Délit provocation haine

Les périgourdins sont-ils de gauche ? Le délit de provocation publique à la haine ou à la violence en raison de l’origine, de l’ethnie, la nation, la race ou la religion

Publié le : 08/08/2023 08 août août 08 2023

« On me dit que des Juifs se sont glissés dans la salle ? » P. DESPROGES

La chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu le 20 juin 2023 un arrêt de cassation partielle relatif à une partie des publications d’un internaute sur son compte twitter, entre février et juillet 2021, poursuivies du chef de provocation à la haine ou à la violence en raison de l’origine, l’ethnie, la race ou la religion, et libellées comme suit : « Vivement la remigration ! » ; « Et oui, le Périgord est désormais peuplé d’Afghans, de Pakistanais et de Bangladais pour ce qui est des peuples d’Asie mineure. Sans compter la faune du Proche-Orient, d’Afrique noir [la faute est celle du texte], du Maghreb et d’Europe de l’Est. Les périgourdins votent à gauche. »

Contre toute attente, on notera également que l’auteur de ces propos n’était pas un ancien candidat à l’élection présidentielle, mais un militaire reconverti en greffier d’une juridiction judiciaire, ce qui ne manquera pas de nous rassurer.
Il n’en demeure pas moins que la Cour, tout en confirmant la condamnation d’appel relative à d’autres de ces publications, a cassé l’analyse des juges du fond quant aux éléments constituant, pour ces deux messages, le chef de provocation publique à la haine ou à la violence en raison de l’origine, de l’ethnie, la nation, la race ou la religion, motif pris de leur absence de caractère clairement « incitatif » : « en se déterminant ainsi, alors que ces deux propos, pour empreints qu’ils puissent être de sentiments racistes, ne contenaient ni en eux-mêmes ni analysés au regard des éléments extrinsèques relevés par les juges, même de façon implicite, d’appel ou d’exhortation à la discrimination, la haine ou la violence, la Cour n’a pas justifié sa décision. »

La Haute-cour rappelle en effet qu’aux termes du texte d’incrimination (article 24 alinéa 7 de la loi de 1881), « le délit de provocation qu’il réprime n’est caractérisé que si les juges constatent que, tant par leur sens que par leur portée, les propos incriminés tendent à inciter le public à la discrimination, la haine ou la violence envers une personne ou un groupe de personnes déterminées ».

Le raisonnement est tout à fait conforme à plusieurs décisions de principe déjà rendues, tandis que l’examen détaillé de diverses espèces, outre une certaine résistance des juges du fond, ne peut en revanche que conduire à considérer la frontière entre critique négative et incitation à la haine comme quelque peu poreuse…

I – La provocation n’est pas caractérisée en l’absence d’appel ou d’exhortation à la discrimination, la haine ou la violence

Le caractère provocateur et sa perception constituent un premier élément d’analyse : l’exhortation claire et sans équivoque ne saurait être caractérisée « lorsque le lecteur peut interpréter dans des sens différents les intentions du rédacteur de l’article » (CA PARIS, 14 janv. 1987, n°5573/86).

De même le caractère raciste, xénophobe, homophobe ou sexiste des propos ne permet pas à lui seul de caractériser une provocation : dans ces conditions, la journaliste qui impute à la communauté maghrébine une délinquance d’habitude ou la commission systématique de fait moralement répréhensibles ne commet pas le délit de provocation à la haine ou la discrimination, faute d’incitation à faire en vue d’un résultat (CA PARIS, 26 sept. 1996, n°1547/95), et il en est de même d’une personne qui, lors d’une altercation, déclare à une autre que « s’il l’avait connu il y a 60 ans à VICHY, il l’aurait cramée » (crim. 29 janv. 2008, n°07-83695).

L’incrimination de provocation indirecte doit encore être interprétée strictement : un message offensant, ou provoquant l’indignation d’un groupe de personne, ne constitue pas nécessairement une incitation à la haine, violence ou discrimination.

