De la distinction entre la demande et le moyen
Publié le :
06/04/2023
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Sempiternelle summa divisio ! L’un étant au service de l’autre, le contenu et le contenant, cette distinction est fondamentale sur bien des applications du droit de la procédure civile.Le moyen, c’est l’outil par lequel un plaideur tente de faire triompher sa demande ou de faire échouer celle de son adversaire. Par exemple, la demande en nullité peut avoir pour moyens un vice du consentement ou un défaut propre à une disposition spéciale selon la matière concernée (comme le droit de la consommation). Les deux vont de pair, mais n’ont pas la même nature.
Succinctement, l’une et l’autre se distinguent sur le fond comme sur la forme.
La demande a un objet vaste, signe de son autonomie, la sentence judiciaire pouvant entraîner des effets autres que ceux explicitement réclamés. Par exemple, qui demande la nullité entraîne la restitution rétroactive, etc…
Ensuite, sur la forme, seule la demande doit figurer au dispositif, non le moyen.
Bref, la demande, c’est la destination, le moyen, l’itinéraire pour y parvenir.
Et au-delà de cette présentation classique la maîtrise de ces deux notions n’est si simple, en témoigne l’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation du 2 février dernier / n°21-18.382, venant sanctionner une décision de cour d’appel, et selon lequel :
« 6. Pour confirmer le jugement, l’arrêt, après avoir rappelé les termes des articles 910-4 et 564 du code de procédure civile, retient que l’engagement disproportionné ouvre à la caution un moyen de défense au fond lui permettant de faire rejeter, selon l’article 71, la demande de son adversaire. Il ajoute que l’article 564 autorisant les nouvelles prétentions dès lors qu’elles ont pour objet de faire écarter les prétentions adverses, la demande tirée de la disposition n’est pas irrecevable comme nouvelle en cause d’appel. Il relève que, dans ses conclusions du 10 mai 2019, M. [J] n’a pas sollicité la déchéance de la banque dans sa motivation, la demande de débouté de la banque ne renvoyant à aucune prétention dûment explicitée et justifiée par des pièces comme l’exige l’article 564. Il retient qu’est irrecevable ce moyen de défense soulevé pour la première fois par conclusion du 26 septembre 2019 et dans son dispositif, déclare irrecevable la demande de l’appelant fondée sur l’article L. 332-1 du code de la consommation.
7. En statuant ainsi, alors que l’appelant avait, conformément à l’article 954 précité, mentionné ses prétentions tendant au débouté de la banque, dans le dispositif de ses premières conclusions remises dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile, et que l’article 910-4 ne fait pas obstacle à la présentation d’un moyen nouveau dans des conclusions postérieures, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 7 avril 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; »
Ainsi donc, on reprochait à une partie de ne pas avoir réclamé la déchéance de la banque dans ses toutes premières conclusions, au sens de l’article 910-4 du Code de procédure civile :
« A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures. »Et la cour d’appel a donc déclaré cette demande irrecevable, et pourtant, la Cour de Cassation vient la contredire.
La juridiction de second degré aurait donc confondu demande et de moyen, l’article précité ne se rapportant qu’à la première.
En effet, la déchéance de la banque ne constituait pas une prétention, mais un moyen de défense, dans l’optique de son débouté.
Que l’on comprenne bien : si les demandes doivent être déterminées d’entrée de jeu en appel, les moyens au service de ces dernières, eux, peuvent être développés jusqu’à la clôture de l’instruction.
Ce qui n’est pas sans constituer un piège. L’idée sous-jacente aux dispositions des décrets Magendie était bien de limiter les échanges d’écritures en appel.
Une lecture stricte permet pourtant de contourner quelque peu cette logique : tant que le moyen sert la demande, il peut passer au-delà du délai initial des primes conclusions.
Logique futée dans ce cas que de prévoir une demande d’emblée très large, comme le « débouté ».
Ce qui d’ailleurs est de bonne guerre, car lorsque l’on évoque demandes et moyens, sur ce dernier plane le spectre de « Césaréo ».
Depuis cette célèbre décision du 7 juillet 2006, il n’est pas possible de réintroduire une action sur le fondement d’un moyen qui aurait pu être évoqué au soutien d’une demande déjà tranchée en justice.
Ainsi donc, l’instance d’appel reste encore une phase où il est possible de voir les termes du débat initial évoluer. La dernière phase.
Il importe par conséquent de bien retenir les règles de l’évolution des prétentions, entre le lien suffisant des demandes additionnelles de l’article 70 du Code de procédure civile de la première instance, l’article 564 sur les demandes évolutives en appel, et enfin ce principe de concentration des moyens.
Ce qui amène à un autre enseignement de taille. Les conclusions en cause dans cette affaire ont été rédigées avec habileté, faisant bien la distinction entre contenant et contenu, car si le dispositif avait fait valoir un moyen de droit, non une demande, le moyen soulevé ultérieurement n’aurait par définition pas pu s’y rattacher.
C’est dire que dans ces trois temps de l’évolution du litige, l’incidence rédactionnelle demeure essentielle.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Etienne MOUNIELOU
Avocat Collaborateur
MOUNIELOU
SAINT GAUDENS (31)
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