La rupture conventionnelle, un contrat librement conclu par le salarié
Publié le :
02/11/2020
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La rupture conventionnelle est avant tout un contrat, et en tant que tel, soumise aux dispositions du Code civil :
- « Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi » (article 1102) ;
- « Sont nécessaires à la validité d’un contrat : le consentement des parties […] » (article 1128) ;
- L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes » (article 1130) ;
- « Il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable » (article 1140).
L’article L1237-11 du Code du travail en déduit que « l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. La rupture conventionnelle […] ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties ».
Bref, le consentement des parties doit être libre.
On l’aura compris, la loi s’attache surtout à ce que le salarié signe la convention de rupture en ayant conscience et connaissance des conséquences de son départ de l’entreprise.
Cet objectif se traduit d’abord par la procédure obligatoire à mettre en œuvre :
- Le salarié et l’employeur se rencontrent et discutent des conditions du départ lors d’un ou de plusieurs entretiens (C. Trav., L1237-12). Le salarié peut se faire assister ; en revanche, l’employeur ne le peut que si le salarié est lui-même assisté ;
- La convention, qui prévoit obligatoirement le montant de l’indemnité (a minima égale à l’indemnité de licenciement) et la date de rupture, est signée (C. Trav., L1237-13) ;
- Un exemplaire est remis au salarié ;
- Les deux parties peuvent librement se rétracter pendant un délai de 15 jours calendaires à compter de la signature de la convention (C. Trav., L1237-13) ;
- La DIRECCTE dispose d’un délai de 15 jours ouvrables pour l’homologuer (C. Trav., L1237-14).
L’analyse du consentement libre et éclairé du salarié tient ensuite au contexte de la rupture.
La circulaire DGT n°2009-04 du 17 mars 2009, après avoir de nouveau rappelé que la procédure spécifique de la rupture conventionnelle était « destinée à garantir la liberté du consentement des parties », interdisait la conclusion d’une rupture conventionnelle dès lors que le licenciement était strictement encadré par une réglementation spécifique, ce qui est par exemple le cas du congé maternité et de l’arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle.La jurisprudence a de son côté adopté une position plus libérale.
Elle a ainsi jugé qu’une rupture conventionnelle pouvait être conclue dans les contextes suivants :
- En cas d’arrêt maladie de longue durée (Cass. Soc. 30 septembre 2013, n°12-19.711) ;
- Lorsque le salarié est en arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle (Cass. Soc. 30 septembre 2014, n°13-16.297), y compris si le salarié fait l’objet d’un avis d’aptitude avec réserves (Cass. Soc. 28 mai 2014, n°12-28.082) ;
- Lors d’un congé parental d’éducation (CA Nîmes, 12 juin 2012, n°11/00120) ;
- Pendant la période de suspension du contrat pour congé maternité (Cass. Soc. 25 mars 2015, n°14-10.149) ;
- Dans un contexte conflictuel dans lequel le salarié s’était vu infligé deux avertissements et de nombreux reproches (Cass. Soc. 15 janvier 2014, n°12-23.942) ;
- Lors d’une période de difficultés économiques (Cass. Soc. 18 décembre 2013, n°12-23.134), même si l’employeur avait caché au salarié un projet de réorganisation et un plan de licenciement collectif pour motif économique (Cass. Soc. 6 octobre 2017, n°16-21.202).
La position de la Cour de cassation apparaissait même surprenante en 2019 lorsqu’elle validait la rupture conventionnelle d’un salarié déclaré inapte par la médecine du travail suite à un accident travail (Cass. Soc. 9 mai 2019, n°17-28.767) : le montant minimal de l’indemnité de rupture conventionnelle était nécessairement moins élevé que l’indemnité de licenciement doublée (en raison de l’accident du travail).
La Haute juridiction fixe néanmoins toujours deux limites, issues du droit civil, à la liberté de conclure une rupture conventionnelle : la fraude et le vice du consentement.
Dans un arrêt récent, rendu le 8 juillet dernier, elle a ainsi reconnu la nullité de la rupture conventionnelle en mettant en avant la violence subie par le salarié. La Cour de cassation admet que l’existence d’un différend au moment de la rupture n’affecte pas en soi la validité de la convention de rupture, en revanche l’employeur ne peut pas faire pression sur le salarié pour qu’il la signe.
Dans cette affaire, le salarié avait reçu deux avertissements, était régulièrement dévalorisé et avait vu ses conditions de travail se dégrader, ce qui avait eu des conséquences sur son état de santé. Son consentement était donc vicié, la rupture conventionnelle devait être annulée (Cass. Soc. 8 juillet 2020, n°19-15.441).
En janvier, elle avait déjà validé l’annulation de la rupture conventionnelle d’un salarié souffrant de harcèlement moral et de troubles psychologiques en découlant, retenant le vice de violence (Cass. Soc. 29 janvier 2020, n°18-24.296).
Si l’existence d’un contexte particulier ou difficile n’empêche donc pas la conclusion d’une rupture conventionnelle, l’employeur doit, a minima, respecter la procédure, présentée par le Code du travail comme garante du consentement des parties.
Les juges peuvent ainsi annuler la rupture conventionnelle lorsque :
- La signature de la convention intervient le jour même de l’entretien unique, sans que le salarié, présentant un état de santé fragile, ne dispose de temps de réflexion (CA Lyon, 7 novembre 2013, n°12/04126) ;
- L’entretien se déroule sans véritable échange (Cass. Soc. 12 février 2014, n°12-29.208) ;
- L’employeur ne remet pas au salarié un exemplaire original de la convention de rupture signée par les deux parties (Cass. Soc. 3 juillet 2019, n°17-14.232 et n°17-27.453), la Cour de cassation ayant très récemment jugé que c’était à l’employeur de prouver la remise d’un exemplaire au salarié (Cass. Soc. 23 septembre 2020, n°18-25.770).
A l’inverse, la Cour d’appel de Grenoble a admis la validité d’une rupture conventionnelle signée par un salarié ayant subi des faits de harcèlement moral, notamment parce qu’il avait bénéficié de trois entretiens pour échanger sur la rupture. Au terme de cet arrêt, les juges rappellent, par ailleurs, que la preuve du vice du consentement incombe au salarié et que le harcèlement doit constituer une contrainte morale suffisamment forte pour vicier son consentement (CA Grenoble, 8 janvier 2015, n°13/02031). Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation avait jugé cette décision suffisamment motivée (Cass. Soc. 1er décembre 2016, n°15-14.099).
En conclusion :
Le respect de la procédure, la transparence et la multiplication des échanges demeurent les ingrédients essentiels que l’employeur doit garder à l’esprit lorsqu’il envisage de conclure une rupture conventionnelle avec un salarié, et ce, d’autant plus dans un contexte conflictuel.A défaut, la rupture conventionnelle peut ne pas être homologuée par la DIRECCTE, ou homologuée mais annulée postérieurement par le juge, avec les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Anne-Sophie LE FUR
Avocate Associée
CORNET, VINCENT, SEGUREL NANTES
NANTES (44)
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