Responsabilité médicale en cas d'infection nosocomiale et succession de chirurgiens

Responsabilité médicale en cas d'infection nosocomiale et succession de chirurgiens

Publié le : 07/09/2010 07 septembre sept. 09 2010

Rien n'interdit à une clinique mise en cause de rechercher la responsabilité d'un chirurgien étant préalablement intervenu dans un autre établissement en cas d'infection nosocomiale.Infection nosocomiale et plusieurs interventions
Les infections nosocomiales sont une source de jurisprudences intarissable à notre époque.

La décision de la première chambre de la Cour de cassation du 1er juillet 2010 ci-dessous reproduite en est un nouvel exemple.

En avril 1989 une patiente se fracture la cheville et doit subir une intervention orthopédique.
Les suites se compliquent et une deuxième intervention est réalisée par le 1er chirurgien quelques semaines plus tard.
Son état n'étant toujours pas consolidé , elle doit subir une troisième opération en septembre 1989 pour laquelle elle s'adresse à un autre chirurgien, intervenant dans une autre clinique .

Tout aurait pu s'arrêter là si un staphylocoque doré n'avait pas été mis en évidence à l'occasion d'un prélèvement, signant ainsi une infection nosocomiale. Ce n'est que six ans plus tard, en 1995, qu'il a pu être mis fin aux nombreux traitements qu'a nécessités l'éradication de ce germe.

La patiente saisit alors la justice d’une demande en responsabilité contre le 1er chirurgien qui avait réparé sa fracture. Estimant ne pas être responsable de l'infection qui « n'était ni présente ni en incubation » aux dires des experts après ses deux premières interventions, ce dernier a mis en cause la clinique dans laquelle avait eu lieu la troisième opération.

La cour d'appel, faisait droit à l’argumentation du premier chirurgien et le mettait hors de cause, et condamnait la clinique où l'infection nosocomiale a été contractée lors de la troisième opération.

La Cour de cassation a censuré la Cour d’Appel.
Elle a jugé que : « lorsque la faute d'un médecin dans la prise en charge d'une personne a rendu nécessaire une intervention au cours de laquelle celle-ci a contracté une infection nosocomiale dont elle a demandé réparation à la clinique où a eu lieu l'intervention, au titre de son obligation de résultat, cette dernière, obligée à indemniser la victime pour le tout, est fondée à invoquer la faute médicale initiale pour qu'il soit statué sur la répartition de la charge de la dette ».

Rien n'interdit donc à une clinique mise en cause de rechercher la responsabilité d'un chirurgien étant préalablement intervenu dans un autre établissement en cas d'infection nosocomiale.

La Cour a aussi pris en compte que :« le caractère nosocomial de l'infection étant établi, la circonstance qu'une faute, commise antérieurement, ait rendu nécessaire l'intervention au cours de laquelle celle-ci a été contractée, si elle est susceptible, le cas échéant, de faire retenir la responsabilité de son auteur à l'égard de la victime, ne saurait, dès lors qu'il n'est pas allégué qu'elle aurait rendu l'infection inévitable, constituer une cause étrangère, seule de nature à exonérer l'établissement des conséquences de la violation de son obligation de résultat ».

Ce n'est pas parce qu'une intervention est inévitable à la suite d'une erreur commise dans un autre établissement, que la clinique qui prend en charge un patient peut s'exonérer de son obligation de sécurité de résultat en matière d'infection nosocomiale en arguant d'une « cause étrangère », seul motif lui permettant de ne pas être condamnée.


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Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du 1 juillet 2010
N° de pourvoi: 09-69151

Publié au bulletin

Cassation partielle

M. Bargue (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Baraduc et Duhamel, SCP Richard, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)



REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :


Attendu que Francine d’X..., s’étant fracturé la cheville lors d’une chute, a été opérée par M. Y... chirurgien, à la Clinique Médicis, le 6 avril 1989, puis le 5 juillet ; que son état n’étant pas satisfaisant, elle a subi le 22 septembre une nouvelle intervention, réalisée à la Clinique Jouvenet par le Professeur Z... ; qu’un prélèvement ayant mis en évidence la présence de staphylocoques sus-aureus, elle a fait l’objet de nombreux traitements et interventions jusqu’en 1995 ; qu’elle a demandé réparation de son préjudice à M. Y..., lequel a appelé en intervention forcée la société Clinique Jouvenet (la clinique) et son assureur, Le Sou médical ; que Francine d’X... étant décédée le 2 août 2005, sa fille et unique héritière, Mme Sophie d’X..., ayant repris l’instance, la cour d’appel a condamné la clinique et son assureur à indemniser l’ensemble des préjudices consécutifs à l’infection nosocomiale contractée par Francine d’X... ;


Sur le premier moyen, pris en sa première branche :


