
Astreinte : Attention aux contraintes !
Publié le :
19/06/2025
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Un salarié intervenant régulièrement pendant ses périodes d’astreinte et soumis à des contraintes particulièrement fortes, peut voir la période d’astreinte requalifiée en temps de travail effectif, conformément à la jurisprudence européenne (CJUE, 9 mars 2021, C-344/19, D.J. c/ Ab Ac, points 37 et 38).C’est ce que rappelle la chambre sociale de la Cour de cassation dans son arrêt du 14 mai 2025 (Cass. soc., 14 mai 2025, n° 24-14.319).
I. Rappel des notions d’astreinte et de travail effectif
A l’occasion de l’arrêt en cause, la Cour de Cassation n’a pas manqué de rappeler les notions de « travail effectif » et « d’astreinte ».Pour rappel, le travail effectif, défini à l’article L3121-1 du Code du travail, représente « le travail pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».
L’astreinte, quant à elle, est définie par l’article L3121-9 du même code, comme une période « pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif ».
Autrement dit, un salarié en période d’astreinte demeure libre d’organiser son temps et de vaquer à ses occupations personnelles, tant qu’il se rend disponible en cas de demandes professionnelles.
Seul son intervention sera rémunérée comme du travail effectif, à l’inverse du temps d’astreinte qui est seulement indemnisé.
II. Trop de contraintes : risque de requalification du temps d’astreinte en temps de travail effectif
Dans arrêt du 26 octobre 2022, la Cour de Cassation s’alignait sur la jurisprudence européenne et considérait que travail d’astreinte est en réalité du travail effectif lorsque « le salarié est soumis à des contraintes d’une intensité telle qu’elles affectent, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de vaquer à ses occupations personnelles » (Cass. Soc., 26-10-2022, n°21-14.178).Cette décision a été confirmée par le présent arrêt du 14 mai 2025.
De quoi s’agissait-il dans cette affaire ?
Un salarié, occupant un poste de gardiennage au sein d’un hôtel, devait assurer en moyenne quatre nuits d’astreintes hebdomadaires. Malgré l’existence d’une borne d’accès 24 heures sur 24 permettant aux clients d’avoir accès libre à l’hôtel sans avoir à s’adresser au salarié, ce dernier soutenait que son numéro de téléphone figurait sur la borne automatique de l’hôtel, ce qui conduisait les clients à le contacter régulièrement.
Pour les juges du fond, ces nuits n’étaient pas du travail effectif.
La Cour de Cassation a cassé l’arrêt d’appel sur ce point en considérant que le salarié était soumis à « des contraintes d’une intensité telle, qu’elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de vaquer à ses occupations personnelles ».
Cette décision a des conséquences pour l’employeur, lequel doit payer au salarié les rappels de salaire des heures supplémentaires effectuées pendant les périodes d’astreinte.
Profitons de cet arrêt pour illustrer d’autres « contraintes » imposées à un salarié permettant de requalifier son temps d’astreinte en travail effectif :
- Les permanences de nuit, de fin de semaine ou des jours fériés assurées dans un local de garde par des médecins d’un centre médical (Cass. Soc., 08/06/2011, n°09-70.324)
- Les rondes et interventions auprès des résidents d’une maison de santé (Cass. Soc., 05/11/2003, n°01-44.822)
- Les permanences de gardiens ne disposant pas d’un logement sur place dans les locaux de l’entreprise pour effectuer certaines tâches (surveillance, rondes, etc.) (Cass. Soc., 28/10/1997, n°94-42.054)
III. L’astreinte n’est cependant pas exclusive de contraintes qui doivent rester modérées
A titre d’exemple, la Cour de cassation considère que reste de l’astreinte :- L’obligation de résider dans un logement de fonction durant les périodes d'astreinte (Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-40.082 ; 8 sept. 20216, n°14-23.714),
- Ou encore la nécessité de rester à proximité de son domicile, (Cass. soc., 9 février 2022, n° 20-14.810).
- Le moment où le salarié, joignable par téléphone, conserve la libre disposition de son temps entre deux interventions chez des clients (Cass. Soc., 24 nov. 1993, n°88-42.722 ; 10 juill. 2002, n°00-18.452)
La jurisprudence n’empêche pas toutes contraintes au salarié pendant son temps d’astreinte mais celles-ci doivent rester modérées pour lui permettre notamment de vaquer à des occupations personnelles sans être à la disposition permanente et immédiate de son employeur.
En matière d’astreinte, il faut donc faire preuve de modération quant aux contraintes imposées au salarié, sous peine de voir ce temps requalifié en temps de travail effectif avec les conséquences financières que cela implique.
Cet article n'engage que ses auteurs.
Auteurs

Catalina CAZACU
Juriste
LEXCAP PARIS
PARIS (75)

GARNERO Caroline
Avocate
LEXCAP PARIS
PARIS (75)
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