Responsabilité médecine du travail

La responsabilité des professionnels concourant au Service de Prévention et de Santé au Travail (Médecine du Travail)

Publié le : 24/06/2025 24 juin juin 06 2025

L’œuvre de prévention et de santé au travail a été confiée par le législateur à des équipes pluridisciplinaires employées par des Associations de Service de Santé au Travail. Les professionnels interagissent et doivent collectivement concourir à l’objectif de prévention et de santé au travail, en travaillant en équipe, même si le Médecin du Travail a un rôle singulier, notamment sur un plan technique, médical et professionnel.
En effet, s’il doit assurer personnellement l’ensemble de ses fonctions, le Médecin du Travail peut toutefois déléguer la plupart de ses dernières au sens de l’article R.4623-14 du Code du Travail.

Dans quel cadre s’effectuent ces délégations, et ces dernières excluent-elles la notion de coopération plus large ?

Qui assume les responsabilités et dans quelles conditions d’assurance ?

Quelles sont par ailleurs les responsabilités engagées par les uns et par les autres et comment sécuriser sous la houlette du Médecin du Travail les délégations et la coopération entre les différentes personnes et professions concourant au Service de Santé au Travail ?

La meilleure efficience et la réalisation de l’objectif fixé par la Loi qui consiste à aboutir à un milieu du travail prévenant et sécurisant pour les salariés sur le plan de leur santé sera grandement facilité si les règles notamment en matière de responsabilité sont clarifiées.
 

I - Qui concourt à la prévention et à la santé au travail ?

Au sens du Code du Travail, l’équipe pluridisciplinaire qui intervient est composée de :

- Les Médecins du Travail avec leurs Médecins Collaborateurs, les Internes en Médecine du Travail, et éventuellement les Praticiens Correspondants (Médecins de ville au sens de la Réforme de 2021, si tant est qu’ils puissent intervenir, ce qui n’est pas le cas encore, car le recrutement de Médecins Praticiens Correspondants est conditionné par des arrêtés du Directeur de chaque ARS censés définir les zones particulièrement sensibles en matière de recrutement de Médecins du Travail ; ces arrêtés à ce jour sont à notre connaissance inexistants).

Le Code du Travail prévoit que le Médecin du Travail peut déléguer certaines de ses fonctions sous sa responsabilité.

Ainsi qu’il sera exposé ci-dessous, il s’agira de la responsabilité civile de l’employeur du Médecin du Travail et de son assurance. Le terme « Responsabilité » au sens du Code du Travail doit être compris au sens des délégations comme « référent » ou responsable sur le plan médical de la bonne qualité de l’organisation des délégations et de leur finalité.

On rappellera que le motif médical d’un avis d’inaptitude restera toujours du ressort du Médecin du Travail, même si des coopérations sont possibles notamment avec les Infirmiers(ères), l’avis lui-même étant en cas de contestation du ressort du Conseil de Prud’hommes, contentieux, auquel le Médecin du Travail n’est pas partie.

- En second lieu les Infirmiers(ères) de Santé au Travail qui contribuent au travail de l’équipe pluridisciplinaire dans le respect des règles de leur déontologie et dans le cadre du Code de la Santé Publique qui les autorise à accomplir un certain nombre d’actes (Article R 4311-7 du Code de la Santé Publique).

- En troisième lieu les Assistants de Service de Prévention de Santé au Travail qui sont des salariés ayant une qualification administrative et agissent sur ce plan (rôle plus important dans les entreprises de moins de 20 salariés).

- En quatrième lieu, également les intervenants en prévention des risques professionnels des Services de Prévention et de Santé au Travail.
 

II - Complexité des interactions des professionnels en matière de responsabilité

Plusieurs types de responsabilités sont en cause dans le cadre du travail réalisé par l’équipe pluridisciplinaire de santé et de prévention au travail.

1. Responsabilité ordinale :

Les professionnels qui sont sujets d’un Ordre (Médecins, Infirmiers(ères)) sont tenus par le respect des règles de leur déontologie et du Code de la Santé Publique.

Ils en répondent personnellement devant leur Ordre et le cas échéant devant les juridictions administratives.

