Agent commercial

L'agent commercial et son pouvoir de négocier - Acte II

Publié le : 09/02/2021 09 février févr. 02 2021

La Cour de cassation vient consacrer l’interprétation donnée par la Cour de Justice de l’Union Européenne dans une décision du 4 juin 2020 sur le terme “négocier”. Pour la Cour de cassation, il n’est pas nécessaire d’avoir le pouvoir de modifier les prix des produits vendus pour le compte du commettant pour avoir le statut d’agent commercial.

Par une décision du 2 décembre 2020, la Chambre commerciale de la Cour de cassation semble avoir mis fin à son interprétation restrictive de la qualification d’agent commercial en s’alignant sur la position adoptée par la Cour de Justice de l’Union Européenne dans l’arrêt Trendsetteuse SARL/DCA SARL.

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 2 décembre 2020, 18-20.231, Publié au bulletin

Les faits étaient les suivants :

Le 20 décembre 2006, la Société EDITIONS ATLAS, spécialisée dans l’édition et la commercialisation de produits de loisirs, a conclu avec Monsieur O. une convention lui confiant la prospection de ses clients sur un secteur géographique au sein de l’arrondissement de Sens pour une durée indéterminée.

Cette convention a connu neuf avenants ayant permis l’extension du secteur géographique attribué à Monsieur O.

Le 1er juillet 2011, Monsieur O. cesse d’exécuter le contrat.

Le 4 juillet 2011, Monsieur O. conclut un contrat de travail à durée indéterminée d’attaché commercial exclusif avec une société tierce, la Société ANAVEO.

Le 16 décembre 2011, revendiquant le statut d’agent commercial, Monsieur. O. fait assigner la Société EDITIONS ATLAS en résiliation du contrat aux torts exclusifs de la Société et en paiement de diverses indemnités.

Dans un jugement du 26 août 2015 (n°12/00029), le Tribunal de grande instance de Sens qualifie la convention liant Monsieur O. et la Société EDITIONS ATLAS de contrat d’agent commercial.

Elle prononce également la résiliation judiciaire de cette convention aux torts exclusifs de Monsieur O., le condamnant au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance.

Monsieur O. fait alors appel de cette décision.

Au visa des articles L.134-1 et suivants du code de commerce visant le contrat d’agence commerciale, Monsieur O. réitère sa demande de première instance : la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la Société EDITIONS ATLAS pour manquement à son obligation de mettre l’agent en mesure d’exécuter normalement son mandat et de remplir sa mission au mieux.

Dans son arrêt du 3 mai 2018 (n°15/19214), la Cour d’appel de Paris rappelle d’abord que le contrat d’agent commercial s’apprécie au regard des conditions dans lesquelles l’activité est effectivement exercée et qu’il incombe donc à celui qui se prétend agent d’en rapporter la preuve.

La Cour reprend ensuite l’approche restrictive de la qualification d’agent commercial née de la jurisprudence de la Cour de cassation. En effet, “l’absence de pouvoir de négocier des contrats au nom et pour le compte de son mandant et de représenter ce dernier exclut toute application du statut d’agent commercial.”.

Par conséquent, face à l’absence de démonstration par Monsieur O. qu’il avait le pouvoir de négocier les contrats de vente au nom et pour le compte de la Société EDITIONS ATLAS, la Cour d’appel confirme que la convention litigieuse n’est pas un contrat d’agent commercial. Elle confirme également la résiliation judiciaire de la convention aux torts exclusifs de Monsieur O.

Monsieur O. se pourvoit alors en cassation.

La question, sous-jacente et récurrente en pratique, est alors de savoir au fond si le statut d’agent commercial implique nécessairement la faculté de pouvoir modifier les prix.

Sur cette question, un arrêt de la Cour de cassation était très attendu par la doctrine et les praticiens au regard de son interprétation divergente de celle des jurisprudences européennes, interprétation d’ailleurs récemment consacrée par un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne.

En effet, dans un arrêt du 4 juin 2020 (C-828/18, Trendsetteuse SARL/DCA SARL) précédemment commenté (article “l’agent commercial et son pouvoir de négocier”, la CJUE était venue préciser le sens du terme “négocier” de l’article 1er paragraphe 2 de la directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986 relative aux agents commerciaux, suite à une question préjudicielle du Tribunal de commerce de Paris.

Ainsi, le terme “négocier” n’inclue pas nécessairement d’avoir le pouvoir de modifier les prix des produits vendus pour le compte du commettant pour se prévaloir de l’application du statut d’agent commercial.

Se posait alors la question de savoir si la Cour de cassation allait accepter de se plier à cette interprétation.

L’arrêt du 2 décembre 2020 (n°18-20.231) met donc un terme au suspens.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation vient se conformer à l’interprétation jurisprudentielle du terme “négocier” de la Cour de Justice de l’Union Européenne.

La Cour reprend d’abord les dispositions françaises et européennes relatives à l’agence commerciale et admet qu’elle a consacré une approche restrictive de la qualification d’agent commercial.

Elle cite ensuite l’arrêt du 4 juin 2020 et en tire la conclusion suivante :

“Il en résulte que doit désormais être qualifié d’agent commercial le mandataire, personne physique ou morale qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux, quoiqu’il ne dispose pas du pouvoir de modifier les prix de ces produits ou services.”

Appliquée aux faits de l’espèce, il résulte de cette interprétation qu’en se fondant sur l’impossibilité pour Monsieur O. de négocier les prix pour déterminer s’il était agent commercial ou non, la Cour d’appel a violé les dispositions européennes et françaises sur la qualification du contrat d’agent commercial.

Par conséquent, la Chambre commerciale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Paris autrement composée.

Les praticiens français devront maintenant prendre en compte le fait que la qualité d’agent commercial n’implique pas nécessairement d’avoir le pouvoir de modifier les prix.

L’alignement de l’interprétation de la Cour de cassation sur celle de la Cour de Justice de l’Union Européenne constitue une nette évolution du champ d’application du régime de l’agent commercial. La Cour de cassation sera sans doute saisie à l’avenir de contentieux similaires et viendra affiner le contenu de cette nouvelle interprétation.


Article écrit par Mme Morgane BONNARDOT et Maître Olivier VIBERT


Cet article n'engage que ses auteurs.

 

Auteur

VIBERT Olivier
Avocat Associé
Olivier VIBERT
PARIS (75)
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