La recevabilité d’une preuve déloyale
Publié le :
27/02/2024
27
février
févr.
02
2024
Conformément à l’article 1358 du code civil, « Hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen. ». L’article 9 du code de procédure civile prévoit qu’il « incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. ».Aussi, la jurisprudence distingue en droit civil la preuve illicite (illégale ou irrégulière) de la preuve déloyale (obtenue par l’utilisation d’un stratagème ou de façon clandestine).
Une preuve est dite illicite lorsqu’elle a été obtenue en violation de moyens légaux.
Toutefois, la jurisprudence admet depuis plusieurs années la recevabilité d’une preuve illicite, notamment en matière prud’homale, lorsqu’elle est indispensable à l’exercice du droit la preuve, proportionnée au but recherché, et qu’il n’est pas possible d’atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens de preuve.
En revanche, une preuve déloyale était jusqu’il y a peu irrecevable.
La Cour de cassation a toutefois opéré un revirement de jurisprudence dans un arrêt du 22 décembre 2023 (Cass. Ass plén. 22 décembre 2023 20-20.648)
En l’espèce, un employeur avait enregistré un salarié à son insu lors d’un entretien informel. L’employeur avait ensuite licencié ce salarié pour faute grave en se fondant sur les propos tenus lors de l’entretien. L’employeur n’avait à sa disposition aucune autre preuve de la faute du salarié. Ces propos avaient été obtenus de manière déloyale.
Le Conseil de prud’hommes de Montargis, tout comme la Cour d’appel d’Orléans, avaient considéré que les enregistrements avaient été obtenus de façon clandestine et étaient donc irrecevables.
La faute n’étant pas prouvée par l’employeur en l’absence de ces enregistrements, le licenciement devrait être déclaré sans cause réelle et sérieuse.
Le mode d’obtention et le contenu d’un élément de preuve ne sauraient en effet porter atteinte à la vie privée du salarié.
La Cour de cassation, saisie par un pourvoi de l’employeur, a cassé la décision de la Cour d’appel en estimant que désormais, dans un procès civil, le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence.
Par ce revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a souhaité s’aligner sur la position de la Cour européenne des droits de l’homme en estimant que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
En revanche, lorsque les propos tenus lors d’un entretien enregistré à l’insu d’un salarié ne sont pas indispensables dans l’exercice de la preuve, alors cet enregistrement doit être écarté.
C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 17 janvier 2024 pour écarter les propos tenus par un salarié avec des membres du CHSCT concernant un prétendu harcèlement moral de l’employeur.
Le salarié ayant d’autres éléments de preuve que cet enregistrement, celui n’étant pas indispensable devait être écarté des débats.
Aussi, il faut retenir qu’il n’est pas nécessaire de multiplier cette pratique des enregistrements clandestins qui seront écartés des débats s’ils sont excessifs au regard de l’objectif probatoire ou s’il existait d’autres éléments permettant de démontrer ses prétentions.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
VUCHER-BONDET Aurélie
Avocate Associée
CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS
PARIS (75)
Historique
-
Les procédures judiciaires sous la Révolution
Publié le : 04/03/2024 04 mars mars 03 2024Particuliers / Civil / Pénal / Procédure civileDans les trois prochains podcasts d'Etienne MOUNIELOU il sera question du droit sous la révolution française. Quid des procédures judiciaires durant la révol...
-
La recevabilité d’une preuve déloyale
Publié le : 27/02/2024 27 février févr. 02 2024Particuliers / Civil / Pénal / Procédure civileConformément à l’article 1358 du code civil, « Hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen. ». L’article 9 du...
-
Podcast sur L'expertise judiciaire
Publié le : 26/02/2024 26 février févr. 02 2024Particuliers / Civil / Pénal / Procédure civileSeizième podcast de la chaîne, et cette fois-ci, un entretien privilégié avec M. Guillaume Vlamynck, expert près la cour d'appel de Nancy. Un échange pass...
-
Une Cour d'Appel face à la coutume locale : Pau
Publié le : 19/02/2024 19 février févr. 02 2024Particuliers / Civil / Pénal / Procédure civileAlors, ça a l'air barbant dit comme ça ! Mais figurez-vous une cour d'appel, nouvelle juridiction au XIXe siècle, au fin fond du pays, qui doit faire trio...
-
Peut-on rejuger une affaire définitivement jugée ? Principe de concentration des moyens
Publié le : 12/02/2024 12 février févr. 02 2024Particuliers / Civil / Pénal / Procédure civileDans la vidéo suivante Etienne MOUNIELOU, avocat à Saint-Gaudens, revient sur le principe de concentration des moyens : Regarder la vidéo d'Etienne MO...
-
Point sur le décret de simplification de la procédure d'appel
Publié le : 09/02/2024 09 février févr. 02 2024Particuliers / Civil / Pénal / Procédure civileUn nouveau décret 2023-1391 du 29 décembre 23 a paru au Jo le 31 décembre 23 : applicable à toutes les procédures d’appel engagées à partir du 1er septembr...
-
Analyse rapide du décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d'appel en matière civile
Publié le : 06/02/2024 06 février févr. 02 2024Particuliers / Civil / Pénal / Procédure civileLa Chancellerie a publié en fin d’année 2023 son décret ayant vocation à « simplifier » la procédure d’appel en matière civile. Quid de l’apport de ce décr...