La question du secret médical et les conditions d’établissement des écrits figurant dans le dossier médical avec le risque de certificat de complaisance constituent des sujets récurrents sur ce plan.

2. Responsabilité civile :

Tous les salariés qui concourent au Service de Santé au Travail, y compris Médecins et Infirmiers(ères), dans leurs actes quotidiens, conformément à leur mission professionnelle, engagent la responsabilité civile de leur employeur, l’Association de Prévention et de Santé au Travail, laquelle est assurée dans ce cadre.

3. Responsabilité pénale et personnelle hors mission :

Tous les personnels qui concourent à l’équipe pluridisciplinaire, restent personnellement engagés par leur responsabilité pénale, et également par tout acte accompli hors mission dans l’intention de nuire.

4. Responsabilité contractuelle :

Tous les intervenants de l’équipe pluridisciplinaire engagent, du fait des fautes commises durant l’exercice normal de leur mission, leur contrat de travail avec l’Association de Prévention et de Santé au Travail, seul le Médecin du Travail ayant le statut de salarié protégé.


Il apparaît ainsi que chaque professionnel, à son niveau voit sa responsabilité civile, pour le travail accompli dans le cadre normal de sa mission, couverte par la responsabilité de son employeur et l’assurance de l’employeur.

Tous les actes ayant une qualification pénale ou caractérisés par l’intention de nuire engagent en revanche la responsabilité personnelle de chaque individu.

Les professionnels soumis à un Ordre répondent devant l’Ordre de leurs fautes déontologiques et au regard du Code de la Santé Publique.

Enfin, chaque professionnel dans le cadre de l’exercice de sa mission normale engage son lien contractuel avec l’Association qui l’emploie. 
 

III - Comment clarifier les responsabilités des uns et des autres dans le cadre du travail pluridisciplinaire ?

1. Le Médecin du Travail et les délégations :

Le Médecin du Travail apparaît responsable, au sens de l’organisation et de la référence médicale, de l’équipe pluridisciplinaire. Il est responsable de la mise en place des délégations et des modalités de coopération entre les différents professionnels concourant au travail des Services de Prévention et de Santé au Travail.

Il s’agit d’une responsabilité organique et technique, médicale, notamment dans le cadre des délégations mises en place sous forme de protocoles prévus par le Code du Travail, régularisés entre les différents professionnels et qui doivent être mis en place sur des modèles censés être proposés par la Loi (en fait les modèles sont extrêmement ténus, une très grande souplesse étant de mise).

Les protocoles sont réfléchis à l’échelle de chaque Association de Médecine du Travail et tous les professionnels sous la houlette du Médecin du Travail concourent à la réflexion sur le contenu de ces protocoles et leur utilisation.

Il convient de ne pas omettre le rôle de la Commission Médicale propre aux Associations de Médecine du Travail sur ce plan.

La Loi recommande 5 thèmes au titre de ces protocoles de délégation :

- Rappel du cadre juridique et la formation nécessaire.
- Rappel du secret médical (qui s’impose d’ailleurs à tous les salariés de l’Association de Médecine du Travail quel que soit leur statut, conformément à l’article 10 de la Convention Collective Nationale applicable, consultation du dossier médical et droits du salarié/patient).
- Trames d’entretien en fonction des différents types de visites.
- Recommandations sur les conduites à tenir face à différentes situations.
- Eventuellement protocole pour les examens complémentaires. 
- Situations indicatives nécessitant la réorientation vers le Médecin du Travail.

À tout moment, les différents personnels contribuant aux Services de Santé au Travail doivent pouvoir faire appel au Médecin du Travail vers qui convergent les décisions les plus délicates, soit parce qu’elles sont de son seul ressort (motif médical d’une décision d’inaptitude), soit parce que le Médecin du Travail doit pouvoir prendre la décision lorsqu’un professionnel de l’équipe pluridisciplinaire se considère comme insuffisamment armé pour prendre la décision.

A propos du secret médical, dont il a été indiqué ci-dessus qu’il s’impose à tous les salariés des Associations de Médecine du Travail, il conviendra de relever qu’il n’est en revanche pas opposable au salarié/patient qui peut s’en délier.

