Diffamation : est-il possible de diffamer avec un simple lien hypertexte ?
Publié le :
03/11/2020
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2020
Oui, il est possible de diffamer avec un simple lien hypertexte !
Une élue locale a publié, sur son compte Facebook, un lien hypertexte introduit de la manière suivante : « Où un groupuscule **antifa** qui fait régner sa loi à Metz se justifie de couvrir son chef accusé de viol... en accusant le groupuscule antifa qui le dénonce de couvrir... deux violeurs dans leurs rangs. On en rirait, si le fond n’était pas aussi grave ».
Le lien hypertexte renvoyait les lecteurs à deux textes, l’un rédigé par le groupe Alternative Libertaire qui accusait l’un de ses membres, A …, de viol et informait de l’exclusion de celui-ci, et l’autre, rédigé par le syndicat CNT, qui dénonçait le positionnement d’Alternative Libertaire vis-à-vis de A…
A… porte plainte et se constitue partie civile à raison du texte publié par Alternative Libertaire mais en ce qu’il a été reproduit sur divers sites dont celui de l’élue locale.
La question à laquelle la Chambre Criminelle s’est trouvée confrontée est celle de savoir si la publication d’un lien hypertexte constitue une nouvelle publication susceptible de faire courir de nouveaux délais de prescription ; dans le cas inverse, la plainte avec constitution de partie civile (27 mai 2017) devait être déclarée tardive car postérieure au 20 mai 2017.
La chambre criminelle commence par rappeler qu’en matière de presse écrite, toute nouvelle publication constitue bien une nouvelle infraction à l’égard de laquelle court un nouveau de délai de prescription ; l’arrêt précise que la solution est la même s’agissant des rediffusions radiophoniques ou télévisuelles.
Dans un second temps du raisonnement, la Cour de Cassation rappelle qu’une nouvelle mise à disposition d’un contenu sur un site internet, fait également courir un nouveau délai de prescription à l’encontre de ladite publication.
Les juges déduisent de ces raisonnements que le recours à un lien hypertexte, qui renvoie directement à un écrit mis en ligne par un tiers, constitue une reproduction du texte, susceptible de faire courir un nouveau délai de prescription.
La solution n’est, en réalité, pas nouvelle et avait déjà été affirmée par le passé :
- « Mais attendu qu'en statuant ainsi [constatant la prescription de l’action publique], alors que le texte incriminé avait été rendu à nouveau accessible par son auteur au moyen d'un lien hypertexte, y renvoyant directement, inséré dans un contexte éditorial nouveau, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ; » (crim. 2 novembre 2016, n°15-87163).
La solution dégagée le 1er septembre 2020 présente surtout le mérite de la clarté, s’agissant de la notion de nouvelle publication, et d’une responsabilisation accrue des usagers d’internet.
S’agissant du premier point, il aurait paru extrêmement sévère pour les victimes de délits de presse de considérer que la publication d’un lien hypertexte ne constitue pas une nouvelle publication susceptible d’ouvrir un nouveau délai de prescription.
En effet, loin d’être un réseau d’informations unifié, il n’aura échappé à personne qu’internet est, en réalité, constitué d’une multitude de réseaux plus ou moins poreux : les utilisations d’internet diffèrent grandement d’un individu à l’autre, l’accès à l’information est en nécessairement impacté.
C’est ainsi que, lorsque certains privilégient l’information via un ou plusieurs blogs sur lesquels ils ont leur habitude, d’autres préféreront tel ou tel réseau social. D’autres encore, ne se réfèreront qu’aux versions dématérialisées de la presse « classique ».
Certes, il est habituel de considérer que l’information circule plus rapidement sur internet qu’en presse papier ; néanmoins, l’information d’un blog plus ou moins confidentiel pourra mettre un certain temps, parfois plus de trois mois, avant d’être reprise, via publication du lien hypertexte, sur un média dit « mainstream ».
Faudrait-il pour autant considérer que la personne visée ne sera plus en mesure de faire reconnaître la diffamation dont elle s’estime victime, au seul motif de ce qu’elle aurait pris connaissance du texte initial que trop tardivement via la publication d’un lien hypertexte, alors que le lien en question peut amener plus de publicité que la publication initiale ?
Sur la base de cette seule considération, la position de la Cour de Cassation apparait tout à fait logique.
S’agissant du second point, il est important de relever que la Cour de Cassation prend soin de préciser que les conditions dans lesquelles la reproduction du texte litigieux intervient doivent être analysées pour déterminer si une diffamation est caractérisée.
Ainsi, la simple circonstance qu’un lien hypertexte soit reproduit n’entraîne pas nécessairement la mise en jeu de la responsabilité de la personne à l’origine de la publication dudit lien et ce quand même bien le texte initial serait diffamatoire ; la Cour indique ainsi que « les juges doivent examiner en particulier si l’auteur du lien a approuvé le contenu litigieux, l’a seulement repris ou s’est contenté de créer un lien, sans reprendre ni approuver ledit contenu, s’il savait ou était raisonnablement censé savoir que le contenu litigieux était diffamatoire et s’il a agi de bonne foi ».
En l’espèce, la Cour de Cassation reproche à la juridiction d’appel de ne pas avoir examiné « les éléments extrinsèques au contenu incriminé », c’est à dire le commentaire par lequel l’élue locale mise en cause a introduit la reproduction du lien hypertexte.
On peut s’interroger sur le point de savoir si la position de la Cour d’Appel n’aurait pas été confirmée si le lien hypertexte n’avait pas été introduit par un commentaire dont il nous semble déceler qu’il traduit d’abord la perplexité de cette élue face aux pratiques des « groupuscules antifa » plus qu’il ne remet en cause la présomption d’innocence dont bénéficie A …
Plus encore, le commentaire qui viendrait valider la condamnation du membre exclu caractériserait une diffamation imputable à la personne à l’origine de la publication du lien hypertexte.
Il est donc important, rappelle la Cour de Cassation, de prendre conscience, non seulement que la publication d’un lien hypertexte constitue bien une reproduction du texte auquel il correspond et ouvre ainsi un nouveau délai de prescription, mais plus encore constitue une nouvelle publication susceptible d’engager la responsabilité de la personne à l’origine de la mise en ligne de ce lien, et ce indépendamment de toute mise en cause de la responsabilité de l’auteur du texte initial.
Ch. crim. 1er septembre 2020, n°19-84.505
Cet article n'engage que ses auteurs.
Auteurs
Clément Launay
Avocat directeur
CORNET, VINCENT, SEGUREL NANTES
NANTES (44)
NAUX Christian
Avocat Associé
CORNET, VINCENT, SEGUREL NANTES
NANTES (44)
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