Bail commercial : obligation de délivrance du bailleur, exception d'inexécution et mise en demeure
Publié le :
23/10/2025
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Cour de cassation, 3e civ., 18 septembre 2025, n° 23-24.005
Un bailleur avait consenti à un locataire un bail dérogatoire de 23 mois, à compter du 15 novembre 2011, portant sur un local commercial. Le contrat prévoyait qu’en cas de conclusion ultérieure d’un bail soumis au statut des baux commerciaux, la locataire verserait une indemnité de pas-de-porte de 12 000 €.
À l’expiration du bail, le locataire est demeuré dans les lieux sans qu’un nouveau bail ne soit signé ni qu’elle ne verse l’indemnité prévue.
Le bailleur l’a alors assignée pour obtenir la résiliation du bail, son expulsion, le paiement de l’indemnité et des loyers impayés.
La locataire de son côté, a soutenu qu’elle subissait de graves infiltrations d’eau rendant le local impropre à l’exploitation de son commerce. Elle a donc opposé une exception d’inexécution, estimant que le bailleur n’avait pas respecté son obligation de délivrance et d’entretien. Elle a aussi réclamé des dommages-intérêts.
La cour d’appel de FORT-DE-FRANCE l’a déboutée : elle considérait que la locataire ne pouvait invoquer l’exception d’inexécution qu’à partir de la date où elle avait mis le bailleur en demeure d’agir.
La cour de cassation n’a pas suivi cet argumentaire et a cassé l’arrêt sur ce point, au visa des articles 1184 (ancien), 1719 et 1728 du Code civil. Elle rappelle que le preneur peut refuser d’exécuter son obligation de paiement du loyer dès le jour où les locaux sont devenus impropres à l’usage convenu, sans mise en demeure préalable.
Autrement dit, l’exception d’inexécution est une arme de défense immédiate offerte au preneur lorsque le bailleur manque gravement à ses obligations essentielles – en particulier son obligation de délivrer un local en état de servir à l’usage prévu (art. 1719). Dès lors que le manquement du bailleur prive le preneur de la jouissance paisible du bien, celui-ci peut suspendre le paiement des loyers de plein droit.
La Haute juridiction sanctionne la cour d’appel pour avoir ajouté une condition non prévue par la loi : l’obligation de mise en demeure.
En effet l’article 1219 du Code civil dispose :
« Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. »
Cette exigence de mise en demeure aurait eu pour effet de neutraliser l’efficacité de l’exception d’inexécution, alors que sa finalité est précisément d’imposer une réaction immédiate à l’inexécution de l’autre partie dans un contrat synallagmatique.
En matière de bail commercial, cette solution a une portée pratique majeure : le preneur confronté à un local inondé, insalubre ou inexploitable n’a pas à attendre une réponse du bailleur ni à formaliser une sommation pour suspendre son paiement. Il agit à ses risques, certes, mais la légitimité de sa suspension s’apprécie au regard du caractère sérieux du manquement du bailleur.
L’arrêt du 18 septembre 2025 s’inscrit donc dans une logique visant à renforcer la protection du locataire commercial, souvent en position de faiblesse face au bailleur.
Il réaffirme que l’exception d’inexécution n’est pas subordonnée à une formalité préalable, mais uniquement à la constatation objective de la carence du bailleur rendant le bien impropre à son usage. C’est une arme de défense immédiate.
Cette décision consolide la portée autonome et immédiate de l’exception d’inexécution dans le bail commercial : elle constitue un droit direct de suspension du loyer en cas d’inexécution grave du bailleur, sans mise en demeure, et consacre la primauté du principe d’équilibre contractuel entre les obligations réciproques des parties.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
MEDINA Jean-Luc
Avocat Associé
CDMF avocats , Membres du conseil d'administration, Arbitres
GRENOBLE (38)
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