
Responsabilité de l’avocat conseil fiscal : quelle est la portée du devoir de conseil et de prudence ?
Publié le :
30/09/2025
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La Cour de cassation a, par une décision en date du 25 juin 2025 (n° 23-16.629), rappelé les obligations de conseil et de prudence incombant à l’avocat à l’égard de son client.Les faits étaient les suivants :
Un avocat fiscaliste avait préconisé à son client, dans le cadre d’une opération de cession de titres détenus au sein d’une société, un schéma d’opérations juridiques successives consistant en un apport de titres à une société de droit belge, des donations au profit de ses enfants, et une réduction de capital social, le tout dans un objectif d’optimisation fiscale.
Les opérations juridiques préconisées par l’avocat étaient les suivantes :
- La création, courant juillet 2008, d’une société X à laquelle le client avait apporté des titres détenus au sein d’une société dont il était également le fondateur, sous le bénéfice d’un report d’imposition de la plus-value née de cette opération ;
- L’apport, courant septembre 2008, par le client des actions de la société X à une société Y de droit belge constituée par le client et son épouse, en contrepartie duquel le client avait reçu des actions au sein de la société Y ;
- L’acquisition, courant octobre 2008, par la société Z des actions détenues par la société Y dans la société X, ainsi que du solde des parts du client au sein de cette dernière ;
- L’apport, courant décembre 2008, par les enfants du client à une SCI créée par le client et son épouse, des actions de la société Y que leur père leur avait cédées par donation, afin que la société Y rachète ensuite l’ensemble des actions détenues par la SCI, qu’elle a par la suite annulées en procédant à une réduction de capital social.
Par la suite, l’administration fiscale a notifié au client une proposition de rectification de l’impôt sur le revenu pour un montant de 13.915.265 euros, considérant que l’opération précitée était constitutive d’un abus de droit.
À la suite de l’avis du Comité consultatif pour la répression de l’abus de droit (CCRAD), le client a reçu une notification d’avis d’imposition pour un montant identique, comprenant une majoration de 80 %.
Le client a alors initié un recours gracieux, puis un recours en contestation du redressement, dont il s’est désisté après avoir trouvé un accord avec l’administration, réduisant les pénalités et majorations.
Il a ensuite assigné en indemnisation l’avocat et ses assureurs.
La Cour d’appel de Paris a, par un arrêt en date du 5 avril 2023, retenu la responsabilité de l’avocat fiscaliste et fixé le préjudice du client à hauteur de 9.214.300 euros, outre les intérêts.
L’avocat et ses assureurs se sont pourvus en cassation, invoquant notamment les moyens suivants :
- Les avis rendus par le CCRAD en 2005 en matière de sursis d’imposition étaient les seuls éléments dont disposait l’avocat au jour de sa consultation, et avaient été implicitement validés par l’administration fiscale, qui s’y conformait ;
- La jurisprudence administrative était, au jour du montage de l’opération, rare en matière d’apport-cession : quelques tribunaux et cours administratives d’appel avaient pu en connaître, mais les décisions concernaient des différés d’imposition par report, et non des différés obtenus par sursis.
La Haute juridiction rappelle que l’avocat est tenu d’un devoir de conseil et de prudence, et qu’il lui incombe d’attirer l’attention de son client sur les incertitudes du droit positif et les risques pouvant affecter la validité ou l’efficacité de l’opération projetée.
Elle confirme qu’en l’espèce, l’avocat a manqué à ses obligations en :
- Présentant à son client l’opération comme ne présentant aucun risque, au regard des avis rendus par le CCRAD en 2005, alors que, d’une part, le Conseil d’État admettait déjà l’existence d’un abus de droit lorsque le contribuable avait pour but d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales qu’il aurait normalement supportées, eu égard à sa situation et à ses activités réelles (en l’occurrence, l’opération consistait à apporter des titres à une société qui n’avait ni vocation à les conserver, ni vocation à exercer des prérogatives d’associé), et que, d’autre part, certaines juridictions administratives avaient déjà admis l’application de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF) - réprimant l’abus de droit - au différé d’imposition, peu important que les différés en cause soient obtenus par report ou par sursis ;
- N’appelant pas l’attention du client - alors qu’il avait toujours la charge de procéder aux déclarations fiscales de ce dernier en 2011- sur la nécessité de procéder à des investissements significatifs dans des activités économiques avant la fin de l’année 2011, ce qui aurait pu justifier un intérêt autre que fiscal à l’opération préconisée, et ce en dépit d’un arrêt du Conseil d’État du 8 octobre 2010 faisant application de l’article L. 64 du LPF au report d’imposition, dont la solution était transposable au sursis d’imposition produisant des effets similaires.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence en matière de responsabilité de l’avocat, et ne remet pas en cause le principe selon lequel cette responsabilité s’apprécie au regard du droit positif existant au jour de l’intervention (Cass. Civ. 1ere, 15 décembre 2011, n° 10-24.055), compte tenu des aléas d’interprétation de la loi et de la jurisprudence.
L’avocat n’est, en effet, pas tenu d’anticiper un revirement jurisprudentiel imprévisible, mais doit appeler l’attention de son client sur les incertitudes du droit applicable au moment de son intervention, et sur les risques que ces incertitudes peuvent faire peser sur la validité et l’efficacité de l’opération projetée, en choisissant, le cas échéant, « les solutions que recommande la prudence ou qu’impose la précaution » (Cass. Civ. 1ere, 25 novembre 1997, n° 95-22.240).
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur

Joana DE JESUS
Avocate Collaboratrice
SHANNON AVOCATS - Saint-Brieuc
SAINT-BRIEUC (44)
Historique
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