Droit pénal

Accusation de harcèlement et diffamation : limites salutaires à l’autorisation de dénoncer ?

Publié le : 21/04/2020 21 avril avr. 04 2020

La chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu il y a peu (26 nov. 19 – 19-80360) un arrêt intéressant en matière de dénonciation, par un salarié, de faits pénaux de harcèlement moral et agression sexuelle dont celui-ci estimait être victime sur son lieu de travail.

L’allégation de tels faits, avant qu’un jugement définitif n’en ait reconnu l’existence, peut en effet tomber, suivant les circonstances, dans le champ des incriminations pénales de dénonciation calomnieuse, d’une part (article 226-10 du Code pénal), ou de diffamation publique d’autre part (article 29 loi 29 juillet 1881).

Aux moyens de défense classiquement inhérents à chacune de ces incriminations s’ajoute, dans un tel cas de figure, l’ordre ou permission de la loi instituée par l’article 122-4 du Code pénal, qui peut constituer ainsi un cas d’irresponsabilité pénale pour le prévenu, et en l’espèce tiré de diverses dispositions du Code du travail, notamment l’article L. 4131-1, alinéa 1er, qui impose à celui-ci d’alerter « immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans le système de protection ».

Cette solution bien établie avait déjà été reconnue par la jurisprudence, notamment par la 1ère chambre civile (28 sept. 2016, n°15-21823), et quelle que soit, d’ailleurs, la connaissance par le dénonciateur du caractère inexact de l’accusation au moment où il formule ou relaie celle-ci.

L’arrêt rendu vient cependant limiter la portée de cette autorisation de la loi.

En l’espèce, la salariée d’une association avait adressé à diverses personnes, par email, une lettre dénonçant des faits de harcèlement moral et sexuel et d’agression sexuelle dont elle prétendait être victime et qu’elle imputait au vice-président de l’association qui l’employait. Cette correspondance avait été envoyée au directeur général de l’association, au directeur spirituel de celle-ci, à l’inspection du travail mais aussi à d’autres personnes, et notamment le fils de celui qu’elle accusait, qui la faisait alors citer pour répondre du délit de diffamation publique.

Après condamnation en première instance comme en appel, la chambre criminelle, pour rejeter le pourvoi, considérait que la permission qu’elle tenait de la loi de dénoncer de tels faits consistait à « réserver la relation de tels agissements à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail et non, comme en l’espèce, l’avoir aussi adressée à des personnes ne disposant pas de l’une de ces qualités ».

Demeurait la question de la vérité des faits alléguées, possible dans le cadre du contentieux de la diffamation, ou de la bonne foi de la dénonciatrice, moyens de défense (trop ?) rapidement écartés par la Cour, relevant, pour le premier que « s’il existe des éléments permettant d’établir la réalité des faits de harcèlement moral, voire sexuel dans la perception qu’a pu en avoir Mme X., rien ne permet de prouver l’existence de l’agression sexuelle, que celle-ci date de l’année 2015 et pour laquelle elle n’a pas déposé plainte, ne peut produire ni certificat médical ou attestation de personnes qui auraient pu avoir connaissance, si ce n’est des faits, au moins de son désarroi » et pour le second que « Mme X. ne pouvait bénéficier de l’excuse de bonne foi, les propos litigieux ne disposant pas d’une base factuelle suffisante ».

La solution dégagée par cet arrêt provoque quelques interrogations…

La présomption d’innocence est un large principe juridique aux nombreuses implications et relevant, non seulement de la protection la plus indispensable de la dignité de chaque individu dans un état de droit, mais également et surtout des règles de preuve de la matière pénale.

L’auteur de ces lignes ne peut que manifester sa plus totale hostilité à toutes les formes de mise en cause publique autres que canalisées par les règles de procédure qui encadrent de telles révélations : plainte auprès des autorités spécialement en charge de les recevoir, absence de publicité afin de préserver l’effectivité et l’authenticité de l’enquête, débat contradictoire des éléments ainsi recueillis etc…

Dans ces conditions, il ne peut qu’être salutaire de s’en tenir, comme très classiquement en matière pénale, à une interprétation stricte des exceptions aux règles d’incrimination (en ce sens, v. J. LASSERRE-CAPDEVILLE, AJ pénal mars 2020, p. 130) : l’obligation de dénoncer résultant de la loi, et ici du Code de travail, ne vaut que lorsque cette dénonciation est réalisée auprès de ceux qui ont pour fonction de veiller à l’application des règles du droit du travail, et ainsi, tel que l’arrêt l’indique, à la hiérarchie professionnelle, ou à l’inspection du travail, représentants du personnel, direction des ressources humaines etc… et pas à des tiers, et encore moins sur les réseaux sociaux, situation à laquelle chacun songe en prenant connaissance de cette affaire…

Néanmoins, la disposition qui fonde cette permission de la loi ne distingue pas, elle, selon les destinataires (et en ce sens, C. LEBORGNE-INGELAERE, JCP Social n°48, 3 déc. 2019, act. 436), et ne procède ainsi à aucune limitation des personnes auprès desquelles porter la dénonciation…

Cette limitation de l’autorisation de dénoncer ne résulte ainsi que de la jurisprudence des chambres civiles et criminelle de la Cour de cassation, et l’on n’est pas certain de percevoir son fondement légal, plutôt que d’opportunité, fût-il bienvenu, sauf à parer le principe d’interprétation stricte de la loi pénale d’atours bien cachés.

La suite de la solution et l’analyse combinée de la vérité des faits et de l’excuse de bonne foi, par ailleurs, surprennent quelque peu : si la prévenue échoue à établir la vérité des faits d’agression sexuelle, la Cour indique que les faits de harcèlement moral sont pour leur part établis et utilise une formulation particulièrement byzantine (digne d’un réseau social…) pour les faits de harcèlement sexuel.

Si une partie des faits est établie, ce qui donne bien sûr du crédit aux allégations de l’accusatrice concernant ceux qui demeurent en discussion, et alors que ces faits peuvent être extrêmement voisins dans leurs éléments constitutifs, et ainsi dans leur appréhension ou description par une personne non juriste, on peine à comprendre ce qui a empêché la requérante de bénéficier de l’excuse de bonne foi, sauf circonstances de dossier ou de personnalité ne figurant pas dans les motifs de l’arrêt…

Ici, néanmoins, le choix de poursuivre sur l’incrimination de diffamation publique, plutôt que de dénonciation calomnieuse, infraction à laquelle aurait radicalement fait échec la permission de la loi et qui n’aurait pas été pertinente pour la révélation des faits à des tiers dénués de tout pouvoir d’enquête ou de sanction, s’est avéré, on doit le reconnaître, particulièrement stratégique.

Pour aller plus loin, enfin, on pourra relier cet arrêt à celui rendu le lendemain, 27 novembre 2019 (18-10551), mais cette fois par la chambre sociale de la Cour de cassation, précisant l’obligation de prévention, particulièrement étendue, de l’employeur auprès duquel sont dénoncés de tels faits : toute infraction de harcèlement moral portée à la connaissance de l’employeur impose à celui-ci, quel que soit le degré de véracité ou de précision des faits, de diligenter une enquête interne, et sans marge d’appréciation, au titre de son obligation de sécurité.


Cet article n'engage que son auteur.
 

Auteur

Pascal ZECCHINI
Avocat Associé
CLAMENCE AVOCATS
TOULON (83)
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