La liberté d’expression: de l’information au sensationnel
Publié le :
12/06/2012
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Rarement un fait divers aura autant suscité l’indignation du public par son côté macabre ; lundi 4 juin 2012, Lukka Rocco Magnotta a été arrêté à Berlin après le lancement d’un mandat d’arrêt international.
La mise en ligne de la vidéo du "dépeceur de Montréal"Toutefois, si un terme a été mis à la fuite du « dépeceur de Montréal », la vidéo de ses crimes, elle, est toujours en ligne.
Dans la course à l’information, les « nouvelles » techniques de communication jouent un rôle clef. Or, si ces dernières permettent une plus grande information du plus grand nombre, il n’en va pas de même du point de vue de la qualité de l’information et du respect de certains principes propre à l’être humain.
En effet, le propre terme « information » semble aujourd’hui être désuet face aux événements actuels ; il ne s’agit plus de porter une nouvelle à la connaissance des lecteurs/spectateurs/internautes mais simplement de séduire le public par des images toujours plus choquantes.
Face à la consécration de l’apparence au détriment de l’analyse et de la réflexion, certains n’hésitent plus à s’affranchir de l’éthique en tant que limite, laquelle apparait de plus en plus floue.
L’existence sur la toile d’une vidéo, au demeurant des plus inhumaine qui soit, dans laquelle le « dépeceur » enfonce un pic à glace dans l’abdomen de sa victime, attachée, avant de la découper en morceaux et de s’adonner à des actes sexuels ou cannibales, répond à cette nouvelle ère d’ « information » sensationnelle et démontre la difficulté du contrôle des images.
Ainsi, en dépit de leur illégalité, le buzz généré par ces images ne désenfle pas et entraine désormais une grande difficulté pour les autorités qui ne semblent pas en mesure de supprimer l’accès à la vidéo de manière définitive.
Pourtant, la liberté d’expression ainsi que la liberté de la presse légitiment-elle qu’une telle vidéo puisse être consultée librement sur internet ?
S’il est vrai que ces libertés ont été proclamées (1), ces dernières ne sont pas pour autant absolues.
Nombreux sont ceux qui estiment que ces libertés fondamentales ne devraient pas pouvoir être inquiétées par quelque type de censure que se soit, arguant par là même que ce genre d’images « relève de la vie » (2) et que tout individu a le droit de pouvoir y accéder sans contrainte.
Ne s’agit-il pas là d’une affirmation totalement contraire à l’esprit de la loi de 1881 et, par extension à l’éthique à laquelle la véritable information devrait se soumettre ?
De fait, la loi interdit, entre autres, tout acte de diffamation. Ainsi, de manière plus générale, les prohibitions mises en place par la loi de 1881 concernent les atteintes à l’honneur ou à l’intégrité morale de l’être humain.
Or, bien que le visionnage des images en question n’entraîne pas la commission d’un acte répréhensible par la personne attisée dans sa curiosité, il n’en demeure pas moins que la simple présence d’une telle vidéo sur internet constitue une atteinte à l’honneur et à l’intégrité morale de la victime mais également à la dignité de sa famille.
A l’heure où se pose la question de « jusqu’où peut-on aller ? », il semble primordial de revenir à une conception de la liberté ayant pour référence ultime la dignité humaine.
Le sensationnalisme/voyeurisme d’aujourd’hui ne doit pas prendre la place de l’objectif principal de l’information, à savoir comprendre et, le cas échéant, prendre conscience de la nécessité d’éviter toute survenance d’événements similaires à l’avenir.
La déontologie dont fait preuve la profession de journaliste ne suffit pas ; la loi de 1881 dispose en effet expressément que « toute forme de publication » peut être visée pour donner lieu à une sanction.
Dès lors, tout individu, professionnel ou non, doit se référer à l’éthique qui peut être attendue de lui et, par la suite, agir en conformité avec celle-ci au moment de la publication d’une information/image/vidéo.
De fait, si les dispositions de la loi de 1881 ne sont pas applicables per se aux destinataires originaux de l’information, et plus particulièrement aux internautes, force est de constater que la notion d’autocensure devrait ici prendre toute son ampleur.
L’individu est ainsi, pour une part, responsable de la diffusion de ces images et des effets de celle-ci : curiosité suscitée, fascination pour certains et passage à l’acte pour d’autres.
La personne à l’origine de la publication, ainsi que l’hébergeur web a fortiori, ne sont-elles pas, en un sens, complices de l’auteur du crime perpétré dans cette vidéo ?
Le bruit engendré autour de cette dernière et la mise à disposition, à la vue de tous, d’une telle cruauté ne constitue-elle pas une participation de ceux-ci dans l’atteinte à la dignité humaine ?
Plus que jamais, la lourde procédure consistant à contacter l’hébergeur d’un site internet pour le sommer de retirer les images considérées comme choquantes ou portant atteinte à la dignité montre ses failles.
Dans cette lutte contre la prolifération d’images inhumaines, la nécessité d’encadrement appelle à une responsabilisation plus importante des individus qui publient/consultent ce genre de médias, seule véritable solution pour limiter « l’information morbide ».
La difficulté relative au contrôle de l’information et la nécessité de préserver l’être humain, et notamment la sensibilité des plus jeunes, nous oblige à devoir, nous-mêmes, envisager les conséquences désastreuses que peut avoir la mise en ligne, si simple, de tout document.
Après tout, comme le disait M. Antonin ARTHAUD (3), « sans un élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre n’est pas possible »
Index:
(1) Déclaration des Droits de l’Homme (1789) et Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
(2) http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/justice-et-faits-divers/201205/31/01-4530457-affaire-magnotta-un-site-web-gore-refuse-denlever-la-video-du-meurtre.php
(3) Le théâtre et son double, 1938
DEPONDT Jérôme
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Andrzej Puchta - Fotolia.com
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