
Circonvolutions autour de la perte de chance
Publié le :
14/04/2016
14
avril
avr.
04
2016
Les professionnels sont responsables des fautes qu’ils commettent, et ceux du droit n’y font pas exception. Cependant, celui qui engage la responsabilité d’un professionnel du droit doit démontrer non seulement la faute commise, mais également l’existence d’un préjudice (actuel, direct et certain) et le lien de causalité entre les deux.C’est ici que la jurisprudence s’attache en particulier à rechercher si la faute du professionnel, en particulier lorsqu’elle constitue un manquement à une obligation de moyen, a fait perdre une chance à son client de ne pas subir le préjudice qu’il allègue. L’exemple type est celui d’un avocat qui aurait omis de faire valoir tel argument devant le juge, ou de faire part à son client de telle option procédurale qui lui était ouverte.
La jurisprudence de la Cour de Cassation sur cette question est déjà fort ancienne.
Elle a rapidement précisé que la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à l’aune de la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée (Cass. civ. 1ère, 16 juillet 1998, Bull. civ. I, n°260, entre autres).
Elle enseigne également que le pouvoir d’appréciation des juges du fond est souverain et qu’il revient alors à la juridiction « d’apprécier la chance qu’avaient les demandeurs d’obtenir satisfaction, en reconstituant fictivement la discussion qui aurait pu s’instaurer entre les victimes et leur assureur, et de tenir compte du moment auquel les indemnités auraient pu être payées ; » (Cass. civ. 1ère, 4 avril 2001 : Pourvoi n°98-11364).
C’est ainsi que la « victime » devait rapporter la preuve qu’elle avait des chances d’obtenir gain de cause en appel (Cass. Civ. 1ère, 8 juillet 2003 : Pourvoi n°99-21504).
Certains arrêts avaient pu laisser penser il y a quelques temps à un durcissement de l’appréciation de la perte de chance par une appréciation trop abstraire. En particulier, un arrêt du 16 janvier 2013, soumis à large publication, avait décidé que la perte d’une chance, même faible était indemnisable (Cass. Civ. 1ère, 16 janvier 2013 : Pourvoi n°12-14439). Une interprétation large de cette décision aurait pu ouvrir la voie à tous les excès, puisque finalement l’aléa judiciaire laisse penser que, dans tous les cas de recours ou dans tous les moyens de droit, il existe virtuellement une chance de succès.
On note avec satisfaction plusieurs signes récents en faveur d’une conception finalement plus concrète. Par deux arrêts rendus respectivement le 30 avril 2014 et le 10 juillet 2014 la Cour de Cassation a confirmé que le caractère indemnisable du principe d'une perte de chance ne pouvait être acquis que dans l'hypothèse d'une chance « raisonnable » d'obtenir une décision différente (Cass. civ. 1ère, 30 avril 2014: Pourvoi 12-22567 et Cass. civ. 1ère, 10 juillet 2014: Pourvoi 13-20606). Cette position sur la perte de chance raisonnable a été encore une fois rappelée récemment, dans une espèce ou l’existence d’une chance minime a été reconnue, à l’exclusion d’une chance raisonnable (Cass. civ. 1ère, 25 novembre 2015 : Pourvoi n°14-25109).
L’appréciation du caractère raisonnable ou non de la perte de chance reste encore floue et la Cour de cassation laisse aux juges du fond une grande latitude. Mais elle les oriente clairement vers une conception réaliste et pratique du préjudice revendiqué. Il s’agit d’une évolution qui en outre trouve à s’appliquer dans un périmètre plus large que la seule activité judiciaire dans un certain nombre de cas de figure. On ne peut que la saluer.
Formations sur la responsabilité civile professionnelle:Me Benjamin ENGLISH anime des sessions de formation sur la responsabilité civile professionnelle de l’avocat : Prévenir le risque et gérer les sinistres.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © milamon0 - Fotolia.com
Auteur

ENGLISH Benjamin
Avocat Associé
Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration, SHANNON AVOCATS - La Baule, SHANNON AVOCATS - Saint-Brieuc, Arbitres
SAINT-BRIEUC (22)
Historique
-
Contrôle par un organisme du recouvrement : renforcement des droits du cotisant
Publié le : 25/08/2016 25 août août 08 2016Entreprises / Gestion de l'entreprise / Gestion des risques et sécuritéDe nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 11 juillet 2016 afin de renforcer le droit des personnes contrôlées par un organisme du recouvrement. Un...
-
Responsabilité des notaires - Devoir de conseil et d’information sur les risques économiques de la conclusion de l’acte de vente
Publié le : 30/06/2016 30 juin juin 06 2016Entreprises / Gestion de l'entreprise / Gestion des risques et sécuritéL’arrêt rendu le 14 avril dernier par la 1ère chambre de la Cour de cassation invite à s’interroger à nouveau sur les limites de l’obligation de conseil du n...
-
L’attitude du client et l’analyse contextuelle dans la responsabilité des professions du droit
Publié le : 06/06/2016 06 juin juin 06 2016Entreprises / Gestion de l'entreprise / Gestion des risques et sécuritéLes professionnels du droit, qu’ils soient notaire, huissier ou avocat, répondent naturellement des fautes qu’ils peuvent commettre dans leur activité.A l’he...
-
Facebook change ses règles sur la publicité ciblée
Publié le : 27/05/2016 27 mai mai 05 2016Entreprises / Gestion de l'entreprise / Gestion des risques et sécuritéFacebook propose désormais à ses membres de refuser les publicités ciblées mais annonce l'extension de ses services de publicité ciblée à tous les internaute...
-
Renforcement du contrôle de l'application du droit du travail
Publié le : 02/05/2016 02 mai mai 05 2016Entreprises / Gestion de l'entreprise / Gestion des risques et sécuritéUne ordonnance publiée au Journal officiel du 8 avril 2016 vient renforcer le rôle de l'inspection du travail sur l'application du droit du travail.L'ordonna...
-
Circonvolutions autour de la perte de chance
Publié le : 14/04/2016 14 avril avr. 04 2016Entreprises / Gestion de l'entreprise / Gestion des risques et sécuritéLes professionnels sont responsables des fautes qu’ils commettent, et ceux du droit n’y font pas exception. Cependant, celui qui engage la responsabilité d’u...
-
L’employeur engage sa responsabilité pénale en cas de visite médicale d’embauche non effectuée
Publié le : 06/04/2016 06 avril avr. 04 2016Entreprises / Gestion de l'entreprise / Gestion des risques et sécuritéLe salarié bénéficie d'un examen médical avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai par le médecin du travail (Article R. 4624...