Licenciement

Dénigrer son employeur en public peut conduire au licenciement

Publié le : 06/10/2022 06 octobre oct. 10 2022

Discussions entre collègues de travail, bavardages pourvoyeurs de potins, médisances, persiflages ou commentaires peu flatteurs sur son entreprise ou sa hiérarchie, post sur les réseaux sociaux, s’ils relèvent de la liberté d’expression du salarié, n’en sont pas moins susceptibles d’ouvrir à l’employeur la possibilité, dans certaines conditions, de sanctionner les propos qui porteraient atteinte à sa considération.

La chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 15 juin 2022 (n°21-10572), est venu l’illustrer dans le cas d’un salarié tenant des propos diffamatoires sur son employeur.

On rappellera que par principe, le salarié jouit de sa liberté d’expression dans et en dehors de l’entreprise. La liberté d’expression constitue une liberté fondamentale protégée notamment par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme ou encore par l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et a donc, à ce titre, valeur constitutionnelle.

Le code du travail protège également les libertés individuelles et collectives dans l’entreprise. Notamment, l’article L1121-1 du Code du travail prévoit : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

Pour autant la liberté d’expression rencontre ses limites dans les propos injurieux, diffamatoires ou excessifs.

La sanction ou le licenciement d’un salarié pour les propos qu’il tient est une mesure portant restriction à sa liberté d’expression. Cela implique pour le juge qui serait saisit de la contestation d’un telle mesure de rechercher si, concrètement, dans les circonstances qui lui sont soumises, la mesure était nécessaire dans une société démocratique et, pour ce faire, d’apprécier la nécessité de la mesure au regard du but poursuivi, son adéquation et son caractère proportionné à cet objectif[1].

Dans son arrêt du 15 juin 2022, la Cour de cassation approuve le licenciement d’une salariée qui avait tenu des propos constitutifs de diffamation à l’encontre de son employeur.

La diffamation est, on le rappelle, toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.

En l’espèce, la salariée licenciée avait affirmé à l'un de ses collègues, en présence de deux de ses amis, que leur employeur tenait à son égard des propos, blessants et humiliants, selon lesquels il serait « le plus mauvais peintre qu'ils avaient pu avoir dans l'entreprise » (en l’espèce une entreprise de carrosserie).

La Cour de cassation approuve les juges du fond qui, ayant relevé que les employeurs contestaient avoir tenu de tels propos et alors que la salariée ne soutenait pas qu'ils l'avaient réellement fait, ont relevé que l'affirmation publique selon laquelle l'employeur aurait tenu de tels propos constituait un dénigrement de ce dernier, et ont fait ressortir le caractère diffamatoire de ces propos et ont ainsi pu en déduire que la salariée avait abusé de sa liberté d'expression.

Il faut relever ici que le caractère public des propos est retenu malgré le caractère très limité des personnes présentes (« deux amis »). Cela suffit, en présence de propos dénigrants portant atteinte à la considération de l’employeur, à caractériser la diffamation.

L’intérêt de cet arrêt réside encore également dans le fait que les propos sanctionné par un licenciement ont été tenus en dehors de l’entreprise et hors temps de travail.

On le sait, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire que s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Or, parmi ces obligations, figure l’obligation de loyauté découlant de l’article L1222-1 du Code du travail aux termes duquel « Le contrat de travail est exécuté de bonne foi ». Cette obligation de bonne foi, qu’elle soit ou non rappelée dans le contrat de travail, s’impose tant à l’employeur qu’au salarié. L’obligation de loyauté du salarié demeure même en dehors du temps et du lieu de travail.

La Cour de cassation relève dans cette affaire que la Cour d’appel avait constaté que, même si ces propos avaient été tenus en dehors du temps et du lieu du travail, ils avaient été adressés à un autre salarié de l'entreprise afin de donner une mauvaise image de ses dirigeants et créer un malaise entre ces derniers et les membres du personnel.

Dès lors, la Cour de cassation estime que la Cour d’appel a pu en déduire que ces propos caractérisaient un manquement de la salariée à son obligation de loyauté découlant de son contrat de travail et ainsi décider que le comportement de la salariée constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Tout reste ici question de discernement et toute ingérence de l’employeur dans l’exercice de la liberté d’expression du salarié n’est pas permise.

Il convient notamment de relever que la caractérisation de l’abus dans l’exercice de la liberté d’expression sera appréciée plus restrictivement lorsqu’il émane d’un salarié titulaire d’une mandat de représentant du personnel ou de représentant syndical, lorsque les propos ont été tenus dans le cadre l’exercice de ce mandat.

Il en va de même des critiques qu’émettrait un salarié sur l’organisation de son travail par son supérieur hiérarchique dans le cadre de l’exercice, au cours d’une réunion, de son droit d’expression directe et collective prévue et protégé par les articles L. 2281-1 et L. 2281-3 du Code du travail[2].

On signalera également que le salarié auteur de propos critiques qui constitueraient en réalité la dénonciation de faits de harcèlement moral ou sexuel ou de discrimination, est protégé contre les représailles par les dispositions du code du travail[3]. Même si une telle dénonciation peut être combattue, la démonstration de la mauvaise foi de l’auteur de la dénonciation qui permettrait d’ouvrir à l’employeur la possibilité de sanctionner voir de licencier reste une tâche délicate et la sanction ou le licenciement prononcé en violation de ces dispositions est nul.

Il en va également ainsi de la dénonciation de faits entrant dans le champs de la protection du salarié lanceur d’alerte, récemment renforcée par la loi du 21 mars 2022[4].
 
[1] Voir sur ce point la motivation de l’arrêt « Tex » à propos d’une blague sexiste tenue par animateur télé en violation d’une clause contenue dans son contrat de travail : Cass. soc. 20 avril 2022, n°20-10.852
[2] Cass. soc. 21 septembre 2022, n°21-13.045, publié au bulletin
[3] Pour les discriminations : Article L. 1132-3 : « Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux articles L. 1132-1 et L. 1132-2 ou pour les avoir relatés ». Pour le harcèlement moral : Article L. 1152-2 du Code du travail. Pour le harcèlement sexuel : Article L. 1153-2 du Code du travail.
[4] L. 2022-401 du 21 mars 2022 ; Article L. 1121-2 du Code du travail ;

Auteur

Nicolas DRUJON d'ASTROS
Avocat Associé
SCP DRUJON d'ASTROS & ASSOCIES
AIX-EN-PROVENCE (13)
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