Le secret professionnel concerne le motif médical de l’avis, mais l’avis lui-même, est en revanche public, puisqu’il figure dans un document qui sera remis à l’employeur et peut faire d’ailleurs l’objet d’une contestation dans le cadre du Conseil de Prud’hommes.

De même, les recommandations de reclassement ne sont pas couvertes par le secret médical.

En revanche, les indications portées par le Médecin du Travail sur le dossier médical du salarié qui vont expliquer le motif médical de l’avis, de même que toutes les indications figurant sur le dossier médical du salarié à l’occasion des différentes visites, sont couvertes par le secret médical, mais en revanche peuvent être sollicitées par le salarié qui les utilisera ensuite par exemple dans une procédure.

L’instrumentalisation des dossiers de Médecine du Travail par les salariés/patients eux-mêmes dans le cadre d’un litige prud’homal devient malheureusement récurrente.

A la fois, le Médecin du Travail devra avoir conscience que le secret médical ne le protège pas lui-même, mais il devra aussi redoubler de prudence dans les écrits figurant dans ledit dossier du salarié, notamment au titre du risque de ce qui pourrait être considéré comme « un certificat médical de complaisance », cette notion s’étendant à toute notion écrite d’ordre médical figurant dans un document établi par le Médecin.

La plus grande prudence s’impose notamment à propos des affirmations de harcèlement au travail qui sont l’une des causes récurrentes de saisine du Conseil de l’Ordre des Médecins par des employeurs s’estimant victimes d’un écrit abusif du Médecin qui, doit-on le rappeler, ne peut établir d’écrit que sur ce qu’il a personnellement constaté.

Ainsi qu’il a été évoqué ci-dessus, le Médecin du Travail, sauf faute déontologique ou de nature pénale, ou de nature à constituer un acte accompli dans l’intention de nuire, lorsqu’il agit dans le cadre de sa mission contractuelle, y compris dans le cadre des responsabilités au titre des délégations, ne voit pas sa responsabilité civile personnelle engagée mais celle de son employeur, le Service de Prévention et de Santé au Travail Inter-entreprise qui est assuré sur ce plan.

Tous les salariés de l’Association se trouvent d’ailleurs dans cette situation, ainsi que le rappelle l’article 11-1 de la Convention Collective Nationale qui reprend sur ce plan les dispositions du Code du Travail.

2. Fondement juridique de la responsabilité civile de l’Association de Prévention et de Médecine du Travail pour tous les actes accomplis par les professionnels dans le cadre de leur contrat de travail :

C’est l’article 1242 du Code Civil qui rappelle que les commettants sont responsables du dommage causé par leurs préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.

C’est ainsi le cas de tous les salariés de l’Association de Médecine du Travail (Médecins du Travail, Médecins Collaborateurs, Internes, Médecins Praticiens éventuellement, Infirmiers(ères), Assistants de Santé au Travail, etc…).

Ce dispositif légal a été consacré spécifiquement à propos des Médecins du Travail par un arrêt de la Cour de la Cour de Cassation du 26 janvier 2022 (Cas. Soc. 26 janvier 2022, n°20-10.610), lequel précise que le Médecin du Travail n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers lorsqu’il agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie.

Le Médecin salarié notamment qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par l’Etablissement de Santé Privée n’engage pas sa responsabilité à l’égard du patient/salarié.

L’indépendance du Médecin n’empêche pas que son employeur commettant soit civilement responsable du dommage causé par lui, puisqu’il est également en lien de subordination (Article 11 de la Convention Collective Nationale).

L’immunité ainsi déterminée du préposé ne s’étend pas en revanche, conformément à ce qu’indique la Cour de Cassation aux fautes suivantes :

- Aux fautes susceptibles de revêtir une qualification pénale.
- Ou aux fautes susceptibles de procéder de l’intention de nuire.

Autant dire que l’on doit retenir que l’ensemble des salariés des Services de Santé au Travail y compris les Médecins du Travail et les Infirmiers(ères) ne sont pas civilement responsables de leurs actes lorsqu’ils sont accomplis dans le cadre de leurs missions.
 

