œuvre complète comprenant à la fois la conception d’une maison mais également la direction et le suivi de l’exécution des travaux de construction.
Les honoraires de l’architecte ont été fixés dans le contrat à hauteur de 12 % du montant des travaux, soit 24.642,38 euros TTC, sans que le coût prévisionnel de la construction soit expressément mentionné dans le contrat.
Aucune clause de dépassement d’honoraires n’était, par ailleurs, stipulée.
Le permis de construire a été obtenu le 1er août 2007.
Le 16 juillet 2008, Monsieur et Madame X ont, par lettre recommandée avec accusé de réception, dénoncé le contrat d’architecte et demandé le remboursement des honoraires d’ores et déjà versés.
Pour justifier de cette demande, Monsieur et Madame X ont fait état du caractère irréalisable du projet conçu par la Société Y, au regard de leur budget.
L’architecte a accepté cette dénonciation du contrat le 31 juillet 2008 mais a néanmoins refusé de rembourser le montant des honoraires effectivement perçus.
Il alléguait, pour sa part, l’existence d’un budget fluctuant des maîtres d’ouvrages et les changements opérés par ces derniers dans le choix des matériaux à mettre en œuvre.
C’est dans ces conditions que Monsieur et Madame X ont saisi Le Tribunal de Grande Instance de RENNES afin qu’il déclare la Société Y responsable de la résolution du contrat en raison du manquement à ses obligations contractuelles et la condamne notamment à la restitution des honoraires versés mais également, à la prise en charge des frais exposés, outre le préjudice moral subi consécutif à la déception de ne pas voir le projet se réaliser.
- Sur la mention du coût du projet dans le contrat d’architecte
Les parties s’étaient donc bien entendues contractuellement sur le coût prévisionnel du projet.
Il était, en effet, possible par un simple calcul de retrouver le coût sur lequel les parties s’étaient entendues, soit : (24.632,38 euros *100/12) + 24.642,38 = environ 230.000 euros TTC.
Le Tribunal a, de plus, rappelé que dans le cadre des échanges écrits intervenus entre les parties, postérieurement à la signature du contrat d’architecte, les maîtres d’ouvrages avaient rappelé que le budget définitif du projet ne saurait dépasser 250.000 euros.
- Sur le non-respect du coût prévisionnel par l’architecte
Le projet initial était, en effet, d’un coût largement supérieur au coût prévisionnel envisagé.
L’architecte a établi un second projet en conséquence.
Non satisfaits de ce second projet, qui était trop éloigné du projet initial qui leur avait été soumis et sur lequel le permis de construire avait été sollicité, les maîtres d’ouvrages ont décidé de dénoncer le contrat d’architecte.
Le Tribunal a considéré que, dans la mesure où l’aspect extérieur du second projet était très différent de l’aspect extérieur du projet initial, le second projet n’avait plus l’élégance, ni la fantaisie du premier. Dans ces conditions, les maîtres d’ouvrages étaient donc en droit de refuser de mettre en œuvre un projet qui ne correspondait pas à leurs souhaits.
Le Tribunal a, par ailleurs considéré, que l’architecte ne démontrait pas que le budget des maîtres d’ouvrages avait été prévu comme « fluctuant ».
Il a précisé qu’il appartenait à l’architecte au fur et à mesure de l’évolution du projet de rappeler aux maîtres d’ouvrages les contraintes budgétaires sur lesquelles ils s’étaient accordés en les informant de l’incidence sur le coût de la maison, de leurs exigences en matière architecturale et en matière de qualité des matériaux.
Le Tribunal a ainsi estimé que l’architecte avait manqué à son devoir de conseil en ne faisant pas le point, dans un délai raisonnable, après la conclusion du contrat, sur le coût probable de la construction, ce qui aurait permis aux maîtres d’ouvrages de faire le choix plus tôt de poursuivre ou d’arrêter le projet.
La faute de l’architecte a donc été retenue, le Tribunal considérant que c’est en raison de cette dernière que les maîtres d’ouvrages avaient été contraints de mettre fin au contrat.
L’architecte a été condamné :
- à la restitution des honoraires perçus,
- à la prise en charge de l’étude de structure béton qu’il avait sollicitée et qui avait été réglée par les maîtres d’ouvrages,
- à la prise en charge d’une partie des intérêts du prêt relais que les maîtres d’ouvrage avaient souscrit dans l’attente de la réalisation de la construction,
- à la prise en charge d’un préjudice moral pour la déception occasionnée par l’échec du projet.
Cette décision s’inscrit avec cohérence dans le cadre de la jurisprudence dominante en la matière.
La Cour de cassation a pu préciser de longue date, que le coût total de construction doit respecter celui annoncé (Civ.3, 22 avril 1971, Bull.Civ.III, n°43).
Celui-ci doit bien évidemment être visé dans le cadre du contrat conclu avec le maître d’ouvrage.
La Cour d’Appel de PAU, a rappelé, qu’il entrait dans le devoir de conseil de l’architecte de se renseigner sur les possibilités financières de son client avant d’établir les plans et devis.
L’établissement d’un projet excédant notablement le coût prévu par les maîtres de l’ouvrage et le défaut de mention dans le contrat du montant estimatif des travaux constituent des manquements fautifs de l’architecte justifiant de la rupture du contrat par les maîtres de l’ouvrage et de la condamnation de l’architecte à la restitution des acomptes perçus (CA PAU, 21 novembre 1991, Juris-data n°1991-050266).
Les juridictions de fond se sont prononcées à de nombreuses reprises sur la question de la sous-estimation du coût de la construction par l’architecte et sur l’information donnée au maître d’ouvrage.
Elles ont ainsi rappelées que l’architecte ne devait pas éluder de son devoir de conseil, l’aspect financier de la réalisation de la construction ce, tout au long de l’accomplissement de sa mission.
Ainsi, la Cour d’Appel de VERSAILLES a condamné un architecte qui n’avait pas éclairé suffisamment son client sur les perspectives financières de la construction, et qui s’était trompé sur le coût de celle-ci dans le devis estimatif initial (CA VERSAILLES, 1ère Chambre, 30 mai 1989, RDI 1989, p469, CA RENNES, 10 février 2011, Juris-data 2011-026842).
La Cour d’Appel de METZ, a également condamné un architecte qui avait attendu la date du dépôt de permis de construire pour indiquer à ses clients que la construction ne pourrait pas être réalisée dans le cadre de l’enveloppe financière qui avait été établie initialement (CA METZ, 11 mai 2011, Juris-data n°2011-014091).
L’erreur, la sous-évaluation, dans l’estimation initiale donnée mais également l’absence de réactivité de l’architecte dans le conseil donné au cours de sa mission sont donc régulièrement sanctionnés par la jurisprudence, dans un souci de protection évident et nécessaire du maître de l’ouvrage.
TGI RENNES, 8 février 2011, Rg N°11/00071.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © julien tromeur - Fotolia.com
Auteurs
AVRIL Maud
Vincent LAHALLE
Avocat Associé
LEXCAP RENNES
RENNES (35)
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