Déplafonnement du loyer commercial : la modification des facteurs locaux de commercialité et son incidence
                    Publié le : 
                    04/11/2025
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                                Dans une décision du 18 septembre 2025 (Pourvoi 24-13.288) la Cour de cassation a jugé qu’il résulte des articles L. 145-34 et R. 145-6 du code de commerce que la modification notable des facteurs locaux de commercialité constitue un motif de déplafonnement du prix du bail renouvelé si elle est de nature à avoir une incidence favorable sur l'activité commerciale effectivement exercée par le locataire, indépendamment de son incidence effective et réelle sur le commerce exploité dans les locaux.
Rappel des principes applicables :
Le loyer de départ :
Dans le statut du bail commercial s’applique un principe de liberté du loyer de départ : le loyer est ainsi fixé librement par les parties dès lors que le législateur n’impose pas de référence à la valeur locative du bien fixé, ni au prix payé par un précédent locataire.Les révisions du loyer en cours bail :
Les révisions du loyer en cours de bail sont réglementées par le Code de commerce et il convient ici de distinguer entre la révision triennale légale et la révision résultant du jeu d’une clause contractuelle d’indexation.S’agissant de la révision triennale, il résulte du Code de commerce que la demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d’entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé.
C’est ici une révision légale du loyer, mais qui n’opère pas de manière automatique, car le bailleur doit en faire la demande.
S’agissant de la clause d’indexation (également appelée clause d’échelle mobile) c’est une clause contractuelle dont l’objet et l’effet est de faire varier automatiquement le loyer en fonction d’un indice déterminé.
Le calcul du loyer par suite d’une révision triennale :
Ce sont ici les dispositions de l’article L145-33 et de l’article L.145-38 du Code qui s’appliquent.La hausse ou la baisse du loyer est limitée par la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (ILC/ILAT) depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer.
Il existe néanmoins une exception.
Lorsqu’est rapportée la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, le loyer révisé est fixé à la valeur locative, indépendamment du niveau atteint par l’indice, y compris s’il en résulte un montant inférieur au loyer en vigueur.
Le calcul du loyer au terme de l’expiration du bail de 9 ans :
Ce sont ici les dispositions de l’article L145-33 et de l’article L.145-34 du Code qui s’appliquent.Le loyer du bail renouvelé doit correspondre à la valeur locative, y compris si elle est inférieure au loyer antérieur, car le renouvellement donne naissance à un nouveau bail et non à la simple prolongation de l’ancien.
Le locataire a droit à la valeur locative même lorsqu’elle est inférieure au montant plafonné, sans devoir prouver une « modification notable » des éléments de la valeur locative.
Pour un bail de 9 ans, à défaut d’exception, le loyer renouvelé est néanmoins plafonné : la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.
Le plafonnement ne s’applique donc pas en cas de modification notable, intervenue pendant le bail expiré, de l’un des éléments de valeur locative listés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 du Code de commerce.
Cette modification notable doit, en principe, avoir une incidence favorable sur l’activité du preneur pour justifier le déplafonnement.
Le plafonnement est également écarté si, par tacite prolongation, la durée du bail expiré excède 12 ans (même si le bail initial était de 9 ans), le loyer étant alors fixé à la valeur locative.
Si, en cas de déplafonnement, l’augmentation du loyer renouvelé ne peut pas conduire à des hausses annuelles supérieures à 10 % du loyer acquitté l’année précédente, ce mécanisme de lissage ne s’applique pas au déplafonnement causé par la tacite prolongation au-delà de 12 ans.
La valeur locative est déterminée à partir de cinq éléments légaux: caractéristiques du local, destination, obligations respectives, facteurs locaux de commercialité et prix pratiqués dans le voisinage, complétés par les articles R. 145-3 à R. 145-11 du Code de commerce.
La notion de facteurs locaux de commercialité :
Les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l’intérêt que présente, pour le commerce considéré, l’importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l’attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l’emplacement pour l’activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d’une manière durable ou provisoire.Cette définition issue de l’article R 145-6 s’applique aussi bien au renouvellement qu’à la révision, avec des critères d’appréciation qui diffèrent selon le cas.
En révision triennale (art. L 145-38), il faut une « modification matérielle » des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative.
En renouvellement (art. L 145-33 et L 145-34), une « modification notable » suffit, mais elle ne justifie un déplafonnement que si elle présente un intérêt favorable pour le commerce exploité.
L’arrêt commenté vient préciser la manière dont il faut apprécier cette notion d’intérêt favorable pour le commerce exploité en répondant à la question suivante : le bailleur doit-il pouvoir justifier de la modification des facteurs locaux de commercialité a eu une incidence réelle et mesurable sur le fonds de commerce du preneur ?
Le cas d’espèce :
Contexte du litige :
Société Expo Luminaires : locataire de locaux commerciaux.Société Diffusion des produits du bâtiment (DPB) : bailleresse.
Expo Luminaires demande le renouvellement de son bail commercial.
DPB accepte le renouvellement, mais demande une hausse du loyer, fondée sur la valeur locative (donc au-dessus du plafond légal).
La locataire conteste et réclame le plafonnement du loyer (avec restitution des surloyers déjà versés).
Décision de la Cour d’appel de Paris (25 janvier 2024) :
La cour :- fixe le loyer renouvelé à la valeur locative (donc déplafonné),
 - rejette la demande de restitution de surloyers,
 - fixe le nouveau dépôt de garantie,
 
La Cour d’appel a retenu qu’il y a eu modification notable des facteurs locaux de commercialité, suffisante pour déplafonner le loyer.
Moyen du pourvoi :
Expo Luminaires soutenait devant la Cour de cassation que la modification des facteurs locaux de commercialité ne permet le déplafonnement que si elle a une incidence effective et réelle sur l’activité commerciale du locataire.Elle reprochait donc à la cour d’appel d’avoir admis le déplafonnement sans prouver une incidence concrète sur son activité.
La position de la Cour de cassation :
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi.Elle a considéré qu’il suffit que la modification notable des facteurs locaux de commercialité soit de nature à avoir une incidence favorable sur l’activité exercée, même sans preuve d’une incidence effective et réelle.
Autrement dit, il n’est pas nécessaire de démontrer un effet concret sur le chiffre d’affaires ou la réussite du commerce : il suffit que la modification (ex. environnement commercial, fréquentation, attractivité) puisse raisonnablement influencer positivement l’activité.
La notion de modification des facteurs locaux de commercialité est ainsi subjective en ce qu’elle s’apprécie à l’échelle de l’activité du preneur ; mais aussi objective, en ce qu’elle n’exige pas de caractériser une incidence effective et réelle sur le fonds de commerce exploité.
Une telle appréciation étant favorable aux intérêts des bailleurs.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
                                                    Nasser MERABET
Avocat Associé
                            Cabinet Conseil des Boucles de Seine – CCBS
                            CAUDEBEC-LES-ELBEUF  (76)
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