Devoir conseil expert-comptable

Expert-comptable : délimitation stricte de son devoir de conseil à l'étendue de sa mission

Publié le : 25/03/2024 25 mars mars 03 2024

La Cour de cassation par un arrêt du 14.02 2024 n°22-13.899 FB vient de préciser que : « Lorsqu’un expert-comptable est chargé de la tenue de la comptabilité d’une société et de fournir une aide pour établir les comptes annuels et les documents sociaux et fiscaux de fin d’exercice, son devoir de conseil n’implique pas d’alerter les dirigeants sur les impayés des clients. »

1. Les manquements reprochés

La responsabilité de l’expert-comptable était recherchée par les dirigeants d’une entreprise ayant fait l’objet d’un redressement fiscal. A la suite d’une expertise, l’expert judiciaire avait révélé des anomalies comptables concernant les postes clients, qui l’ont conduit à réviser à la baisse l’actif net de la somme de 100 000 €. La société a alors recherché la responsabilité de son expert-comptable lui faisant grief d’avoir manqué à son devoir de conseil en ne l’alertant pas sur les impayés des clients. 

La société reprochait également à son expert-comptable d’avoir commis des erreurs dans la tenue de la comptabilité, en omettant notamment de passer en pertes des créances irrecouvrables et d’inscrire en compte les conséquences financières du redressement fiscal.  

2. Le périmètre du devoir de conseil de l’expert-comptable dépend de la lettre de mission 

Aux termes de l’article 155 du code de déontologie des professionnels de l’expertise-comptable (décret n°2012-432 du 30 mars 2012), dans la mise en œuvre de chacune de leurs missions, les experts-comptables sont tenus vis-à-vis de leur client ou adhérent à un devoir d’information et de conseil, qu’ils remplissent dans le respect des textes en vigueur.

L’étendue des obligations de l’expert-comptable s’apprécie selon la nature de sa mission. 

La tenue de la comptabilité consiste en l’enregistrement de toutes les pièces comptables d’une entreprise suivant les normes du plan comptable général, alors que la mission de révision des comptes consiste à procéder à l’examen des comptes d’une entreprise à la fin de son exercice. La révision vise à contrôler la situation financière de celle-ci et à apurer le solde des comptes en vue de faciliter l’établissement du bilan comptable.

Pour illustrer la corrélation entre la lettre de mission et l’étendue des obligations de l’expert, dès lors que la mission comptable et sociale intègre la réalisation des fiches de paye, les déclarations sociales (DSN) et les charges sociales, la jurisprudence interprète de manière assez extensive l’étendue des obligations de l’expert-comptable envers son client en rappelant qu’il est le garant des obligations conventionnelles de l’employeur et du respect des textes en vigueur. Cass.com. 17.03.2009 n°07-20.667 (n°261 FS-P+B) CA Versailles 1ER Chambre, Section 1, 8.02.2019. n°17/05526. CA Versailles 13° Chambre, 25.05.2021 n°19/07532.

En l’espèce, eu égard à la nature de la mission consistant en la tenue de la comptabilité sociale et en l’assistance à la présentation des comptes annuels, la Cour de cassation a écarté la responsabilité de l’expert- comptable en jugeant que le devoir de mise en garde de l’expert-comptable n’inclut pas d’alerter les dirigeants sur la situation des impayés clients et la nécessité de relances.

3. Le lien de causalité entre la faute commise et le dommage 

Conformément au régime de la responsabilité contractuelle, il est nécessaire pour retenir la responsabilité de l’expert-comptable que la faute commise ait un lien de causalité avec le dommage subi par le client.

Dans l’arrêt du 14 février 2024, la Cour a jugé que le lien de causalité entre les fautes reprochées et le préjudice n’était pas établi par la demanderesse au motif que le non recouvrement des créances n’était pas lié aux erreurs dans la tenue de la comptabilité, notamment en ne passant pas en perte les créances irrecouvrables, mais à l’ouverture de procédures collectives à l’égard des débiteurs, ou à l’inexistence même de ces créances.

De même le traitement erroné des conséquences du redressement fiscal n’était pas la cause des sommes réclamées par l’administration fiscale. D’ailleurs, la société n’invoquait aucune faute de l’expert-comptable ayant pu contribuer au redressement fiscal. Enfin, pour assurer le suivi des créances clients, la société ne se référait pas à la comptabilité, mais à un document interne établi par un salarié de l’entreprise. Dès lors, l’enregistrement d’une facture dans un compte client erroné n’avait aucun lien de causalité avec le montant des créances clients impayé.
 

4. La recherche préalable d’une conciliation devant l’Ordre des experts-comptables

Avant de rechercher, la responsabilité de l’expert-comptable devant la juridiction compétente, il convient pour le demandeur de rechercher au préalable une conciliation au différend qui l’oppose à son expert-comptable.

En effet, de manière systématique, la lettre de mission signée entre l’expert-comptable et son client stipule qu’avant de saisir la juridiction compétente pour connaître du litige, la commission de déontologie de l’Ordre des experts comptables territorialement compétent doit être saisie d’une demande de conciliation. L’ouverture d’une conciliation et son échec constaté par le procès-verbal du conciliateur sont les conditions préalables à l’assignation de l’expert-comptable devant la juridiction compétente à peine de fin de non-recevoir.(CA DOUAI 3° chambre 21.09.2023 n°21/05909).


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Corinne PILLET
Avocate Associée
IFL-AVOCATS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
PARIS (75)
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