
Entrepreneur individuel : l’insaisissabilité de la résidence principale a ses limites
Publié le :
27/02/2024
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2024
Dans un arrêt du 13 décembre 2023 (22-19.749), la Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue préciser les limites du principe de l’insaisissabilité de la résidence d’un entrepreneur individuel ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire.
L’article L. 526-1 du Code de commerce énonce les modalités de l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel. Depuis la loi dite Macron du 6 août 2015[1], il n’est plus nécessaire à l’entrepreneur individuel de procéder à une déclaration notariée d’insaisissabilité concernant sa résidence principale.Ces dispositions légales visent à protéger le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel en créant une distinction entre un patrimoine professionnel, constituant le gage commun des créanciers, et un patrimoine personnel qui échapperait à des poursuites trouvant leur origine dans l’activité professionnelle de l’entrepreneur.
Cette distinction de deux patrimoines, qui a donc un effet purement réel, s’est rapidement retrouvée confrontée à la réalité des procédures collectives qui, comme souvent, a soulevé un certain nombre de questions auxquelles l’arrêt commenté du 13 décembre 2023 contribue à apporter des éléments de réponse.
Les faits sont extrêmement classiques puisqu’en 2001 une banque avait financé, par un prêt immobilier, l’acquisition par un entrepreneur individuel et son épouse de leur résidence principale.
De manière là encore habituelle, ce prêt était garanti à la foi par une inscription de privilège de prêteur de deniers (PPD) et une hypothèque conventionnelle.
En 2013, une banque concurrente de la première a cette fois consenti un prêt professionnel à l’entrepreneur. Ce prêt était également garanti par une hypothèque conventionnelle prise sur le même immeuble servant à la foi de domicile et de lieu de travail à l’emprunteur.
L’entrepreneur a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire convertie en 2016 en liquidation judiciaire et les deux établissements bancaires ont régulièrement déclaré leurs créances.
La procédure de liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d’actif le 3 avril 2018.
Le 7 janvier 2021, la première banque a fait signifier à l’entrepreneur et à son épouse un commandement de payer valant saisie immobilière. La seconde banque, créancière professionnelle, a déclaré sa créance dans le cadre de cette procédure de saisie immobilière.
Le 20 janvier 2022, le juge de l’exécution a déclaré irrecevable l’action engagée par les établissements bancaires à l’encontre des époux.
La première banque a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel de Rennes qui a, au visa de l’article L. 643-11 du Code de commerce, décidé que la banque n’avait pas le droit d’engager une procédure de saisie immobilière à l’encontre des époux après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif et que, dès lors, son action était irrecevable[2].
La banque poursuivante a formé un pourvoi en cassation et la Cour de cassation, dans son arrêt 13 décembre 2023, a rappelé que « le créancier auquel l’insaisissabilité de la résidence principale est inopposable peut, même après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, exercer son droit de poursuite sur l’immeuble, qui n’était pas entré dans le gage commun des créanciers de la liquidation judiciaire ».
La Cour de cassation a donc cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel de RENNES au visa des articles L. 526-1 et L. 643-11 du Code de commerce.
Cette solution apparait comme logique puisque l’article L. 526-1 du Code de commerce fait échapper la résidence principale de l’entrepreneur individuel aux seuls créanciers professionnels de ce dernier.
Cet immeuble est donc seulement de droit « insaisissable par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne [3]».
Or les droits du premier établissement bancaire n’étaient pas nés à l’occasion de l’activité professionnelle du débiteur puisqu’il s’agissait d’un prêt immobilier devant servir à l’acquisition de sa résidence principale indépendamment de son activité professionnelle.
L’article L. 526-1 et donc l’insaisissabilité de l’immeuble n’étaient donc pas opposable à ce créancier.
La Cour rappelle qu’en application de l’article L. 526-1 du Code de commerce, l’immeuble n’a pas pu être appréhendé par la procédure collective et n’est donc pas entré dans le gage commun des créanciers.
Cette décision rappelle donc le principe de l’effet réel de la procédure collective.
L’effet réel de la procédure collective est classiquement défini comme : « l’effet de saisie des biens du débiteur par la collectivité de ses créanciers représentée par le mandataire de justice »[4].
Or, puisque l’immeuble, en qualité de résidence principale du débiteur, échappait à l’effet réel de la procédure collective, la première banque aurait en principe pu agir, y compris pendant la procédure collective, sur ce bien qui en était exclu.
A fortiori, si le créancier pouvait agir pendant la procédure collective, la Cour de cassation ne voit pas ce qui lui interdirait d’agir après la clôture de celle-ci.
En d’autres termes, l’article L. 643-11 du Code de commerce n’est pas applicable puisqu’il n’est pas question pour le créancier de « recouvrer » un droit de poursuite individuel postérieurement à la clôture de la procédure collective. Ce droit n’a en effet jamais été perdu par le créancier.
La Cour de cassation a encore confirmé ce raisonnement en le précisant par un arrêt du 17 janvier 2024[5] dans lequel elle rappelle que « le créancier auquel l'insaisissabilité de plein droit de la résidence principale du débiteur est inopposable peut, même après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, exercer son droit de poursuite sur l'immeuble qui n'est pas entré dans le gage commun des créanciers de la liquidation judiciaire. Il ne peut, en revanche, après cette clôture […], recouvrer l'exercice individuel de ses actions » qui concerneraient d’autres éléments du patrimoine du débiteur entrés dans le gage commun des créanciers par l’effet réel de la procédure collective.
Cet article n'engage que son auteur.
[1] LOI n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
[2] Cour d’appel de RENNES, 1ère Chambre, 8 juin 2022, n°22/00454
[3] Article L. 526-1 du Code de commerce
[4] Marc Sénéchal, « L’effet réel de la procédure collective : Essai sur la saisie collective du gage commun des créanciers », LexisNexis, 2002
[5] Cour de cassation, Chambre commerciale, 17 janvier 2024, 22-20.185, Publié au bulletin
Auteur

Jacques FILSER
Avocat
ORVA-VACCARO & ASSOCIES - TOURS, ORVA-VACCARO & ASSOCIES - PARIS
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