Par exemple, le fait de représenter un ministre sous les traits d’un singe, caractérisant potentiellement une injure raciale mais pas le délit de provocation (crim. 9 janv. 2018, n°17-80491), le fait d’indiquer que l’homosexualité serait une abomination (crim. 9 janv. 2018, n°16-87540), ou la qualification de « cruelle et perverse » de l’iconographie religieuse chrétienne (crim. 14 nov. 2017, n°16-84945).

II – Cas dans lesquels l’incitation est relevée

C’est ainsi par une appréciation particulièrement fine que la Cour de cassation va néanmoins incriminer un certain nombre de propos. Si plusieurs d’entre eux, au-delà même d’apparaître choquants, relèvent à l’évidence d’une incitation, l’interprétation semble plus subjective dans d’autres cas.

Ainsi, les propos relevant « qu’il y a trop de Noirs ou trop de Juifs », laissent clairement entendre qu’il faudrait qu’il y en ait moins, et relèvent ainsi d’une provocation à la discrimination (crim. 15 oct. 2019, n°18-85365 – c’est une motivation de type « CQFD »…).

De même, la mise en cause des communautés juives et franc-maçonnes par l’imputation d’une responsabilité dans la discrimination opérée à l’encontre des vendeurs d’un journal de sans-abris et d’exclusion du marché de l’emploi des non-juifs ou des non franc-maçons constitue un propos dépassant la simple analyse et vise à susciter chez le lecteur une attitude d’indignation et de rejet, voire de haine (CA PARIS 27 mai 1998, n°9141/97).

Enfin, et toujours parmi de multiples exemples, le fait de rendre « la population maghrébine responsable de la délinquance, de lui reprocher de vivre aux dépens de la France et de proposer ainsi de freiner l’invasion » (CA MONTPELLIER, 12 mars 1997, n°97/00146), la présentation d’une communauté religieuse comme « une horde inassimilable dont les filles sont arrogantes » (crim. 7 sept. 1999, n°98-85177), ou de rédiger un article imputant à « une population extra-européenne » la responsabilité de la fermeture de commerces et prétendant qu’elle vit aux dépens des français « de souche » (crim. 14 mai 2002, n°01-85482).

En revanche, et considérant alors que la subjectivité comporte quelques limites, la Cour de cassation a estimé que des propos tenus, non étayés et de manière péremptoire, dans une émission de télévision, consistant à dire que la communauté rom était particulièrement criminogène, dangereuse et inassimilable, relevaient d’une question d’intérêt public relative aux difficultés d’intégration de ladite communauté et ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d’expression… (crim. 7 juin 2011, n°10-85179), ou pour un candidat à une campagne électorale d’imputer à la communauté africaine et maghrébine résidant sur le territoire français d’être un facteur d’insécurité (CA RENNES, 3 avril 2003, n°02/01626)…

Ainsi, contrairement à quelques idées reçues, on peut encore dire beaucoup de choses dans ce bon pays de France, y compris un certain nombre de bêtises : l’auteur de ces lignes, soucieux de fact-checking, ne pouvait pas manquer, en effet, de vérifier les résultats électoraux du département de la Dordogne pour les scrutins présidentiels de 2017 et 2022 ; en 2017, les candidats à la gauche du futur vainqueur ont cumulé 31,5% des suffrages au premier tour (ceux à sa droite 47,5 %), tandis qu’en 2022, toujours au premier tour, les périgourdins, dont chacun sait qu’ils sont constants, ont fait preuve d’une remarquable stabilité en leur accordant 31% de leurs suffrages (et même chose de l’autre côté).

On ignore si l’imputation selon laquelle « les périgourdins votent à gauche » était ou non pénalement poursuivie, mais manifestement ce pauvre greffier avait tout faux !

 
Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Pascal ZECCHINI
Avocat Associé
CLAMENCE AVOCATS
TOULON (83)
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