Médicaments et responsabilité

La responsabilité du fait des produits défectueux n’exclut pas l’application de la responsabilité pour carence dolosive - Le cas de l'affaire Mediator

Publié le : 21/12/2023 21 décembre déc. 12 2023

Le Mediator®, médicament composé de benfluorex visant initialement à diminuer le cholestérol dans le sang, a progressivement été prescrit aux patients atteints de diabète de type 2, pour finalement être prescrit comme coupe-faim à des millions de personnes.
Ce médicament, commercialisé par les Laboratoires Servier depuis 1976, a causé le décès de milliers de personnes en France en raison de son risque de provoquer des valvulopathies et de l’hypertension artérielle pulmonaires.

Retiré du marché en France en 2009, le Tribunal de Paris a notamment condamné en 2021 le laboratoire Servier à 2.7 millions d’euros d’amende pour « tromperie aggravée », lui reprochant d’avoir privilégié ses intérêts financiers au détriment de la santé des patients.

Au civil, plusieurs victimes du Mediator® ont assigné les laboratoires Servier initialement sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux prévu aux articles 1245 et suivants du Code civil[1].

Conformément à l’article 1245-16 du Code civil, « L'action en réparation fondée sur les dispositions du présent chapitre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur. ».

En l’espèce, le point de prescription pour agir sur ce fondement était l’avis de l’ONIAM[2] qui avait retenu que les lésions cardiaques subies par les victimes étaient imputables au Médiator® qui leur avait été prescrit pendant quelques années.

Toutefois, ayant assigné les Laboratoires Servier près de 5 ans après l’obtention de l’avis de l’ONIAM, les laboratoires Servier ont alors opposé la prescription de leur action.

En cours de procédure, les victimes ont alors substitué le fondement de leur action afin d’obtenir une indemnisation sur le fondement de la responsabilité pour faute au visa de l’article 1240 du code civil qui prévoit que « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. ».

Les victimes ont reproché aux Laboratoires Servier d’être à l’origine d’une carence dolosive : tout en connaissant la dangerosité du Médiator®, les Laboratoires s’étaient volontairement abstenu de toute mesure pour suspendre la commercialisation de ce médicament, faute distincte du simple défaut de sécurité du produit.

Pourtant, les juges du fond, que cela soit en première instance à Nanterre ou en appel à Versailles ont retenu l’application exclusive de la responsabilité du fait des produits défectueux et refusé d’y substituer le régime de la responsabilité délictuelle.

Les victimes ont alors formé un pourvoi en arguant que « le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n’exclut pas l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d’un défaut de sécurité du produit litigieux, tels la garantie des vices cachés ou la faute ».

Par quatre arrêts rendus le 15 novembre 2023, la Cour de cassation a rappelé que la Cour de justice des Communautés européennes avait bien précisé que le régime de responsabilité du fait de produits défectueux mis en place par la directive de 1985 n’excluait pas l’application des responsabilités de droit commun.

La victime d’un dommage peut invoquer la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents tels la faute afin d’obtenir une indemnisation au titre du préjudicie subi par le producteur d’un produit[3].

En l’espèce, les victimes ayant démontré que leur dommage résultait d’une faute commise par le producteur, telle qu’un maintien en circulation du produit dont il connaissait le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit, la Cour de cassation a cassé et annulé les arrêts de la Cour d’appel de Versailles et renvoyé les parties devant la Cour d’appel de Paris.

Cette réitération du cumul des responsabilités du producteur se révèle protectrice des victimes qui non seulement bénéficient de plusieurs fondements dès lors que la faute est distincte du défaut de sécurité du produit, mais ont également une chance d’être indemnisées en intentant une action au-delà de la limite du délai de trois ans propre à l’action en responsabilité du fait des produits défectueux.


Cet article n'engage que son auteur.
 
[1] Pour rappel l’article 13 de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, transposée au visa des articles 1386-18 et 1382 devenus 1245-17 et 1240 du Code civil a instauré une responsabilité de plein droit du producteur au titre du dommage causé par un défaut de son produit.
[2] Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des affections iatrogènes et infections nosocomiales
[3] CJCE, 25 avril 2002, Gonsalès-Sanchez, aff. C-183/00, point 31.

Auteur

VUCHER-BONDET Aurélie
Avocate Associée
CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS
PARIS (75)
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