Licenciement disciplinaire fondé sur l’exercice de la liberté religieuse dans la vie personnelle
Publié le :
28/10/2025
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L’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 10 septembre 2025 (n° 23-22.722), est relatif à la distinction (parfois ténue) entre les faits relevant de la vie personnelle et ceux relevant de la vie professionnelle, ainsi qu’à l’exercice de la liberté religieuse du salarié.En l’occurrence, la salariée a été employée par une association spécialisée dans la protection de l’enfance accueillant des mineurs vulnérables, courant de l’année 2005, en qualité d’agent de service intérieur.
Il importe de préciser que le règlement intérieur de l’association stipule, entre autres, qu’il incombe aux professionnels exerçant au sein de cette structure des obligations de neutralité, de confidentialité, de réserve et de confiance, et qu’ils se doivent de respecter la liberté d’opinion, ainsi que d’observer le respect mutuel et la discrétion.
La salariée a fait l’objet, courant de l’année 2016, d’un avertissement, puis, courant de l’année 2018, d’une mise à pied disciplinaire de trois jours pour avoir remis des bibles à de jeunes mineures résidentes et pour avoir chanté des chants religieux pendant son travail au sein de l’association.
Par courrier du 13 novembre 2018, l’employeur a notifié à la salariée son licenciement pour faute simple, pour avoir remis une bible à une jeune fille prise en charge par l’association lors de son hospitalisation.
La salariée a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir l’annulation de son licenciement et des sanctions disciplinaires antérieures, considérant que ces mesures étaient discriminatoires et prises en raison de ses convictions religieuses.
Le Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a, par un jugement en date du 9 avril 2021, débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, laquelle a entendu interjeter appel du jugement rendu.
La Cour d’appel de Versailles a, par un arrêt du 5 octobre 2023 [RG n° 21/01363], confirmé le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt.
La salariée s’est subséquemment pourvue en cassation.
La Cour de cassation a ainsi été saisie de la question suivante : une salariée peut-elle être licenciée pour faute pour avoir donné une bible à une jeune mineure accueillie dans le centre où elle travaillait, alors qu’elle lui rendait visite à l’hôpital, hors de son temps de travail ?
Dans le cadre de son pourvoi, la salariée soutenait :
- que l’employeur avait, en fait, reproché à la salariée l’exercice de sa liberté d’expression et de sa liberté religieuse en dehors du lieu de travail et sur le temps de sa vie privée, ce dont la cour d’appel aurait dû, selon elle, déduire que le licenciement était nul ;
- que la liberté d’expression religieuse étant une déclinaison de la liberté d’expression, le prosélytisme religieux n’est pas sanctionnable en tant que tel, mais uniquement lorsqu’il est abusif.
La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles, en date du 5 octobre 2023, considérant que :
- la salariée, agente de service et non éducatrice, avait pris l’initiative de se déplacer à l’hôpital où la mineure avait été admise pour lui remettre une bible, de sorte que les faits reprochés étaient intervenus en dehors du temps et du lieu de travail de la salariée et ne relevaient pas de l’exercice de ses fonctions professionnelles ;
- le licenciement prononcé pour motif disciplinaire, en raison de faits relevant, dans la vie personnelle de la salariée, de l’exercice de sa liberté de religion, était discriminatoire et donc nul.
En l’occurrence, la Cour de cassation considère que les faits relevaient de la vie personnelle de la salariée (I), et que la salariée ayant été sanctionnée en raison de sa liberté d’expression religieuse, son licenciement constituait une discrimination et était donc entaché de nullité (II).
I. S’agissant de la distinction entre les faits relevant de la vie personnelle et les faits relevant de la vie professionnelle.
L’arrêt, objet du présent commentaire, s’inscrit en fait dans la continuité de la jurisprudence dégagée par la Cour de cassation, qui rappelle de manière constante, d’une part, qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (en ce sens, Ass. Plén. 22 décembre 2023, n° 21-11.330).La Haute juridiction considère que la salariée était agente de service et non éducatrice, et n’avait ainsi aucune mission pédagogique, excluant une position de subordination ou d’influence à l’égard des mineurs de l’association. Elle rappelle, par ailleurs, que la salariée avait pris l’initiative de se rendre à l’hôpital, sans que cela ne relève de l’exercice de ses fonctions professionnelles.
Il en résulte que, selon la Cour de cassation, les faits relèvent de la vie personnelle de la salariée.
À ce titre, il importe de préciser que la Cour de cassation n’a pas suivi l’avis de Madame LAULOM, avocate générale près la Cour de cassation, qui considérait, quant à elle, que le rattachement des faits à la vie professionnelle devait être admis, dans la mesure où la salariée avait reproduit un comportement déjà sanctionné à deux reprises, à l’égard d’une mineure que la salariée avait connue lors de son travail et qu’elle avait volontairement visitée à l’hôpital.
II. S’agissant de la violation d’une liberté fondamentale, constitutif d’une discrimination.
La décision de la Cour de cassation est notamment rendue au visa de l’article L. 1132-1 du Code du travail, qui vise notamment l’interdiction qu’un salarié soit sanctionné, licencié ou fasse l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, et de l’article L. 1132-4 du Code du travail, qui considère nulle toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance du principe de non-discrimination.En l’occurrence, la salariée a été sanctionnée pour des faits relevant de la vie personnelle, en raison de sa liberté d’expression religieuse.
La Cour de cassation estime ainsi que la sanction constitue bien une discrimination en raison des convictions religieuses de la salariée, de sorte que le licenciement était entaché de nullité.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Joana DE JESUS
Avocate Collaboratrice
SHANNON AVOCATS - Saint-Brieuc
SAINT-BRIEUC (44)
Historique
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