Attendu que la Clinique et Le Sou médical font grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré celle-ci seule et entière responsable des conséquences de l’infection nosocomiale contractée par Francine d’X... alors que si le contrat d’hospitalisation et de soins conclu entre un patient et un établissement de santé met à la charge de ce dernier, en matière d’infection nosocomiale, une obligation de sécurité de résultat dont il ne peut se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère, cette cause peut résulter de ce que l’intervention au cours de laquelle l’infection a été contractée a été rendue indispensable par la faute commise à l’occasion d’une précédente intervention, cette faute constituant alors l’unique cause du dommage ; qu’en décidant néanmoins que la société Clinique Jouvenet ne pouvait utilement se prévaloir, pour s’exonérer de sa responsabilité en matière d’infection nosocomiale, du caractère défectueux et inadapté de la technique chirurgicale mise en oeuvre par M. Y..., qui avait imposé l’intervention au cours de laquelle l’infection avait été contractée, et en refusant par conséquent de se prononcer sur la faute reprochée à M. Y..., bien que cette faute ait été susceptible, si elle était établie, de caractériser une cause étrangère, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil ;


Mais attendu que, le caractère nosocomial de l’infection étant établi, la circonstance qu’une faute, commise antérieurement, ait rendu nécessaire l’intervention au cours de laquelle celle-ci a été contractée, si elle est susceptible, le cas échéant, de faire retenir la responsabilité de son auteur à l’égard de la victime, ne saurait, dès lors qu’il n’est pas allégué qu’elle aurait rendu l’infection inévitable, constituer une cause étrangère, seule de nature à exonérer l’établissement des conséquences de la violation de son obligation de résultat ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur la seconde branche du premier moyen :

Vu l’article 1147 du code civil ;

Attendu que, lorsque la faute d’un médecin dans la prise en charge d’une personne a rendu nécessaire une intervention au cours de laquelle celle-ci a contracté une infection nosocomiale dont elle a demandé réparation à la clinique où a eu lieu l’intervention, au titre de son obligation de résultat, cette dernière, obligée à indemniser la victime pour le tout, est fondée à invoquer la faute médicale initiale pour qu’il soit statué sur la répartition de la charge de la dette ;

Attendu que pour déclarer la Clinique seule et entière responsable des conséquences de l’infection nosocomiale contractée par Francine d’X... et mettre hors de cause M. Y..., la cour d’appel retient que l’établissement est mal fondé, pour obtenir d’être déchargé de tout ou partie de sa responsabilité, à se prévaloir de ce que le caractère défectueux et inadapté de la technique chirurgicale pratiquée par celui-ci serait la cause de l’infection comme ayant imposé la troisième intervention pratiquée par M. Z... ; qu’en effet, dès lors que cette infection est survenue au cours ou au décours de la prise en charge de Mme Francine d’X... par M. Z... et qu’il est établi qu’elle n’était ni présente ni en incubation au début de sa prise en charge, les circonstances ayant nécessité l’intervention de ce praticien doivent être considérées comme indifférentes dès lors que le fait de devoir être opéré, quelle qu’en soit la cause, ne saurait en aucun cas entraîner comme conséquence directe et inévitable celui de contracter une infection nosocomiale ;


Qu’en écartant ainsi l’incidence qu’une faute de M. Y..., à la supposer établie, pourrait avoir sur le montant de la réparation à la charge finale de la Clinique, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le second moyen :

Vu l’article 1147 du code civil ;

Attendu que pour condamner les demandeurs à payer à Mme Sophie d’X..., prise en sa qualité d’héritière de Francine d’X..., la somme de 461 289, 06 euros en réparation de son préjudice, déduction faite des prestations versées par les tiers payeurs, la cour d’appel se borne, après avoir évalué le déficit permanent subi par cette dernière à 30 %, à fixer l’indemnisation de ce poste de préjudice à la somme de 46 800 euros sans préciser la période qu’elle a retenue à cette fin ;


Qu’en statuant ainsi, sans mettre la Cour de cassation en mesure de s’assurer que Mme Sophie d’A...n’obtenait pas l’indemnisation des préjudices personnels qui auraient été subis par sa mère pour la période postérieure à son décès, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;


PAR CES MOTIFS :


CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a condamné la Clinique Jouvenet et son assureur, la société Le Sou médical à payer à Mme Sophie d’X..., prise en sa qualité d’héritière de Francine d’X..., la somme de 461 289, 06 euros en réparation de son préjudice déduction faite des prestations versées par les tiers payeurs et en ce qu’il a rejeté la demande formée par la Clinique Jouvenet et son assureur, la société Le Sou médical contre M. Y..., l’arrêt rendu le 11 juin 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée ;


Fait masse des dépens et les laisse par moitié à la charge de Mme Sophie d’X... et de M. Y... ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt.


Sophie DEBAISIEUX-LATOUR Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © James Steidl - Fotolia.com

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