
Déchéance de marque pour défaut d'exploitation : les critères de l'usage sérieux précisés
Publié le :
30/06/2025
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Dans un arrêt récent (Cass, Com, 14 mai 2025, n°23-21.866), la Cour de cassation a précisé les conditions que doit remplir l’usage sérieux d’une marque pour faire échec à une demande de déchéance.Ainsi, la Cour a considéré, dans un premier temps, que la commercialisation d’un composant d’un produit, ne constitue pas la preuve de l’usage de la marque pour ledit composant.
Et dans un second temps, la Cour a rappelé que la preuve de l’usage sérieux d’une marque enregistrée dans une catégorie de produits ou services suffisamment large doit s’apprécier par sous-catégories autonomes de produits ou services.
Contexte du litige
Dans les faits, la société Skin'Up est titulaire des droits sur la marque verbale française « Skin'Up » n° 3 293 789, enregistrée en classe 3, pour les produits suivants notamment : préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver, cosmétiques, huiles essentielles, savons, lotions pour les cheveux, produits de démaquillage…La société Univers Pharmacie, titulaire des marques « UP skin », a introduit en 2020 une demande en déchéance pour défaut d’usage sérieux de la marque « Skin'Up » pour l’intégralité des produits désignés en classe 3.
En 2021, l’INPI a partiellement fait droit à cette demande, mais elle a maintenu la marque pour les "huiles essentielles" et les "cosmétiques".
Univers Pharmacie a contesté cette décision devant la cour d’appel de Colmar, qui, dans un arrêt du 30 août 2023, a rejeté la demande de déchéance de la marque pour les « huiles essentielles » et pour les « cosmétiques ».
Décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation a censuré la décision de la Cour d’appel au visa des articles L714-5 du Code de la propriété intellectuelle et L716-3 du même code.L’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle dispose :
Encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Le point de départ de cette période est fixé au plus tôt à la date de l'enregistrement de la marque suivant les modalités précisées par un décret en Conseil d'Etat.
L’article L716-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose quant à lui :
Devant l'Institut national de la propriété industrielle, les demandes en déchéance de marque fondées sur les articles L. 714-5, L. 714-6, L. 715-5 et L. 715-10 sont introduites par toute personne physique ou morale. Devant les tribunaux judiciaires déterminés par voie réglementaire, elles sont introduites par toute personne intéressée.
La demande en déchéance peut porter sur une partie ou sur la totalité des produits ou des services pour lesquels la marque contestée est enregistrée.
Lorsque la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services pour lesquels la marque est enregistrée, la déchéance ne s'étend qu'aux produits ou aux services concernés.
A. Sur la distinction produit / composant
La Cour reproche aux juges du fond d’avoir considéré que la commercialisation de vêtements cosméto-textiles et de brume, dans la composition desquels entrent les huiles essentielles, suffisait à établir un usage sérieux de la marque pour les « huiles essentielles » elles-mêmes.La confusion opérée par les juges du fond entre produits et composants est donc censurée par la Cour, dès lors que cette confusion constitue une violation de l’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle.
En effet, la Cour de cassation, à la faveur de cette décision, rappelle que l’usage d’un ingrédient du produit ne vaut pas usage du produit tel qu’enregistré. Ainsi, la déchéance de la marque est encourue pour les produits « huiles essentielles » qui ne constituent que des ingrédients des produits effectivement commercialisés.
Cette position s’appuie sur une lecture stricte de l’article L. 714-5 CPI et renforce l’exigence de commercialisation effective du produit désigné par la marque.
B. Sur la nécessité d’identifier des sous-catégories autonomes
La Cour reproche également à la cour d’appel de ne pas avoir vérifié si les seuls produits pour lesquels la preuve d’un usage sérieux était rapportée (cosméto-textiles amincissants) constituaient une sous-catégorie autonome au sein de la large catégorie des « cosmétiques ».Elle s’appuie ici sur la rédaction de l’article 21 de la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 et son interprétation par la Cour de Justice de l’Union Européenne dans la décision CJUE, Ferrari, C-720/18 et C-721/18 : lorsqu’une catégorie de produits et services est suffisamment large pour être divisible, l’usage de la marque doit être justifié pour chaque sous-catégorie autonome. A défaut, la déchéance des droits sur la marque sera encourue pour les sous-catégories autonomes pour lesquelles un usage sérieux n’aura pas été démontré.
La charge de la preuve de cet usage sérieux pèse sur le titulaire de la marque contestée.
La Cour rappelle que le critère pertinent, au sens de la CJUE, pour définir une sous-catégorie autonome est celui de la finalité et de la destination des produits.
Cet arrêt, qui s’inscrit dans la droite lignée de la jurisprudence communautaire, illustre plusieurs principes fondamentaux du droit des marques :
- L’usage sérieux doit concerner le produit tel qu’enregistré, et non un composant ou un simple accessoire. La preuve exigée est précisée : un usage marginal, accessoire ou indirect est insuffisant.
- Lorsqu’une catégorie large de produits est visée dans l’enregistrement (ex. : « cosmétiques »), la protection est limitée à la sous-catégorie pour laquelle l’usage est prouvé. Le risque de déchéance partielle est donc accru, dans des secteurs saturés, tels que celui des cosmétiques.
Les juges du fond doivent donc opérer une analyse concrète des produits effectivement commercialisés, laquelle est essentielle pour déterminer la portée de la protection conférée par la marque déposée et enregistrée.
Cette décision est une confirmation rigoureuse des règles dégagées par la Cour de justice de l’Union européenne selon lesquelles la protection de la marque et le monopole qui en découle pour son titulaire ne doivent pas excéder la réalité de l’usage qui en est fait.
En pratique, les titulaires de marques doivent veiller à préciser, au moment du dépôt, les classes de produits ou services convoités, et viser chaque sous -catégorie potentielle revendiquée. Enfin, en cas de contentieux, il est impératif de documenter spécifiquement les usages réels (factures, publicités, conditionnements) pour chaque sous-catégorie potentielle de produits et services.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur

Stéphane BAIKOFF
Avocate Associée
SHANNON AVOCATS - Nantes, Arbitres
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