IV - Comment les professionnels de l’équipe de santé au travail peuvent-ils collaborer au-delà des délégations ?

Les délégations prévues par la Loi qui permettent au Médecin du Travail de déléguer ses fonctions, ainsi qu’il a été évoqué ci-dessus, n’empêchent pas une coopération entre les différents personnels concourant à la mission de prévention et de santé au travail.

Cette coopération constitue une culture de chaque Association de Médecine du Travail et une réflexion en ce sens, et fortement impulsée par la Société Française de Santé au Travail (Société Française de Santé au Travail sous la présidence de Sophie Fantoni Quinton, PUPH Université Lille, Présidente) pour une meilleure efficience en matière de réalisation de sa mission par le Médecin du Travail.

Dans ce cadre, le Médecin du Travail ne délègue pas sa mission, mais fait collaborer différents professionnels pour permettre la réalisation de sa mission dans l’hypothèse où celle-ci ne peut pas être déléguée.

C’est le cas notamment pour les missions du Médecin du Travail non susceptibles d’être déléguées comme par exemple les avis d’inaptitude, au titre du rôle de l’Infirmier(ère).

Par exemple en matière d’avis d’inaptitude, les Infirmiers(ères) peuvent jouer un rôle extrêmement important dans le cadre des actes préparatoires.

L’Infirmier(ère) de Santé au Travail peut conduire un entretien avec le salarié/patient et recueillir l’ensemble des données permettant ensuite au Médecin d’évaluer l’aptitude sur un dossier.

Au-delà de la délégation confiée aux Infirmiers(ères) pour les visites de pré-reprise, les visites de reprise, les visites à la demande, les visites de mi carrière, etc…, (Article R.4624-29, Article R4624-31, Article R.4624-34, Article R.4624-33-1 du Code du Travail), le Médecin du Travail peut faire coopérer lesdits(es) Infirmiers(ères) sur des actes qui ne peuvent pas leur être délégués, notamment en matière d’examens médicaux d’aptitude, ou en matière de visites post-exposition, lesquels n’ont pas été ouverts par la Loi à la délégation au sens propre du terme.

Délégation signifie confier sa mission à un autre professionnel, coopération signifie faire contribuer un autre professionnel à la réalisation de sa mission.

Ainsi, l’Infirmier(ère) peut accomplir en amont d’une visite d’aptitude, et après avoir recueilli le consentement du salarié/patient, le travail de recueil de données de santé, une visite avec interrogatoire sur les conditions de réalisation du travail, etc…

Une concertation en découle ensuite entre l’Infirmier(ère) et le Médecin du Travail qui dispose alors de plusieurs possibilités :

- Proposer immédiatement un avis d’aptitude sans avoir vu le salarié/patient ce qui est possible sur un plan déontologique.
- Provoquer une téléconsultation avec le salarié/patient.
- Reconvoquer le salarié/patient pour une consultation en présentiel.

Ces modalités de coopération permettent de fluidifier et d’augmenter la capacité des services de santé au travail dont on sait qu’ils sont particulièrement engorgés, qu’ils manquent de ressources, ce qui constitue un motif matériel clairement identifié mais non-suffisant.

En effet, cette coopération permet également dans un cadre vertueux, une meilleure efficacité de la réalisation de la mission du Service de Santé au Travail et permet de dégager sans doute plus de temps pour les mesures de prévention et répondre à des questions plus larges de santé au travail telles que fixées par le Code du Travail, mais réalisées de façon plus aléatoire, faute de moyens par les Associations de Prévention et de Santé au Travail.


Ainsi, les responsabilités étant clarifiées, les professionnels de santé au travail et notamment les Médecins du Travail, sont invités non seulement à largement déléguer, mais également à faire coopérer à leur activité les professionnels de santé avec leurs compétences propres.

Si la Loi permet des délégations qui excluent certaines missions, toutes les missions sont concernées en revanche par une possible coopération entre Médecins du Travail et Infirmiers(ères) notamment pour une meilleure efficacité.


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

VACCARO François
Avocat Associé
ORVA-VACCARO & ASSOCIES - TOURS, ORVA-VACCARO & ASSOCIES - PARIS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
TOURS (37)
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