Bail commercial : quelle exigibilité des loyers pendant la période de fermeture des commerces non essentiels ? Zigzag jurisprudentiel et jugement de Salomon
Publié le :
28/06/2021
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La pandémie Covid-19 a entraîné non seulement des difficultés de règlement de loyers des baux commerciaux pendant les périodes de fermeture liées aux différents confinements, mais également, plus généralement, des difficultés économiques pour les fonds de commerce d’activité non essentielle touchés par cette pandémie.
Un arrêt de la Cour d’Appel de VERSAILLES du 6 mai 2021 (Cour d’Appel de Versailles, 14ème chambre, 6 mai 2021, n° 20/04284) est caractéristique de l’indécision des magistrats.
Un locataire restaurateur a été condamné le 18 août 2020 par une ordonnance du juge des référés du Tribunal Judiciaire de VERSAILLES à payer les loyers impayés, y compris pendant la période du premier confinement de mars à mai 2020, mais a également été expulsé en voyant son bail résilié et en n’obtenant pas la mansuétude du juge qui souvent suspend les effets de la clause résolutoire pour accorder des délais de règlement au locataire.
En l’espèce, des délais de paiement ont été accordés, mais la clause résolutoire a joué, de sorte que de manière exécutoire le locataire devait être expulsé.
Le restaurateur a interjeté appel de l’ordonnance en ce qu’elle a constaté l’acquisition de la clause résolutoire et ordonné son expulsion.
Le locataire a soulevé le bénéfice de la loi du 14 novembre 2020 et son décret d’application du 30 décembre 2020 qui institue un régime de protection particulier des locataires prohibant toute action pour retard ou non-paiement des loyers et charges pendant les périodes de confinement et ce, jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date où l’activité n’est plus soumise à une mesure de police administrative.
Ces textes permettent d’obtenir une condamnation, mais pas la résiliation du bail et l’expulsion.
Cette résiliation de bail et l’expulsion ne peuvent intervenir que pour des loyers impayés étrangers à ces périodes de protection, ce qui est le cas en l’espèce.
Le locataire a également soulevé devant la Cour d’Appel la force majeure au sens de l’article L 1218 du Code Civil, la perte partielle de la chose louée sur le fondement de l’article 1722 du Code Civil, ainsi que l’exception d’inexécution, trois moyens juridiques qui sont en général développés par les locataires en situation d’impayés.
La Cour d’Appel de VERSAILLES statuant en appel d’une ordonnance de référé, et donc statuant dans le cadre d’une compétence limitée et encadrée par l’article 835 du Code de Procédure Civile, qui, rappelons-le, permet aux juges de statuer dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, a, dans ce contexte, estimé que l’épidémie de Covid-19 était de nature à constituer un cas de force majeure au sens de l’article 1218 en raison de son caractère imprévisible et irrésistible évident.
En revanche, le moyen de contestation tiré de l’exception d’inexécution ne pouvait pas être retenu, le bailleur n’ayant jamais manqué lui-même à son obligation de garantir au preneur la jouissance paisible des lieux loués.
La juridiction retient également l’argument de la perte partielle de la chose louée pendant les périodes de fermeture administrative au sens de l’article 1722 du Code Civil, dès lors que le preneur était bien dans l’impossibilité d’exercer son activité conformément à la destination prévue au contrat.
Dès lors, il a été estimé que pour les périodes de protection, le juge des référés ne pouvait prononcer de condamnation du fait de l’existence d’une contestation sérieuse.
Cependant, le locataire obtient une victoire à la Pyrrhus.
En effet, la Cour constate que les difficultés financières du fonds de commerce de restauration ne sont pas directement liées à la pandémie, mais sont antérieures.
La Cour retient l’absence d’efforts entrepris par le locataire pour commencer à apurer sa dette et l’absence d’éléments garantissant cette incapacité financière, de sorte que la Cour maintient la résiliation et l’expulsion sans suspendre les effets de la clause résolutoire.
La Cour d’Appel de VERSAILLES rend donc un jugement de Salomon en étant très compréhensive sur les loyers de la période de confinement, tout en étant exceptionnellement sévère sur les loyers hors confinement.
Par ailleurs, s’agissant d’une instance en appel d’une décision de référé, la Cour ne tranche pas le fond, étant précisé que le même jour la Cour d’Appel de VERSAILLES a eu à trancher sur le fond (arrêt Cour d’Appel de VERSAILLES du 6 mai 2021, 2ème chambre, n° 19/08848).
Elle a considéré que le débiteur d’une obligation contractuelle de sommes d’argent inexécutée ne pouvait s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure, ni en invoquant l’exception d’inexécution, la délivrance du local par le bailleur n’étant pas contestée.
De même, sur l’article 1722 du Code Civil, la Cour a constaté que le bien loué n’était détruit ni partiellement, ni totalement, de sorte que l’obligation de paiement des loyers persistait.
En revanche, la Cour a réformé la décision de première instance qui avait ordonné l’expulsion. La Cour, sans doute par souci de compensation, a infirmé le jugement en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du bail.
Ainsi, les décisions d’une même juridiction à un même niveau peuvent se contredire et aboutir à des solutions différentes.
L’insécurité née de la pandémie Covid-19 a pénétré le monde juridique et judiciaire, laissant bailleurs et locataires, en l’absence de gestes législatifs ou règlementaires forts, dans une insécurité juridique.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
MEDINA Jean-Luc
Avocat Associé
CDMF avocats , Membres du conseil d'administration
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